NAPOLÉON III, UN ALCHIMISTE POLITIQUE OPINIÂTRE 

 Par Philippe Estrade Auteur-conférencier.

Sous certains aspects, Napoléon III demeure encore une énigme. Homme d’autorité parfois qualifié de despote, révolutionnaire sur le plan économique et sensible aux questions sociales, le président de la Deuxième République devenu empereur s’est efforcé de redonner à la France puissance et prestige, en offrant avec son nom, qui fut une gloire nationale, autorité et garantie des acquis révolutionnaires. En permanence à l’affût d’opportunités politiques et de coups d’État contre la monarchie, il mêla en alchimiste politique opiniâtre  le chaud et le froid, avec une réelle habileté pour enfin se hisser au pouvoir à la chute de Louis-Philippe 1er , accédant ainsi à la présidence de la Deuxième République en 1848, et instaurer quatre ans plus tard le Second Empire.

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LOUIS-NAPOLÉON BONAPARTE, VOYAGES ET COMPLOTS

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Né en 1808 et neveu de Napoléon 1er, Louis-Napoléon Bonaparte, qualifié de prince globe-trotteur, a passé une jeunesse de voyageur et n’a pas hésité à fomenter des coups d’État contre la Restauration monarchique en France, convaincu que seul un bonapartiste pouvait durablement redresser le pays et lui redonner un nouvel élan, lui qui devint en 1832 à la mort de l’Aiglon, le fils de Napoléon 1er, chef du parti bonapartiste.

Une vie romanesque marquée par des coups d’État

Fuyant la monarchie réinstallée en 1814 à la chute de Napoléon 1er, Louis-Napoléon Bonaparte a grandi en Suisse alémanique puis s’est souvent rendu en Italie, et obtint même la nationalité suisse dès 1832. D’ailleurs, son accent suisse particulièrement marqué lui valut quelques moqueries bien plus tard, notamment lors de sa première prestation à l’Assemblée, jugée par ailleurs de piètre performance. Après un premier coup d’État manqué contre Louis-Philippe 1er et la Monarchie de Juillet  en 1836 à Strasbourg, il dut fuir aux États-Unis puis revint en Angleterre. Louis-Napoléon Bonaparte connut un nouvel échec en 1840 à Boulogne. Condamné alors à la réclusion à perpétuité, il parvint à s’évader du fort du Ham en Picardie de façon pittoresque après six années de détention, en se travestissant en maçon, pour rejoindre Londres en 1846. Toujours très vigoureux et éternel séducteur, il eut une liaison avec Eléonore Vergeot, alors lingère du fort du Ham. Sa nouvelle et torride maîtresse, miss Howard, éleva les deux enfants qu’il eut justement avec Eléonore Vergeot. Cette nouvelle conquête, Miss Howard, femme de l’ombre, était plus qu’une simple maîtresse pour Louis-Napoléon Bonaparte mais aussi un grand soutien financier.

1848, le retour en France

En 1846, l’agitation sociale et les banquets républicains organisés pour s’opposer à la politique conservatrice de Guizot fragilisèrent le régime de Louis-Philippe, qui finit par s’effondrer en février 1848, face aux barricades du peuple de Paris. Immédiatement proclamée, la République offrit des mesures fortes, notamment l’abolition de l’esclavage, la réduction du temps de travail et le retour du suffrage universel masculin. Alphonse de Lamartine et Arago, nouveau ministre des Affaires étrangères du gouvernement provisoire, défendirent avec ardeur le drapeau tricolore face à la foule qui brandissait les drapeaux rouges. « Je repousserai jusqu’à la mort ce drapeau de sang et vous devez le répudier car ce drapeau rouge n’a jamais fait que le tour du Champs de Mars et traîné le sang du peuple, mais le drapeau tricolore a fait le tour du monde, avec le nom, la gloire et la liberté de la patrie », déclara-t-il. Ces évènements conduisirent Louis-Napoléon Bonaparte à rentrer en France et à prendre part à l’élection présidentielle mise en place par la nouvelle constitution.

