ENTRE LES LIGNES-D- : La dame d’Alexandrie de Yasmine KHLAT

Par Dominique LANCASTRE

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C’est au pays du cèdre, le Liban, que nous entraîne Yasmine KHLAT avec sa dame d’Alexandrie. Avec son écriture poétique et rêveuse, Yasmine KHLAT nous fait rêver à chaque page en nous faisant palper l’atmosphère et en nous présentant en filigrane ses deux personnages, Claire et Hortense avec son perroquet Onyx. Claire a répondu à une annonce de Paris. Une certaine Hortense, dame d’un certain âge, recherche une assistante pour l’aider à terminer la rédaction de sa thèse sur un sujet assez particulier : le suicide récurrent dans une famille. Il semblerait que certaines familles traversent ces périodes douloureuses où des membres se donnent la mort.

Nous rentrons très vite dans ce roman car l’écriture de Yasmine KHLAT nous transporte, nous berce. Il n’est pas rare de revenir sur des passages que nous relisons avec plaisir car de toute beauté. Il y a de la poésie et une manière de présenter l’histoire qui charme le lecteur.

L’histoire se déroule dans un couvent, un lieu assez atypique. Il n’y a pas vraiment une description intense de ce couvent. L’auteure se concentre sur ses deux personnages. Une très calme Hortense qui vit au rythme du couvent donc avec une certaine lenteur à réagir et à vouloir livrer le contenu de l’histoire de cette famille. L’autre, Claire, est parisienne ; venant d’une ville qui bouge en permanence et où les gens font preuve d’impatience, elle a du mal à suivre le rythme d’Hortense. Cette dernière ne comprend pas toujours pourquoi Claire veut aller vite étant donné que c’est elle qui l’a recrutée et que c’est elle qui raconte à sa façon cette histoire. Hortense trouve toujours un moyen pour couper court à cette impatience et passer à autre chose tout en gardant le fil de ce qu’elle raconte.

Au fur et à mesure que l’histoire se déroule, Yasmine KHLAT met en exergue la relation entre ces deux femmes et le lecteur est emporté par cette stratégie qu’a mise en place Yasmine KHLAT dans la façon de dévoiler certaines informations. Et cette stratégie passe par le choix des mots, la description de certaines scènes qui éclairent le lecteur sur l’endroit où se passe l’histoire.

Ce sont pratiquement de scènes de film. On sent le regard derrière la caméra de Yasmine KHLAT.  Il ne faut pas oublier que Yasmine KHLAT a fait des études de cinéma et sans doute cela influe beaucoup son écriture dans ce roman. C’est un roman qui marque l’esprit du lecteur comme certaines scènes de film marquent l’esprit.

On imagine, on voit, on sent. Les cinq sens du lecteur sont titillés dans ce roman.  Il y a ce côté rêveur de la part de l’auteur mais il n’y a pas que cela. Il y a surtout cette écriture poétique qui revient sans cesse à chaque chapitre.

Le thème du suicide est mentionné au début. On aurait pu croire à un roman très noir et qui nous entraîne dans les méandres de la dépression suicidaire. C’est complètement l’opposé. C’est un roman qui nous transporte grâce à la force de l’écriture de l’auteure qui distille des informations sans saturer le lecteur.  C’est cette atmosphère qui rend le roman intéressant d’un point de vue créatif. L’auteure joue avec la langue et le lecteur adhère à son histoire. C’est le rôle de la romancière,  comme le disait Doris Lessing, le prix Nobel de littérature. :

In the process of writing, the more story cooks, the better.

Dans le processus d’écriture, plus l’histoire se prépare, mieux c’est.

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Et, j’ai envie de rajouter que dans le cadre de La dame d’Alexandrie, plus le lecteur lit, plus il apprécie l’écriture de Yasmine KHLAT qui va même à l’envoutement.

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Par Dominique LANCASTRE. Pluton-Magazine abécédaire. Entre les lignes 2023.

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La dame d’Alexandrie est publié aux Éditions Elyzad, ISBN 0782492 270 543, 120 pages au prix  de 15 euros. Yasmine KHLAT Lauréate du Prix littéraire Parité Assurance

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Extrait

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[…] Ce jour-là, après le déjeuner, je la regardais s’éloigner dans les couloirs, à la fois ronde et chétive. Petite. Et me posai à nouveau cette question : qui était-elle exactement ? Et pourquoi menait-elle cette soi-disant recherche ? Madame Hortense Zemina d’origine égyptienne et italienne. Avait-elle comme je le pensais un lien de parenté avec la famille du dossier vert ? avait-elle peur des révélations et des éclaboussures ? Comment ouvrir un dossier où tout le monde est innocent et donc, par la même règle générale, tout le monde coupable ? Voilà la question que je me posais alors qu’elle s’éloignait à petits pas, dans l’ombre du couloir, presque voutée. Madame Hortense Zemina. Comment n’y avais-je pas pensé plus tôt ? Quel pont reliait ses deux origines ? Et quel lien avait-elle avec ce groupe familial, heureux et bronzé qui, dans les années cinquante, buvait des bières et fumait des cigarettes blondes sur cette plage d’Alexandrie, tandis que le soir se mêlait à l’écume ? […]

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Auteure

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Yasmine Khlat est née en 1959 à Ismaïlia (Égypte). Elle a vécu au Liban, où elle a entamé une carrière dans le cinéma en tant que comédienne et réalisatrice. Depuis 1986, elle réside à Paris et se consacre à l’écriture. Elle a notamment publié Le Désespoir est un péché (Seuil, 2001), Prix des Cinq Continents de la francophonie, Égypte 51 (Elyzad, 2019), finaliste du Prix de la Littérature arabe, et Cet amour (Elyzad, 2020). (Source Éditions Elyzad)

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Par Dominique LANCASTRE. Pluton-Magazine abécédaire. Entre les lignes 2023.

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