Entre les lignes (26): La Tentation du Désert de Michèle Jullian.

Par Dominique LANCASTRE

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Par Dominique Lancastre.

Une fois n’est pas coutume, je commencerai par la structure du roman qui est un peu spéciale et fait son charme par ailleurs.

La tentation du désert se divise en deux parties mais ces deux parties ne sont pas distinctement annoncées. La première partie est la confession de Lucy à son amie d’enfance Gabrielle. Et la deuxième partie est une enquête menée par Gabrielle sur la mort subite de son amie Lucy. Le livre est construit avec des petits chapitres, ce qui permet au lecteur de suivre assez facilement le déroulement de l’histoire sans se perdre.

 Mais ce qui est étonnant, ce sont les citations, au nombre de 27, chaque chapitre commence par une citation qui pousse évidemment le lecteur à s’interroger car Michele Jullian n’a pas placé ces citations pour faire joli. Il existe évidemment une cohérence entre la citation et ce qui va être annoncé dans le chapitre. Avant de rentrer dans le vif du sujet, je vous invite à faire connaissance avec les trois personnages importants dans ce roman.

Nous avons Lucy, Gabrielle et Anzar. Alors, quelques mots sur chacun de ces personnages Tout d’abord Lucy. Si les deux autres personnages sont vivants, Lucy est morte et nous ne la découvrons que par rapport à la longue confession qu’elle laisse à Gabrielle.

Lucy est fleur bleue et très fragile psychologiquement. Elle l’a toujours été puisque nous apprenons par Gabrielle qu’elles sont allées en classe ensemble. Donc, c’est une amie d’enfance.  C’est un personnage idéal pour un pervers narcissique car d’entrée de jeu il peut déceler ce côté psychologique fragile. Anzar Ithri s’est enfoncé dans cette brèche psychologique avec une grande facilité. Lucy se rend compte de sa faiblesse mais est incapable de la surmonter.

Gabrielle, elle, est l’opposée de Lucy. Elle voit les choses très clairement et lorsqu’elle se lance sur les traces d’Anzar Ithri pour comprendre ce qui s’est passé, elle le fait avec minutie. Elle a même un plan et essaie par tous les moyens de ne pas éveiller les soupçons d’Anzar Ithri. Si on se prend de compassion pour Lucy, c’est Gabrielle qui raconte l’histoire et elle est le centre principal du roman. Le lecteur se demande à tout moment ce qu’elle va encore mettre à exécution. Elle tient le lecteur en haleine et donne vie au roman.

Anzar Ithri est un personnage que Michèle Julian rend antipathique mais pas tout à fait détestable. Il est ambigu même avec son pays et il se sert d’une certaine façon des incohérences qu’il voit dans la religion. C’est un pervers narcissique et comme tous les pervers narcissiques, il n’a jamais rien fait, ce sont les autres qui se laissent faire et tombent dans ses bras. Anzar Ithri est guide touristique et malgré son côté antipathique, il nous permet de découvrir l’univers berbère. Car la tentation du désert, c’est aussi une façon de découvrir le Maroc et ses ambiguïtés.

Pour découvrir ce roman fort intéressant, très riche en informations et qui se laisse lire avec une très grande facilité, je vous invite à prendre connaissance du questionnaire soumis à l’auteur.  Michèle Jullian nous répond :  

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1 – Structure du roman et ses 27 citations

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Une fois la ligne narrative trouvée, l’écriture de LA TENTATION DU DÉSERT s’est construite sur la dualité :  entre volupté et clandestinité, vengeance et pardon, libertinage et hypocrisie, peur et désir.

C’est aussi un récit à deux voix celle de Lucy l’amoureuse et celle de Gabrielle, la baroudeuse, − avec leur double regard sur le personnage masculin d’Ithri le Berbère.

Depuis leur enfance à Villeneuve-d’Asq, Lucy et Gabrielle sont éprises de poésie : Baudelaire, Rimbaud, et surtout Apollinaire et ses « poèmes à Lou ». Marcel Jullian me les avait chuchotés lors nos premières rencontres. Il éditait alors un opuscule distribué en kiosque, avec – sur un thème donné − des poèmes célèbres mêlés à ceux de néophytes. Il avait également écrit une « Anthologie de la poésie ». C’est une façon de lui rendre hommage.  À ces citations de poètes et d’écrivains, j’ai mêlé les voix de Touaregs, de Kamel Daoud, d’Omar Khayyâm et puis d’Orwell, Nietzsche et quelques autres, en passant même par celle de Michel Sardou.