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LOUIS-NAPOLÉON BONAPARTE, PRÉSIDENT DE LA DEUXIÈME RÉPUBLIQUE

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Louis-Napoléon Bonaparte est resté très attentif à la vie politique française durant toutes ces années de la Restauration, toujours prêt à un coup d’éclat, voire un coup d’État… Il considérait en effet que seul un Bonaparte pouvait apporter prestige et redressement à la France fragilisée par le nouveau système monarchique, lui-même affaibli par les manœuvres républicaines. Élu à l’assemblée constituante, il démissionna pour échapper à une mesure d’expulsion liée à son passé d’opposant sulfureux et opiniâtre mais retrouva toutefois l’assemblée législative en 1848. Jouissant d’un certain prestige issu de son oncle Napoléon 1er et habile dans la manœuvre politicienne, il parvint à se faire élire président de la Seconde République, installée depuis quelques mois.

La répression ouvrière éloigne le peuple de la nouvelle République

Avant l’élection présidentielle, la toute jeune Deuxième République ne sera pas tendre avec le peuple en révolte. Elle doit se construire et affirmer de nouvelles institutions qui conduiront à l’élection présidentielle de décembre 1848. Epuisé, le monde ouvrier devint alors exigeant et sa nouvelle révolution de juin 1848 fit face à une terrible et sanglante répression, environ 4000 morts. Petit à petit, face à la rudesse implacable des autorités, le peuple s’éloigna de cette nouvelle République particulièrement répressive. 

Avec le soutien de Thiers, Louis-Napoléon Bonaparte élu président de la nouvelle République

Les élections du 10 décembre 1848 permettent donc à Louis-Napoléon Bonaparte, candidat conservateur mais populaire d’accéder triomphalement à la présidence de la République grâce au soutien actif du parti de l’ordre et de l’incontournable Adolphe Thiers, finalement l’homme au service de tous les régimes. Le nouveau président obtint plus de 74% de voix face à Louis-Eugène Cavaignac, à la tête du gouvernement depuis juin 1848. Le nouveau président sera d’ailleurs moqué par ses opposants qui le qualifiaient de « Badinguet », du nom du maçon qui lui remit ses vêtements pour favoriser son évasion en 1846. En vertu de la nouvelle constitution, le mandat présidentiel ne pourra pas dépasser quatre ans mais Louis-Napoléon Bonaparte, ambitieux pour la France et pour lui-même, a plus d’un tour dans son sac.

Restaurer un nouvel Empire pour objectif

Cette union des droites et de l’ordre permit au nouveau président de laisser les conservateurs gouverner le pays alors que les républicains furent réduits au silence. Avec une restriction autoritaire du suffrage universel et de la presse, le monde populaire s’éloigna du régime. La célébrissime loi Falloux en 1850, du nom du ministre de l’Instruction publique, prit des dispositions sur la liberté de l’enseignement, ce qui permit un retour de l’enseignement confessionnel, et compléta par ailleurs la loi Guizot de 1833, adoptée sous le régime de Louis-Philippe, en rendant obligatoire la création d’une école de garçons dans toutes les communes d’au moins 500 habitants et d’une école de filles, dans celles atteignant au moins 800 habitants. C’est la Troisième République qui rendra l’école obligatoire pour filles et garçons, partout sur le territoire. Habile et conscient de l’impopularité des conservateurs qu’il laisse gouverner, Louis-Napoléon Bonaparte se prépara à un habile coup d’État le 2 décembre 1851. Après qu’il eut dissout l’assemblée, il restaura le suffrage universel. Plébiscitée par sa nouvelle offre politique avec de nouvelles institutions le 21 décembre 1851, la constitution du 14 janvier 1852 renforça son pouvoir et lui permit de rester chef d’État pour 10 ans. Mais un nouveau plébiscite en 1852 permit au « prince-président » de devenir empereur sous le nom de Napoléon III.

