Par Patricia MASTAIL
Tout un univers… Un orfèvre d’art
L’artiste peintre Ricardo Ozier-Lafontaine présente son exposition « RESET », au François en Martinique, du 25 mai au 18 juillet 2018, à la Fondation Clément, à la Cuverie et la salle Carrée. Cet artiste de talent livre ses créations aux regards du grand public. Une collection exceptionnelle présentée dans un univers et un imaginaire propres à l’artiste.
Ricardo se révèle à travers ses oeuvres, avec des tracés bichromiques en noir et blanc. Ces tracés allient des formes, des techniques de points, entre pleins, déliés, lignes courbes… Ses personnages hybrides interpellent et nous renvoient à nos influences africaines et surtout amérindiennes. Comme une empreinte, il offre à la vue des oeuvres magnifiques qui révèlent ombre et lumière. Impressionné, on ne peut que l’être devant cette profusion de détails, ce travail de précision empreint de génie artistique. Expression libre dans un tracé automatique, les oeuvres de Ricardo Ozier-Lafontaine se déclinent à l’infini.
Ce martiniquais qui a fait ses études à l’ISCOM Paris en communication visuelle et publicitaire travaille comme éducateur spécialisé de l’enfance en danger. C’est en pleine promotion de son exposition que nous retrouvons Ricardo qui nous accueille avec gentillesse.
P.M. : Dès votre enfance, vous baignez dans un environnement propice à la création et à l’expérimentation. Cela vous a-t-il aidé dans votre parcours ?
Je suis né dans un atelier. Avec une mère plasticienne, j’ai été plongé très tôt dans l’univers de création et de réflexion, avec aussi une prise de conscience d’une identité martiniquaise forte, mais en même temps ouverte sur le monde.
P.M. : On ressent dans vos oeuvres des influences africaines et surtout amérindiennes… Qu’est-ce-qui caractérise votre univers ?
En réalité, ce qui caractérise mon univers, est un langage universel propre à la nature humaine. Les influences socioculturelles sont bien là. Mon art se veut être accessible à tous. Je ne veux pas m’enfermer dans cette question de l’identitaire. Je fais partie d’une génération qui propose autre chose, une affirmation caribéenne fondamentale qui se veut aussi universelle avec des pratiques artistiques contemporaines.
P.M. : Quel mode d’expression et quel langage pictural ? Le dessin est un élément présent dans vos fondamentaux. Le noir et le blanc omniprésents dans vos oeuvres ? Et vous avez une technique très singulière ?
La première spécificité de mon travail, est le va-et-vient permanent entre le dessin et la peinture. La deuxième particularité, est un travail à l’aveugle. Sur les grands formats, sur la toile roulée, je crée sans avoir une visibilité complète de la surface. Je travaille à plat, latéralement de haut en bas et je déroule au fur et à mesure. La troisième caractéristique est le choix du noir et du blanc, parce que c’est pour moi une façon de sortir d’une esthétique imposée avec une codification qui me gêne. J’ai voulu investir une pratique pour casser cette dynamique avec une esthétique qui se veut être ambivalente, à la fois simple et compliquée, afin d’être comprise de tout le monde. Le noir et le blanc restent une façon de toucher l’universel et d’intéresser tous les regards. La quatrième particularité, est l’utilisation des techniques modernes de peinture une fusion entre la peinture acrylique hybride et la peinture classique.
P.M. : Quels messages souhaitez-vous véhiculer à travers votre art?
La recherche d’une nouvelle vision de la vie et de la société. Une place prépondérante à la création, afin de mieux appréhender les moments difficiles de la vie et un besoin de revenir à l’essentiel.
P.M : « RESET », une exposition appréciée du grand public. « Une cosmogonie, un récit de création de l’univers ». Pourquoi ce titre?
RESET, comme l’ordinateur, on redémarre une nouvelle configuration. On force l’arrêt pour avoir une nouvelle configuration qui permet de travailler. RESET est un parallèle que j’ai fait avec la société, véritable monde de blocages. On recrée un monde avec les valeurs que je souhaite véhiculer : la tolérance, la place de la spiritualité, le retour à l’essentiel… RESET est une manière de me défaire d’un trop plein d’influences. Je tente de tout oublier tout et je recommence à zéro.
P.M. : Une exposition tout en noir et blanc, un choix. Particularité, en fin de parcours le visiteur découvre le dernier tableau en rouge et noir. Pourquoi ? Et ce point rouge qui revient dans chacune de vos oeuvres ?
