Par Dominique LANCASTRE
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Le roman s’ouvre sur une scène digne d’un film qui, on le sent, va nous happer dès le début. C’est exactement ce qui se passe avec Le violon d’Adrien. Gary Victor, auteur Ô combien connu et surtout très lu dans son pays, nous revient avec cette brillante histoire à la fois surprenante et remarquable.
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» Jésus ! Je n’aurais pas dû l’inscrire à ce cours de musique. Je ne pourrai pas lui acheter un violon. Ce n’est pas hors de prix, mais pour moi il l’est. Je ne sais quoi faire. J’aime tellement mon Adrien. Je le verrais bien un jour en concert comme Monsieur Benjamin. » Elle sanglotait ma mère et c’était à cause de moi.
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Le livre prend comme protagoniste ce jeune Adrien de 14 ans dont le rêve est de devenir violoniste dans un pays où la chance de devenir musicien dans cette catégorie-là est pratiquement infime. Comment réaliser ses rêves lorsqu’on est pauvre mais qu’on sait qu’on a du talent ?
La mère d’Adrien, Marthe Chanson, est couturière et son père est enseignant. Ils ne vivent pas ensemble, le couple n’est pas marié. Et le père d’Adrien ne cache pas sa passion pour la gent féminine. Gary Victor souligne ici un cas très fréquent que l’on retrouve dans les Caraïbes. Malgré tout, le couple se maintient tout en faisant face aux vicissitudes de la vie.
Le roman pourrait se diviser en deux parties parallèles. D’une part, le lecteur s’attache rapidement à la situation d’Adrien, en se demandant s’il va réussir à avoir ce violon car il est doué. Et tout en épousant la cause de ce jeune Adrien, Gary Victor nous distille en filigrane les aspects sociétaux d’Haïti. La jalousie est soulignée, une jalousie qu’Adrien ne comprend pas lorsqu’il se fait agresser par des amis qui pourtant reçoivent le même enseignement que lui de la part de Monsieur Benjamin, personnage dont vous allez découvrir l’importance, sans monsieur Benjamin, pas d’histoire.
C’est un épisode important dans la construction du roman puisqu’en réalité, dans ce monde-là, l’auteur tient à nous faire savoir que parfois les ennemis sont les gens de notre propre communauté. Bien sûr, ce sont des gamins mais ce n’est qu’un subterfuge pour nous décrire ce qui se passe chez les adultes et à un niveau plus élevé.
Mais il y a la volonté de montrer une jeunesse qui se bat. Pour Adrien, le fait de vouloir travailler même en sachant qu’il n’aura jamais assez d’argent pour faire venir ce violon de l’étranger est très positif et très honorable. Gary Victor met en exergue la volonté de la jeunesse de s’en sortir et de ne pas attendre que les choses se passent. Adrien est en fait un exemple pour tous les jeunes Haïtiens.
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« Notre drame à nous, de la classe moyenne, c’est que nous n’avons jamais pensé à travailler par nous-mêmes. Nous voulons être fonctionnaires, pire, politiciens. Voilà tout notre univers. Tu apprendras beaucoup en travaillant chez Monsieur Nino. »
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D’autre part, l’auteur nous dépeint une situation politique que nous connaissons bien à propos d’Haïti. Il met en scène un président nommé à vie que tout le monde craint et des bandes de voyous qui n’hésitent pas à magouiller. Mais c’est là que le génie de l’auteur se fait ressentir. Nous naviguons dans un monde presque irréel. Un monde sans forme, un monde fantasmagorique.
Cependant, cette non-réalité est très importante. L’auteur veut s’en doute nous faire comprendre que sur le plan politique, par moment le pays tout entier nage en plein délire. Un délire qui ressemble à un cauchemar tellement la situation est chaotique. C’est loin d’être une fantaisie littéraire mais un procédé tout à fait remarquable pour nous faire palper de l’intérieur la situation politique du pays.
L’histoire est abordée du point de vue d’Adrien qui n’a que 14 ans et dont les péripéties nous font parfois sourire car empreintes de naïveté mais parfois nous crèvent le cœur. C’est un roman qu’on lit du début à la fin d’un seul trait car l’auteur a ficelé son histoire d’une telle manière qu’il nous est impossible de déposer le livre. C’est le but de la littérature que de nous tenir jusqu’à la dernière page et de nous faire apprécier le niveau rédactionnel de l’auteur. Bravo Gary Victor !
Le violon d’Adrien, un roman à lire aux éditions Mémoire d’encrier.
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L’Auteur
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Né à Port-au-Prince en 1958, Gary Victor est le romancier haïtien le plus lu dans son pays. Outre son travail d’écriture, il est aussi scénariste pour la radio, la télévision et le cinéma. Ses romans explorent sans complaisance aucune le mal-être haïtien pour tenter de trouver le moyen de sortir du cycle de la misère et de la violence.
Il a obtenu le Prix du Livre insulaire à Ouessant (2003) pour À l’angle des rues parallèles, le Prix RFO (2004) pour Je sais quand Dieu vient se promener dans mon jardin, le Prix littéraire des Caraïbes (2008) pour Les Cloches de la Brésilienne et le Prix du Rayonnement de la langue et de la littérature françaises, Académie Française.
Il est aussi Chevalier de l’Ordre national du Mérite. Il a publié plusieurs romans chez Mémoire d’encrier, dont Le violon d’Adrien (2023), Masi (2018), Nuit albinos (2016), Cûres et Châtiments (2013), Maudite éducation (2012), Soro (2011), Saison de porcs (2009) et dans l’édition poche LEGBA, Treize nouvelles vaudou (2023). ( Source Mémoire d’Encrier)
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Par Dominique LANCASTRE
Pluton-Magazine 2024