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LE SECOND EMPIRE PORTE LA FRANCE AU SOMMET DES GRANDES PUISSANCES

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Il y aura deux grandes périodes entre 1852 et 1870. Dans un premier temps, une conduite autoritaire a illustré le début de l’empire, puis une gestion libérale à partir de 1860. Banni par le décret du 9 janvier 1852, Victor Hugo, réfugié à Jersey puis à Guernesey, aura des mots très durs envers l’empereur. Si selon Pasteur, le régime a été l’un des plus glorieux de l’histoire, Victor Hugo, en parfait chef d’orchestre de la haine, a alimenté la légende noire de Napoléon III. Le qualifiant de « Boustrapa » en référence aux différents coups d’État (Boulogne, Strasbourg et Paris), de « Napoléon le petit » ou « Naboléon », il ne fut pas tendre avec Napoléon III, traité de chacal à sang froid, de tyran, de nain tout puissant ou encore de vautour. Les années de l’empire virent aussi le développement économique accéléré qui a placé la France au sommet des grandes nations mondiales. Haussmann transforma Paris, les chemins de fer se développèrent, facilitant les échanges et le développement industriel porté par une croissance exceptionnelle. Le Crédit Lyonnais naquit et les grands magasins comme la Samaritaine firent leur apparition. L’Exposition universelle de Paris en 1855 porta le prestige français au sommet mondial et les grands travaux d’assèchement, en particulier en Gascogne, entre Gironde et Landes avec la plantation des pins et en Sologne, ont offert de nouvelles possibilités territoriales d’implantation. Enfin, l’expansion coloniale en Afrique, Indochine, Chine, Algérie, qui s’accélérera sous la Troisième République, et la présence française dans certains conflits, contre les Autrichiens ou encore en Crimée, placèrent l’empire au cœur du jeu géopolitique mondial et européen, avant la chute en 1870 face à la Prusse.

Crimée, Mexique, Italie, les conflits se multiplient pour l’Empire

D’abord en Crimée entre 1854 et 1856, la France intervint pour empêcher l’expansion russe vers Constantinople. La victoire de Sébastopol, marquée par le traité de Paris, placera l’empire au sommet de sa puissance. Plus tard, en 1859, la France aida les Piémontais à chasser les Autrichiens, notamment par les victoires de Magenta et Solférino, et obtint en échange Nice et la Savoie. Mais déjà en 1849, Napoléon III défendit Rome contre les nationalistes italiens portés par Garibaldi, mettant ainsi un terme à la fragile république romaine. En 1858, l’empereur échappa à l’attentat d’Orsini, un Italien nationaliste, qui fit 8 morts et plus de 150 blessés. Le couple impérial qui se rendait à l’opéra en sortit indemne malgré le souffle de trois « machines infernales ».  Le Mexique a marqué aussi l’interventionnisme français entre 1862 et 1867, une aventure de prestige inutile dont l’empire aurait pu se passer. En effet, face à la montée en puissance des Américains plutôt protestants, Napoléon III voulut protéger l’espace catholique et soutenir l’empereur Maximilien, frère de l’empereur d’Autriche. C’est d’ailleurs lors de ce conflit que la légion à Camerone, avec 64 hommes, défendit sous l’autorité du capitaine Danjou, son poste pendant onze heures face à 2000 soldats mexicains. Cette opération militaire au Mexique fut un désastre et les Français quittèrent le pays face à la pression américaine alors que Maximilien, prince de Habsbourg, fut abandonné et fusillé, ternissant ainsi l’image de la France

Le conflit avec l’Allemagne, fatal à l’empire

Soumis à une contribution électorale en 1870, le peuple de France plébiscita à nouveau Napoléon III. Il faut dire que ses dernières années furent tolérantes, ouvertes à la presse indépendante et l’empereur affichait une réelle empathie sociale, par ailleurs exprimée dès 1844 dans son ouvrage  De l’extinction du paupérisme. Mais cette année 1870 fut fatale à l’empire car l’empereur céda aux provocations de Bismarck qui proposa pour la succession au trône d’Espagne un parent du roi de Prusse. Par peur d’être ceinturé et pris en tenaille entre l’Allemagne au nord et l’Espagne au sud, dans le même schéma que sous Charles Quint, Napoléon III déclara la guerre à une confédération d’États allemands et à la Prusse. Mal préparés probablement, les Français eurent des difficultés à repousser les offensives allemandes en Lorraine, du côté de la Moselle, et sur le bassin alsacien. Battue sévèrement à Sedan le 1er septembre 1870, la France s’écroula et offrit sa capitulation dès le lendemain. Prisonnier des Allemands, Napoléon III ne se fit plus d’illusion sur l’avenir de son régime qui s’écroula, alors que la Troisième République était proclamée. Denfert-Rochereau avait pourtant admirablement bien défendu la place de Belfort, précisément à Villersexel, et se retirera sans échec militaire à la demande du gouvernement en février 1871.