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2 – Ce n’est pas la première fois que le thème pervers narcissique est utilisé dans vos romans

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En fait, le seul roman qui aborde réellement le thème du pervers narcissique (c’était « une » d’ailleurs), c’est dans LE VELOURS DE L’ENFER. Ici, Gabrielle se pose des questions sur celui qu’elle tient pour responsable de la mort de son amie. Elle démontrera au cours du récit qu’il n’est pas vraiment pervers narcissique, mais plutôt une sorte de séducteur compulsif, de vampire amoureux.

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 3 – Vous semblez jouer avec le bien et le mal, le paradis et l’enfer. Pourquoi cette fascination ?

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Toujours la dualité. Dans ses extrêmes. On retrouve ces thèmes chez les poètes maudits.  Les fleurs du mal, Les paradis artificiels de Baudelaire, Une Saison en Enfer » de Rimbaud.

Lucy veut tout et ne s’en cache pas, elle le clame à Ithri : « Je veux la sagesse et la folie, le rire et les larmes, les mots et les silences, les départs et les arrivées ». Elle ajoute même : « Je veux aussi ton âme et ton « abelou » », l’amour et le sexe. »

Ithri, avec la volupté de sa poésie bancale et sa beauté du diable, est celui qui détenait pour elle les clés de l’enfer et du paradis.

Tout le long de l’écriture j’écoutais la chanson de Brel en quête de l’inaccessible étoile (Ithri c’est étoile en berbère).

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4 – Ce roman est très documenté historiquement, quelle est votre façon de procéder ?

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Les deux personnages féminins sont nourris des histoires d’Ithri, le self-made nomade, histoires personnelles qui font référence à l’histoire du Maroc et à celle des Berbères (La « Bataille de Saghro » à laquelle participe un de ses grands- pères, « La. Marche Verte de 75 » à laquelle participe son père. Les souvenirs de sa grand-mère touarègue). Il est une source inépuisable de connaissances, tant pour les lois islamo-marocaines dont il souffre l’extrémisme, que pour les « Ahidous », et les « izlan », ces expressions musicales traditionnelles Amazigh. Il m’a suffi ensuite de vérifier dans les livres d’histoire.

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5 – Page 177, vous dites que vous avez changé les noms des protagonistes. Est-ce que vous avez connu celle qui joue le rôle de Lucy. Est-ce une histoire vraie ?

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En fait, ce roman est l’histoire de Lucy, racontée par Gabrielle. Celle-ci décide donc de changer les noms qu’Ithri a confiés à Lucy.

Dans la réalité, je suis Lucy et Gabrielle. Tout est vrai, tout est faux, comme toujours dans mes romans. J’aime garder cette ambigüité. Chaque mot, chaque conversation, chaque confidence d’Ithri ou des personnages rencontrés sont rigoureusement exacts. C’est important. Que ce soit sur les lois du pays, l’influence de l’Islam, le poids de la religion sur la femme. J’ai fait de la mise en scène autour de ces 4 thèmes majeurs : l’amour, la mort, la vengeance, le pardon… et les ai installés dans le décor réel que je connais bien maintenant (pour être allée 9 fois au Maroc en 2 ans) :  celui de l’Atlas et du Sahara.

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6 – Le Maroc semble tenir une place importante dans votre cœur

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Je suis tombée amoureuse de tous les pays dont j’ai fait les décors de mes romans : Thaïlande, Malaisie, Birmanie, Venise. Le Maroc n’échappe pas à la règle. Une passion de l’intérieur pour un homme et sa culture Amazigh et une passion photographique pour ses décors volcaniques et la nudité de son désert. « Le désert se dénude à l’infini tandis que l’Islam, voile le corps des femmes », explique Gabrielle.

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7 – Vous parlez beaucoup de sexe dans ce roman. Pourquoi avoir pris ce thème avec l’Islam ou plutôt un décor musulman comme trame ?

