GRANDES CIVILISATIONS : BIEN QUE BROYÉS, LES AUTOCHTONES D’AMÉRIQUE DÉFENDENT PLUS QUE JAMAIS LEUR CIVILISATION

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Philippe Estrade-auteur-conférencier

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Le colonialisme européen a failli les faire totalement disparaître. Ce fut une page sombre de l’histoire du continent américain, des grands lacs du Canada aux plaines d’Amérique du Sud. En Amérique centrale et en Amérique du Sud, ils parvinrent même à édifier des civilisations sans précédent, portant les mathématiques ou l’astronomie au sommet des connaissances alors que les européens se déchiraient sur des territoires encore archaïques et désorganisés.

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UNE PRÉSENCE DES GRANDS LACS À LA PATAGONIE

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La présence des autochtones d’Amérique que les Européens appelleront plus tard Indiens puis Amérindiens, remonterait au moins à 12 000 ans mais de surprenantes et récentes découvertes archéologiques ont remis en cause ces connaissances. En effet, les migrations passant par la Sibérie et le détroit de Béring sembleraient repousser les hypothèses des premières installations à plus de 40 000 ans. D’autres spécialistes comme l’ethnologue français Paul Rivet soutinrent avec brio et analyses convaincantes en 1936 et 1943 que des peuplades d’Océanie auraient traversé l’océan Pacifique et colonisé le continent américain. À ce jour, aucune théorie définitive n’est probante ni catégoriquement validée et les débats entre spécialistes sont bien loin d’être clos.

Génétique et hypothèses nouvelles

Avant les épopées européennes du 15e siècle, la totalité du continent américain abritait probablement environ 50 millions d’habitants. Des crânes issus de quasiment tous les continents y ont été découverts, d’aspect aborigène australien, océanien, africain et même de type européen, notamment des ossements europoïdes d’environ 13 000 ans, retrouvés près de Mexico, brouillant ainsi toutes les pistes partiellement validées. Des momies également de type europoïde qui ont à ce jour plus de 7 000 ans ont été mises au jour dans le Nevada aux États-Unis. En 2005, une équipe britannique a exhumé des traces humaines sur des cendres fossilisées, peut-être de plus de 38 000 ans. La question qui subsiste est celle de la date du nomadisme et de l’arrivée des hommes sur le continent, et de ce point de vue, les archéologues ne cessent de repousser dans le temps l’origine du peuplement des Amériques. Bien qu’il fût pour l’essentiel d’origine asiatique, en particulier de l’est de l’Asie, les chercheurs semblent donc retenir d’autres pistes. Ils fixent néanmoins peut-être à plus de 25 % la population amérindienne dont les traits sont communs avec des groupes précisément sibériens d’il y a environ 24 000 ans. En outre, des analyses ont montré que certains aspects du génome d’une jeune garçon sibérien du paléolithique se retrouvaient chez les Eurasiens de type occidental alors que d’autres apparaissaient chez les Amérindiens, traduisant ainsi la complexité des origines des peuples américains et l’importance des métissages et des différents nomadismes dans l’histoire.

Une présence du Canada à la Patagonie

Plusieurs grandes familles ethniques se sont partagé le continent, du nord au sud. Comanches, Sioux, Navajos, Cheyennes ou encore Séminoles dans l’espace subtropical notamment se répandaient sur tout le continent nord-américain, alors que Mohicans, Inuits, Hurons occupaient la région des grands lacs et le nord. Les autochtones d’Amérique centrale ont offert, eux, les plus grandes civilisations de l’histoire de l’humanité, Olmèques, Zapotèques, Mayas et Aztèques en particulier qui maîtrisaient l’architecture, les mathématiques et l’astronomie. En Amérique du Sud, outre les peuples d’Amazonie qui vivaient isolés et en totale communion avec l’espace naturel, se répartissent les Aymaras aujourd’hui autour du lac Titicaca entre Bolivie et Pérou et surtout les Quechuas qui ont impulsé une culture raffinée et révélé un empire sans précédent avec l’exceptionnelle civilisation inca.

Des langues amérindiennes toujours vivantes

Les américanistes expliquent bien qu’il n’y a pas qu’une seule famille de langues amérindiennes mais de nombreuses entités très variables de l’Alaska et du Groenland à la Terre de Feu tout au bout du sud du continent. Si certaines langues sont aujourd’hui menacées d’extinction, il semble qu’une prise de conscience, en particulier dans les États où l’indianité est forte, en Amérique centrale notamment, porte désormais les langues autochtones dans une démarche législative et politique de sauvegarde et d’identité.

Les locuteurs les plus nombreux en Amérique centrale

C’est en Amérique centrale, précisément en Mésoamérique, que les locuteurs autochtones sont majoritaires ou représentent des groupes majeurs indianisés. Ils sont tout de même plus de 25 millions au Mexique, 15 millions au Pérou soit près de 50 % de la population totale, 10 millions au Guatemala et près de 7 millions en Bolivie où ils sont majoritaires dans la nation. Dans le reste du continent, ils sont 10 millions aux États-Unis, seulement 3 % de la population, mais encore très nombreux ailleurs en Amérique latine comme en Équateur, au Chili ou encore au Salvador et dans les Guyanes. En revanche, dans les États où la présence européenne est très forte comme en Argentine, la population amérindienne reste assez marginale, environ 1,5 % dans cet État. C’est en Bolivie que le premier amérindien, Evo Morales, parvint en 2005 à se hisser au pouvoir.