La toile rouge représente dans l’exposition, l’aboutissement d’un parcours de séries de toiles. On raconte une histoire de la création du monde et puis intervient le dénouement. La toile rouge représente ce dénouement. Elle est aussi le lien avec toutes les autres toiles qui comportent un point rouge et elle représente aussi l’avenir sur le plan technique et celui de la pensée. Après une exposition, on est dans un éternel recommencement.
Quant au point rouge, il est là pour susciter le questionnement des visiteurs. Il créé du lien avec l’artiste. Tout le monde me pose la question de sa signification. Ce point rouge neutre scelle mon oeuvre comme une lettre postale.
P.M. : A travers cette exposition, quels thèmes sont explorés en particulier ?
La peinture automatique révélatrice de mémoires oubliées. Nous ne sommes pas assez conscients des mémoires qui nous habitent. A travers une peinture automatique, les traces de ces éléments resurgissent. Deux notions reviennent l’origine et la guérison.
P.M. : Quels sentiments et émotions se dégagent de vos oeuvres ? Comment les appréhender ?
Ma peinture est une vraie contradiction. On peut éprouver plusieurs sentiments en même temps, de satisfaction, de bien-être, d’un trop plein. C’est tout cela à la fois. Il y a aussi une dimension onirique, cela suscite des choses très personnelles. Mais le public est plus apte à en parler.
P.M. : Quelles séries sont mises en valeur. Quelles particularités ? Quelles originalités ?
Le travail automatique a fait émerger un travail très graphique, dense, où toute la surface de la toile est colonisée. Il a mis en évidence des petits personnages, êtres hybrides, qui prennent de la place dans le magma de signes retrouvés sur mes toiles. Pendant plusieurs années, j’ai cherché à investir cette peinture et à extirper ces personnages de la toile pour leur donner vie autrement. Quatre séries se complètent. J’ai ainsi cherché à décrire les écritures intérieures avec la série Le vivant. Dans la série Les signes j’extirpe les personnages pour leur donner vie dans une scène de vie aléatoire. Ces personnages entrent en dialogue et en résonance, ils se parlent. Ils portent en eux tout ce travail automatique d’un corps reconstruit. Cette série mène vers la série Les villes qui sont comme des cartographies et topographies. Avec ses villes, on a une proposition de structuration et puis vient le chaos. On arrive à la série Le réel, où on a une synthèse des trois premières séries. On sort des aplats pour revenir à des choses spontanées mais toujours avec la peinture automatique.
P.M. : Que représente la série sur les intercesseurs et pourquoi cette mise en espace particulière ?
Ce sont des personnages que j’ai extirpés en les montrant seuls. La dimension de ces oeuvres s ‘est imposée d’elle-même. Au niveau de la scénographie, nous avons fait le choix de les présenter dans un lieu épuré comme un lieu saint, spirituel et apaisé. Ces personnages semblent être posés en lévitation. Ces oeuvres sont présentées dans une unicité avec un dosage de lumière afin de leur donner ce côté mystérieux et mystique.
P.M. : C’est la première fois que vous exposez à la Fondation Clément. Un lieu prestigieux. Comment prépare-t-on une exposition de cette envergure ?
Pour la mise en oeuvre de cette exposition à la Fondation Clément, nous avons été placés dans des conditions exceptionnelles. Il y a une vraie ingénierie mise en place pour montrer un travail au niveau de l’international, avec une scénographe, une équipe technique, une équipe son et lumière, un service de communication rôdé. Pour le commissariat de l’exposition, j’ai choisi pour m’accompagner de faire appel à Matilde Dos Santos, Critique d’art de l’AICA, Association des Critiques d’Arts (section sud). Cela a été un vrai choix, elle est linguiste, elle ressent et suit mon travail. J’ai fait le choix également de proposer au public le regard de Benoit Bérard, archéologue et spécialiste des cultures amérindiennes de la caraïbe.
P.M. : Le visiteur est subjugué par la beauté et la précision de votre travail. Quels retours ?
Les retours sont positifs. Les visiteurs sont étonnés par la richesse et la densité du travail. Ils veulent connaître le délai de création pour chaque toile. Lorsque l’on crée, il faut perdre cette notion de temps. Enfin, je dirai que cette exposition est aussi un message pour les jeunes. Le talent ne s’apprend pas. Il faut de la rigueur, de la constance, de la pratique. C’est en ce sens que je me suis professionnalisé avec toute l’ingénierie que cela suppose.