La Troisième République proclamée

C’est le 19 mars 1871 que, prisonnier en Allemagne, Napoléon III fut libéré. L’empereur déchu rejoignit Eugénie en Angleterre où il s’éteindra en 1873, à l’âge de 65 ans, à l’issue d’une opération de la vessie. Mais dès le 4 septembre 1870, la république avait été proclamée, mettant ainsi un terme au Second Empire. Thiers, grand négociateur, a joué les « Talleyrand » face à l’échec de Waterloo un demi-siècle plut tôt, et a habilement défendu les intérêts français en obtenant le maintien de Belfort en France. En revanche, le traité de Frankfort en mai 1871 offrit à l’Allemagne gagnante dans ce conflit l’Alsace et la Moselle en Lorraine, que la Troisième République, revancharde et patriote, aura en ligne de mire dans le conflit franco-allemand de 1914.

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L’EMPEREUR SOCIAL, UNE IMAGE MÉCONNUE

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Bien que Napoléon III intégrât probablement son ouvrage  De l’extinction du paupérisme dans une stratégie d’opposition politique à Louis-Philippe, alors que le pays était frappé par les conflits sociaux, il développa tout de même un aspect de sa personnalité, sûrement sensible à la misère humaine, et s’inscrivit pour impulser une nouvelle étape dans le champ social. La permanence de son action sociale est assez méconnue, et l’évoquer lui rend tout de même justice.

Caisse de retraite et droit de grève, la période sociale

Institué en 1864 et correspondant à la période sociale de l’empire, le droit de grève accompagna d’autres mesures sociales pertinentes comme la création des caisses de retraite. Par ailleurs, le régime finança la création de cités ouvrières grâce à la confiscation des biens des Orléans. Celui que certains historiens ont qualifié d’empereur social renonça même durant son règne à la quasi-totalité de ses revenus et les affecta à la construction et la modernisation d’hôpitaux et d’écoles et au secours des nécessiteux. Certains grands patrons d’industrie comme Schneider au Creusot, que l’on a appelé « les paternalistes », impulsèrent cette volonté de mieux-être du monde ouvrier en créant notamment un hôpital et des écoles. Les livres d’histoire à l’école, issus de la Troisième République, sont restés toutefois bien discrets sur cet aspect de la personnalité de Napoléon III, il fallait coûte que coûte détourner le peuple et les nostalgiques de l’Empire ou de la monarchie de ces régimes désormais du passé, en ne retenant que des éléments jugés accablants par la Troisième République.

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L’homme a multiplié les conquêtes et fut même trahi par un gentil « toutou ». Alors qu’il se trouvait en cure à Vichy en juillet 1863, un petit chien s’approcha de l’empereur et fit preuve d’une affection spontanée et tout particulièrement insistante. L’animal appartenait à une comédienne fort en vogue, Marguerite Bellanger. Indisposée et furieuse de l’infidélité prouvée de son époux, Eugénie s’empressa de fuir Vichy pour ne plus jamais y remettre les pieds. Il était aussi cela, Napoléon IIl, un amant ardent . Il ne faut pas passer non plus sous silence son action sociale et son engagement vers un mieux-être du peuple ouvrier. Et il convient de ce point de vue, comme le firent de nombreux historiens, de réhabiliter l’empereur social. Pour certains, Napoléon III était d’abord un président manœuvrier et même despote. Pour d’autres, il fut peut-être l’un des plus grands chefs d’État français de l’histoire. Chacun se fera son opinion mais il n’en demeure pas moins vrai que ce personnage fascinant est à l’origine du grand développement économique du pays, qu’il impulsa avec ardeur et qui a conduit la France au sommet des grandes nations industrielles.

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Par Philippe Estrade Auteur-conférencier.

Pluton-Magazine/2022/Paris 16XVIe

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