GRANDES CIVILISATIONS : LES CELTES, PREMIER PEUPLE MAJEUR EN EUROPE, IL Y A PLUS DE TROIS MILLE ANS

Par Philippe-Estrade auteur-conférencier

.

Installés en Europe depuis plus de 3000 ans au moins, ils ont su se sédentariser dans l’Ouest et le Centre du vieux continent et offrir bien plus que les clichés habituels véhiculés notamment sur les Gaulois, peuple celte. On peut réellement parler d’art de vivre et d’une civilisation qui s’est épanouie jusqu’à la domination du monde romain. Les Celtes constituaient plus un groupe de civilisation qu’une unité raciale et ethnique véritable, et étaient reconnaissables par leur apparence, leurs cheveux teints et brossés avec du savon dont ils furent les inventeurs, leurs tatouages et leurs braies, pantalons caractéristiques utilisés par les Gaulois ou les Germains. Venus d’Europe centrale et de l’Est et des confins de l’Asie occidentale, ils se sont surtout fixés dans l’Ouest du continent, la Gaule constituant le cœur géographique de leur implantation.

.

LA GRANDE MIGRATION DU PEUPLE CELTE

Ce sont les Romains qui ont appelé les populations celtes installées en Europe, les Galli que l’on traduit par Gaulois. D’ailleurs, ce mot a donné la variante Galates pour identifier les Celtes installés en Asie occidentale, notamment en Anatolie. À Istanbul, le quartier de Galata autour de la tour du même nom, qui a d’ailleurs donné le nom de Galatasaray, prestigieux club de football, est précisément issu des mots Galate et Gaulois.

Des tribus indo-européennes qui s’installent d’abord autour du Danube

Ils n’ont laissé que de très rares traces écrites, et leur histoire demeure encore assez mystérieuse. Il faudra donc attendre les récits des commerçants grecs et les faits relatés par les Romains pour mieux comprendre la culture celte et gauloise. Groupe indo-européen issu des confins de l’Asie centrale, ils se sont d’abord sédentarisés dans le cœur du continent vers 1200 avant J.-C., aujourd’hui la Hongrie, l’Allemagne, la Suisse et autour du Danube notamment, premières étapes de leur cheminement vers l’ouest, dans une période allant de la fin de l’âge de fer jusqu’à l’âge de bronze. Le groupe qualifié de Goïdels qui gagna alors les îles britanniques au second millénaire avant J.-C. a laissé des vestiges majeurs comme des vases et des tombeaux très caractéristiques. Le contact avec l’invasion cimmérienne au 8e siècle avant J.-C., installée autour de la mer d’Azov, leur fit découvrir la métallurgie du fer et en particulier les longues épées. Il semble que cela a probablement impulsé une aristocratie et une première chevalerie chez les Celtes.

La migration vers l’Europe atlantique

Les tribus et peuples celtes commencèrent alors une nouvelle étape de migration vers l’océan Atlantique et l’ouest de l’Europe, alors que la Gaule septentrionale avait été déjà partiellement pénétrée par des populations celtes déjà 1000 avant J.-C. et même plus au sud, jusqu’en Ibérie où subsistent d’importants vestiges de nos jours, dans les provinces des Asturies et de Galice en Espagne et dans le nord du Portugal. Probablement, la pression des peuples germaniques nouvellement installés et la perspective d’un climat océanique plus clément ont poussé les Celtes vers cette nouvelle migration à l’ouest. Le grand étalement celtique se produisit alors en Europe centrale et de l’Ouest. En Gaule, le commerce et une organisation sociétale épanouie apparurent dans la vallée du Rhône vers le 6e siècle avant J.-C. Le site archéologique de la Têne, situé en Suisse, donna le nom de civilisation de la Têne qui s’est épanouie du 5e siècle avant J.-C. jusqu’à l’arrivée des Romains en Gaule. Dès lors, les tumulus, amas de pierre et de terre enveloppant une sépulture, commercèrent à disparaître au profit d’autres modes de vie issus comme souvent de l’influence des peuples commerçants comme les Grecs depuis Marseille qu’ils fondèrent d’ailleurs mais aussi depuis les fleuves, notamment le Danube. Les Étrusques qui annoncèrent la future Rome commerçaient également avec la Gaule. Dès cette époque, aucune région de la France actuelle n’échappa à l’installation des Celtes qui parvinrent à se mêler aux populations mégalithes sur place. D’ailleurs, l’incontournable Jules César dira en 58 avant J.-C. « Ceux qui, dans leur propre langue, s’appellent Celtes, nous les appelons Gaulois. »