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LA RICHESSE DE LA CULTURE AMÉRINDIENNE

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Prières, danses et rites marquent l’identité et la culture amérindienne comme la permanence dans ces civilisations des mythes et des contes divers. La musique et les chants constituaient une trame solide dans ces sociétés, en quelque sorte un fil rouge de l’existence qui ponctuait la vie quotidienne. Dans certaines régions d’Amérique où la civilisation amérindienne est toujours puissante, ces pratiques se maintiennent pour sauvegarder des siècles de pratiques identitaires.

 La puissance des mythes et des contes

Chez les Amérindiens, le mythe offre une puissance sacrée et ne présente aucun doute sur son historicité. Il est bien antérieur à la présence des hommes et exprime la soumission aux esprits dans une démarche magique et religieuse. Il s’exprime par la lecture de textes et des chants avec les suprêmes étapes des grands héros civilisateurs de l’au-delà. Respectés et écoutés, les vieillards les narraient pour instruire les enfants l’hiver devant un feu révélateur. Un conte amérindien des grands lacs dans le nord du continent américain évoque « la lune qui était autrefois le visage d’un aïeul autochtone qui brillait aussi fort que le soleil (…) quand le temps est très clair et que la lune commence à fumer, les nuages arrivent ». Animistes avant d’être christianisés par les colons européens, les Amérindiens honorait un Dieu créateur, le « Grand esprit », et il n’y avait aucune frontière entre le monde des vivants et les esprits car tout se conjugue dans la vie quotidienne. Comme pour beaucoup d’autres populations autochtones dans le monde, le rapport à la nature est fondamental et à la fois singulier et incomparable. Les « Esprit auxiliaires » comme ceux de feu, du vent, du tonnerre ou le dieu de la chasse enrichissaient le panthéon des dieux amérindiens.

Des prières et des danses pour adoucir la vie et préparer l’autre monde

La danse et la musique tinrent une place prépondérante dans la vie quotidienne des Amérindiens. Le départ à la guerre ou le passage à l’âge adulte nécessitaient des rites et des danses de purification où fumer, entrer en transe avec l’apport de drogue comme le peyotl, un petit cactus issu des déserts méridionaux de l’Amérique du Nord, permettait d’accéder aux prières et invocations. La Danse du Soleil s’ouvrait à la vénération de l’astre diurne pendant le solstice d’été et offrait aux hommes la possibilité de montrer leur courage par des mutilations lors des transes. Les Cherokees, par exemple, faisaient appel aux esprits pour obtenir de bonnes récoltes par la cérémonie de la « Danse de la pluie ». Tous les éléments sacrés de la communauté dont les animaux présents dans l’environnement étaient obligatoirement représentés par des totems aux formes diverses selon les tribus et ethnies, mais très souvent sous forme d’un mât érigé à proximité des tentes, huttes, grottes ou maisonnettes de terre cuite, comme l’ours pour les Mohawks. Quant aux funérailles, elles variaient naturellement selon les différentes nations amérindiennes. Pour la plupart des tribus, l’individu présente deux âmes, la première totalement libre pouvait s’évader du corps pendant le sommeil et l’autre, bien arrimée au corps, restait ainsi retenue pendant le parcours périssable du corps lors de la mort. La première, dès la mort, gagnait immédiatement le monde des esprits. Chez les Navajos, le rituel de la mort est particulièrement exigeant, de peur que le défunt ne revienne sur terre hanter la terre des vivants. D’une manière générale, la mort qui nous attriste, nous Européens, n’est pas perçue par les Amérindiens et notamment les Navajos comme un moment de peine mais au contraire comme une période de fête, une nouvelle vie.

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L’ÉPOPÉE EUROPÉENNE SONNE LE GLAS DES CIVILISATIONS D’AMÉRIQUE

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Bien que broyés par la brutalité du colonialisme espagnol d’abord puis européen de manière générale plus tard, les autochtones d’Amérique ont toujours continué à défendre leur civilisation, leurs langues et leurs coutumes avec obstination, persévérance et brio, de l’Amérique du Nord où ils demeurent toutefois très affaiblis à l’Amérique latine, terre d’un vrai dynamisme amérindien, notamment en Amérique centrale. Se croyant aux Indes, en arrivant dans l’actuelle île de San Salvador, les premiers Européens dont Colomb ont naturellement qualifié par erreur les autochtones d’Indiens. La correction interviendra bien plus tard avec le terme Amérindien qui différenciera ainsi les populations autochtones d’Amérique avec les Indiens, les habitants du l’Inde.