P.M. : Vous êtes un artiste engagé dans la transmission du savoir et de votre passion. Ricardo, qu’est-ce qui vous motive ?
Nous avons une esthétique caribéenne forte. Je suis dans un questionnement permanent. Y-a-t-il réellement une esthétique caribéenne ? Comment se traduit-elle ? … Caribéen et fils de la Martinique, avec le peu d’éléments dont je dispose, je décide de produire, car l’esthétique caribéenne doit être préservée. Notre ouverture sur le monde peut faire que notre esthétique caribéenne se noie dans un trop plein d’influences, d’images, d’icônes. S’ouvrir sur le monde, mais préserver nos esthétiques.
P.M. : Quel a été le moment le plus marquant de votre carrière d’artiste ?
Une exposition au Mémorial Act en Guadeloupe où j’ai eu à côtoyer nombre d’artistes de renommée de la Caraïbe et du monde. J’y ai représenté la Martinique en ma qualité d’artiste. Cette une exposition qui représentait à mes yeux, une dynamique dans laquelle la Martinique doit s’inscrire.
P.M. : Sur ce point, quelle vision avez-vous des problématiques qui touchent les artistes plasticiens en Martinique ?
Deux problématiques majeures sur lesquelles les institutions doivent agir impérativement, en répertoriant les oeuvres de nos artistes et en favorisant l’accès à ces oeuvres avec la création d’un Musée d’Art contemporain.
P.M. : Après la Fondation Clément, quelle prochaine étape ?
Beaucoup de projets en perspective. J’ai établi des contacts sur les Etats-Unis.
Je pense faire des résidences à travers le monde. En Martinique, je projette de collaborer avec des femmes artistes de talent, pour rendre davantage visible leur travail. Donc de nouvelles créations, expériences et rencontres… Allez, on ose RESET ! (rires).
EN TOUTE CONFIDENCE
Qualités : généreux, fidèle.
Défauts : orgueilleux, impulsif.
Passions : la peinture, la musique, surtout le jazz.
Ce qui vous inspire : mes enfants et surtout ma mère. Leurs travaux m’ont amené inconsciemment vers d’autres pratiques.
Oeuvre favorite : La Jungle de Wilfredo Lam
Artistes, coups de coeurs des dernières années : Avishai Cohen, Alfredo Rodriguez, Grégory Privat.
Citation : « Il faut savoir s’endurcir sans jamais se départir de sa tendresse ». Che Guevara.
COMMISSAIRE DE L’EXPOSITION : MATILDE DOS SANTOS
Extrait
Le verbe reset en anglais a plusieurs sens allant de la réinitialisation d’un ordinateur à la réduction d’une fracture. Il évoque pour Ricardo Ozier-Lafontaine, deux notions intimement liées dans son œuvre : l’origine et la guérison.
RESET est une cosmogonie, un récit de la création de l’univers, qui permet autant d’expliquer que de régénérer le monde. Partant du dessin automatique, porté par une sorte de transe artistique, l’artiste réalise un travail à la fois acharné, minutieux et intuitif. Émergent ainsi des mémoires oubliées, des ressentis intimes, formant le récit de la lutte entre la lumière et l’obscurité, entre l’ordre et le désordre. Le désordre du monde est peut-être celui du cosmos ou peut-être celui intime de l’artiste.
Dans les deux cas, le long de séries qui dérivent de proche en proche, Ricardo Ozier-Lafontaine met en lumière la tension incessante entre l’irruption du chaos et les tentatives de le structurer et de l’organiser.
GALERIE PHOTOS
Rédactrice Particia MASTAIL
Secrétaire de rédaction: Colette FOURNIER
Pluton-Magazine/Martinique/2018
Crédit photos: J.B BARRET, G.GERMAIN, Hélène RAPHESTIN
A DECOUVRIR
« RESET » – Exposition personnelle – Ricardo Ozier-Lafontaine
25 au 18 juillet 2018
Fondation Clément
LA CUVERIE – SALLE CARREE – Le François – Martinique
EN SAVOIR PLUS
Site Ricardo Ozier-Lafontaine
https://www.ricardozierlafontaine.com
Exposition
Catalogue
https://fr.calameo.com/read/003222559c0bbbb272603