La répartition en Europe de l’Ouest

Gallia, la Gaule, fut le nom romain donné aux différents territoires celtes entre le Rhin et les Pyrénées, puis les Gaulois se « latinisèrent » au fil de la pénétration romaine dans le Nord-Ouest de l’Europe. Fixés dans toute l’Europe de l’Ouest, les Celtes de Bretagne, l’actuelle Grande-Bretagne, présentaient quelques disparités linguistiques. Mais les langues dites gaéliques, représentées en Ecosse, en Irlande et dans l’île de Man notamment, sont aussi issues précisément du socle celtique. Présente également dans la péninsule ibérique, en particulier dans la moitié nord de l’Espagne et du Portugal, la culture celte fut cependant moins attractive et prédominante qu’en Gaule et dans les îles britanniques. D’autres sources évoquent aussi une présence celte dans le nord de l’Italie mais la permanence d’une entité celte dans la région, bien qu’attestée partiellement, fait débat parfois.

UNE CIVILISATION ÉLABORÉE ET PERFORMANTE

Cela peut surprendre mais il faut renverser les clichés et les images d’Épinal. Les Celtes offrirent une civilisation élaborée et performante qui a surpris même César en personne. Les tribus éparpillées se soumirent très vite à un chef, un roi. Le commerce était dynamique, la dimension religieuse organisée et même raffinée. Comme dans toute société élaborée et structurée, les inventions et le progrès allèrent bon train. Le tonneau, le savon, la charrue et même l’art abstrait sont à mettre au crédit du talent et de l’ingéniosité celte.

Une organisation sociétale singulière et étonnante

Petit à petit, des assemblées d’hommes libres apparurent, surtout dès le 1er siècle après J.-C. puis sous l’occupation romaine. La population était particulièrement attachée à son terroir, et la notion de propriété avait une valeur souvent collective. Dispersés, les villages étaient reliés par des chemins entretenus et les places fortes ou oppidum offrirent refuges et lieux de rencontres en période de conflits, surtout face à la menace des peuples germains installés désormais dans l’Est de l’Europe. Des agglomérations avec des rencontres commerciales se développèrent à l’abri de leurs murailles de pierres soutenant de solides charpentes de bois. Par ailleurs, les Celtes, structurés et très culturalistes, ont beaucoup éclairé les autochtones qui apprirent systématiquement la langue celte. Ainsi, le brassage et l’assimilation se sont déroulés plutôt de manière naturelle et pacifiée.

Artisans et habiles commerçants

La civilisation celte correspond à l’âge de fer qui s’ouvrit sur le vieux continent à partir du 7e siècle avant J.-C., et jusqu’au 1er siècle de notre ère. Artisans habiles, les Celtes maîtrisaient alors parfaitement le fer qu’ils utilisèrent surtout pour la fabrication d’armes, notamment glaives et épées mais aussi de l’outillage et des parures destinées aux vêtements. Ils surent commercer avec les Grecs, déjà bien habitués à sillonner le bassin méditerranéen. Véritables empreintes de leurs échanges commerciaux, de nombreux objets précieux furent découverts dans les tombes de l’aristocratie, comme des bijoux de corail, des armes et des vases en bronze. La tombe de Vix située en Côte-d’Or et mise à jour par les archéologues en 1953, a révélé une défunte, probablement une princesse, parée de bijoux, sur un char, entourée de vaisselle de luxe. C’est dans cette tombe que l’on découvrit le vase de Vix de plus d’un mètre de diamètre, en bronze et de style grec, attestant les échanges, qui servait lors de banquets à mélanger l’eau et le vin avec des aromates.

Ce que nous ont laissé nos ancêtres

Notre héritage ethnique est riche, entre les populations néolithiques, puis les Celtes plus tard « romanisés », c’est-à-dire des Gaulois devenus gallo-romains et enfin les Germains. On leur doit beaucoup d’innovations qui ne se limitent pas au tonneau, à la charrue ou au savon mais aussi des villes fortifiées. L’architecture du bois, ils la maîtrisaient parfaitement et parler « d’architecture périssable » est une grande erreur historique car leurs structures pouvaient durer des centaines d’années. D’autre part, la qualité de fabrication des casques et des épées étaient réputée partout dans le bassin méditerranéen. Très recherché, leur artisanat maîtrisait parfaitement les différentes confections du fer et de l’or, fibules et agrafes destinées à fixer les vêtements, bijoux d’émaux dont la fabrication était d’ailleurs totalement inconnue des Grecs et des Romains.