La brutalité implacable de la conquête espagnole

Elle fut redoutable, rude et implacable, d’abord orientée en Amérique centrale à partir de 1519 puis plus tard en Amérique du Sud, dès 1532. Quand les premiers conquistadors débarquèrent sur une plage proche de Veracruz sous la conduite de Cortès en 1519, l’actuel Mexique était dominé par les Aztèques qui avaient soumis avec cruauté toutes les populations locales, mayas pour l’essentiel. Les conquistadors entrèrent à Tenochtitlan, l’actuelle Mexico, en 1519 pour l’asservir définitivement en 1521 après qu’ils eurent exécuté Cuauhtémoc, le dernier empereur. Du côté de l’Amérique du Sud voisine, l’invasion n’intervint qu’une douzaine d’années plus tard, sous la conduite de Francisco Pizarro, à partir de 1532. L’empire inca allait être écrasé par les Espagnols et Atahualpa le dernier empereur, fut à son tour tué, étranglé dans sa cellule en 1533. Avec la Nouvelle Espagne et la vice-royauté du Pérou et d’une manière implacable, l’Espagne tissera en Amérique centrale et en Amérique du Sud le plus vaste empire de l’histoire avec les Portugais présents au Brésil et disposant de comptoirs commerciaux tout autour du monde.

Le colonialisme en Amérique du Nord entre Français et Anglais

À l’opposé des Aztèques et des Incas, les autochtones d’Amérique du Nord n’ont jamais associé les Européens à des dieux. Dans un premier temps, et contrairement aux Espagnols qui impulsèrent l’évangélisation chrétienne et la construction de villes et d’infrastructures, les Français, Anglais et Hollandais furent motivés tout d’abord par le commerce avec les populations locales. Ainsi sont apparues de nouvelles colonies au nord de l’empire espagnol, la Nouvelle France formée des colonies françaises du Québec et de Louisiane, mais aussi les colonies britanniques de Virginie et de Nouvelle Angleterre sur la côte atlantique, et de la Floride espagnole. Les autres Européens du nord et de l’ouest du vieux continent s’arrimèrent aussi sur quelques territoires cependant beaucoup plus marginaux en termes de superficie. Malgré les résistances et les guerres contre les colons européens, les Amérindiens n’ont jamais pu réellement s’opposer à la puissance de feu des armées de colons. Leur destin était donc scellé et tout tracé vers la soumission.

Le déclin des populations autochtones

Les historiens débattent toujours et ne sont pas d’accord sur les chiffres et les estimations concernant le déclin démographique relatif aux épidémies liées aux maladies apportées par les colons. Selon des estimations a priori peu contestables, le continent américain, de l’Alaska au cap Horn, abritait environ 50 millions d’habitants en 1492, à l’arrivé de Christophe Colomb, pour descendre à moins de 5 millions deux siècles plus tard. Il s’agit là d’un choc infectieux terrible, d’une hécatombe sans précédent dans l’histoire des conquêtes coloniales et de l’humanité. Sur les 500 000 Amérindiens qui peuplaient la côte est des États-Unis à la fin du 15e siècle, ils ne furent plus que 100 000 au maximum un peu plus de deux siècles plus tard. Une chronique française évoque le cas des Hurons, alliés de la France contre les Anglais. Estimés à plus de 30 000 au début du 17e siècle, ils furent littéralement éradiqués par la variole pour fondre à moins de 9000 personnes.

La prise de conscience identitaire

Depuis le milieu des années 60 et forts d’une prise de conscience identitaire, les Métis et Amérindiens se sont impliqués dans le combat politique. En Amérique centrale et en Amérique du Sud, la forte démographie autochtone et métis avait quand même permis aux Amérindiens de conduire des combats politiques pour leurs droits, leur culture et leur dignité civilisationnelle. C’est en revanche aux États-Unis et au Canada, probablement parce que les populations amérindiennes y sont très faibles et l’histoire de la soumission rude, que ces combats pacifiques et politiques ont commencé, conduisant par ailleurs l’ONU à reconnaître des droits à tous les Amérindiens. Des langues autochtones sont même devenues des langues officielles au même titre que l’espagnol, au Paraguay avec le guarani ou encore l’aymara et le guarani en Bolivie. Le problème de la restitution des terres au peuple autochtone et les différentes réformes agraires ont tendu les relations ici et là, et parfois le combat des Amérindiens s’est transformé en lutte identitaire révolutionnaire, prônant le retour des terres au peuple indien et parfois l’autodétermination.

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Dramatique et rude, la colonisation européenne a pratiquement anéanti les peuples amérindiens dans le nord de l’Amérique et violemment soumis les populations d’Amérique centrale et d’Amérique du Sud. Mis en servitude ou réduits à l’esclavage, souvent broyés et spoliés de leurs terres au profit des colons blancs, victimes de l’hécatombe infectieuse avec le typhus, la variole, la rougeole ou encore la peste bubonique, des millions d’Amérindiens ont été littéralement décimés. De nos jours et bien que le combat demeure toujours inachevé, les Amérindiens ont commencé à recouvrer leur dignité, leur honneur et ont fait prendre conscience à l’humanité de la grandeur de leur civilisation millénaire.

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Philippe Estrade.

Pluton-Magazine/ Paris 16/ janvier 2023

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