Des guerriers redoutables

Comme chez beaucoup de peuples élaborés, être un guerrier était un honneur, et l’armée assurait ses recrutements comme au Moyen Âge avec une noblesse qui combattait à cheval. Légèrement vêtus, les soldats se battaient avec un bouclier, un casque métallique dont les cornes n’étaient pas systématiques, un glaive et un javelot. Le partage du butin obéissait à des codes assez rigoureux et s’achevait toujours par un banquet qui a d’ailleurs donné une mauvaise réputation aux Celtes, celle de buveurs et d’ivrognes. Ils furent aussi des mercenaires qui s’engageaient souvent dans les conflits méditerranéens jusqu’en Égypte parfois où certains même se sont hellénisés sous le règne des Ptolémées et de Lagide.

Les oies du Capitole à Rome

Les Celtes pouvaient aussi être des conquérants et pilleurs intrépides. Ils sont allés jusqu’à Delphes en Grèce, en 279 avant J.-C. et multipliaient les raids en Italie, mais c’est surtout le pillage de la Rome naissante en 390 avant J.-C. qui offrit un épisode bien connu de leur audace, avec à leur tête le chef Brennos ou Brennus en latin. La chronique raconte que les Romains qui résistaient aux Gaulois depuis la colline du Capitole furent prévenus de l’attaque par le chahut des oies. Exigeant 300 kg d’or pour quitter Rome, les Gaulois fixèrent de faux poids dans la balance pour bien alourdir ainsi le tribut des Romains battus. Face à leur colère devant la fourberie gauloise, Brennus s’écria alors « Vae Victis » que l’on traduira par « Malheur aux vaincus » !

Le clergé des druides

Cette haute autorité, apparue néanmoins assez tardivement dans l’épopée celte, vers le 2e siècle avant J.-C., arbitrait les conflits entre tribus celtes et gauloises dans l’actuelle France. La conscience ésotérique et la puissance de l’au-delà caractérisaient les druides qui suscitaient respect et admiration. Particulièrement instruits, les druides, dotés d’une grande sagesse, étaient hostiles aux conflits et à l’effusion de sang et permettaient à la jeune noblesse de s’éduquer. Le savoir des druides, bien protégé, était transmis par voie orale à une minorité élitiste. Leur influence culturelle et religieuse sur le fonctionnement de la société celte et ses chefs surprit les Romains qui se méfièrent alors de l’autorité druide, considérée comme protectrice des valeurs de la civilisation gauloise, en quelque sorte une forme de nationalisme celte. Célébrissimes parmi les nombreux lieux de cultes et de rencontre entre druides, le site de Mona à Anglesey dans le Pays de Galles et la forêt des Carnutes dans l’Orléanais leur permettaient de se réunir en assemblées pour élire les plus prestigieux d’entre eux dans des groupes hiérarchisés. Le calendrier religieux écrit en celte et retrouvé à Coligny dans l’Ain, en fait une table de bronze, a permis d’identifier les grandes fêtes religieuses. Le panthéon des dieux celtes s’articulait autour de valeurs cosmogoniques révélant une variété de dieux, notamment Teutatès, le dieu de la tribu, connu sous le nom de Toutatis par les lecteurs d’Astérix. La déesse-jument Rhiannon-Epona et Cernunnos, le dieu au maillet représenté cornu, constituaient des idoles populaires.

En fait, la mythologie gauloise était plutôt pauvre, en tout cas limitée par rapport au panthéon gallois ou irlandais, beaucoup plus polythéiste et développé. Cela dit, le celtologue belge Claude Sterckx fit preuve d’une certaine sévérité sur la représentation des Celtes au cinéma et dans la bande dessinée comme Astérix qu’il jugea comme « une caricature de tous les poncifs ».

Avant la conquête romaine, la Gaule était dynamique et connaissait un développement remarquable. En Gaulle, organisés en petits états qui partageaient une même culture mais qui pouvaient parfois entrer en conflit, c’était une soixantaine de peuples qui cohabitaient sur un territoire des Pyrénées à la Belgique. L’aristocratie guerrière dominait la civilisation celte, et la royauté dominante bien avant l’arrivée des Romains s’effaça progressivement au profit d’un système doté d’un Sénat où siégeaient les familles puissantes. L’invasion romaine mit progressivement un terme à la remarquable civilisation celte et gauloise par le métissage culturel qui fit désormais des Gaulois des Gallo-Romains jusqu’au brassage ethnique germain qui suivit avec les Francs, Alamans, Burgondes ou autres Wisigoths au 5e siècle.

.

Par Philippe Estrade.

Pluton-Magazine /Mars 2022/Paris 16

Laisser un commentaire

*