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Quand on connaît le Maroc en tant que voyageuse solitaire, c’est une évidence. Oublions les quelques villes touristiques. Le Maroc profond, donc berbère, souffre du manque de distractions culturelles, de cinéma et de librairies, il souffre surtout de tous les interdits liés à l’Islam.  Pas d’alcool, pas de petite amie, pas de mixité ; hommes et femmes sont en permanence soumis au regard de la société marocaine. On sait depuis toujours que plus une chose est interdite plus elle devient hantise obsédante : sexe, libertinage, alcool. Sur les Smartphones, Uporn est « le » dérivatif des hommes seuls la nuit, une façon pour eux d’enrichir leur vocabulaire. Et d’en user comme de mots ordinaires. L’influence de la pornographie est évidente dans les bleds.

D’autre part, la culture berbère est une culture de l’oralité, les Berbères ont ce don particulier de l’éloquence, cet art des mots qui flattent, qui rendent amoureux, qui créent le manque et font prisonniers ou malheureux.

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8 – Vous défendez la condition féminine et le corps de la femme. Peut-on qualifier votre roman de féministe ? Êtes-vous féministe ?

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Bizarrement, c’est Ithri qui est le défenseur de la cause féminine. Il aimerait toutes les femmes libres, comme lui, qui malheureusement, ne l’est pas. Par altruisme ? Pour mieux en jouir sans complexe ? Je dirais aussi par nostalgie d’une époque révolue, celle des Touaregs du désert et de l’homme amazigh dont le drapeau signifie « homme libre ». L’homme est écartelé et les réactions des lecteurs masculins et féminins sont très intéressantes à ce sujet. Ithri soulève la sympathie chez les hommes, beaucoup moins chez les femmes.

Ce roman n’est donc pas féministe, il explique la situation des femmes dans ce Maroc tiraillé entre un lourd passé et une modernité difficilement conciliable avec l’Islam. Je m’en tiens aux faits. Lucy n’est pas féministe, elle accepterait même la servitude par amour pour Ithri. Gabrielle est trop libre pour être affiliée à quelque mouvement que ce soit. Quant à moi, j’ai toujours revendiqué ma féminité, dont je me sers pour mieux asservir les hommes (je plaisante) plutôt que le féminisme extrême qui sévit en ce moment. Je suis pour la justice et l’égalité non pour le rejet de l’homme.

D’ailleurs, « Je suis contre les hommes, tout contre », pour paraphraser Sacha Guitry qui disait cela en parlant des femmes.

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9 – Si vous deviez relire un passage, lequel choisiriez-vous ?

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J’en aime tout particulièrement trois :  la scène des figues dans l’oasis − la mise « à nu » (réelle et symbolique) d’Ithri par Gabrielle dans la tente du désert − et un troisième que j’ai finalement choisi : la déclaration d’amour de Lucy pour Ithri, page 143 : « J’acceptais tout d’Ithri : son corps, ses défauts visibles ou cachés, ses zones d’ombre, honteuses ou intimes que seules les mères connaissent. Je voulais être sa langue sur ses lèvres séchées par le vent du désert, son sang pour circuler dans les régions labyrinthiques de son corps, l’essence de sa vitalité, ses pensées, même les plus toxiques, ses désirs même les plus inconvenants, être son manque ou son silence. Je voulais être sa faim et sa soif, son sexe et sa philosophie de Berbère, son étonnement et sa folie. Je désirais devenir l’ombre de son ombre, comme dans la chanson de Jacques Brel, Après tout, il était bien entré en moi comme un voleur, un clandestin, un parasite. Il était venu s’ajuster à mon désir, désir dont j’ignorais tout avant lui. Sa voix, la tiédeur de sa main, sa façon d’écarter les doigts sur le volant de la voiture, je ne savais pas qu’on pouvait s’éprendre de tout, y compris d’une certaine trivialité des mots ou des images ».

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10 – Parmi les 27 citations, laquelle préférez-vous ?

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Celle qui résume la subtile vengeance de Gabrielle écrivant un roman sur tout ce qu’Ithri veut garder secret : son histoire avec Lucy.

« Celui qui sait mieux que les autres raconter une histoire devient le maître » George Orwell »

Qui est le maître ? Gabrielle ou Michèle Jullian ?

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L’histoire est belle lorsqu’on la touche du doigt. C’est ainsi que je l’aime lorsqu’elle est racontée par ceux qui l’ont vécue ou transmise.

Un proverbe berbère dit « le hasard vaut mieux que mille rendez-vous », je devais donc avoir un rendez-vous avec les Berbères lorsque je partais dans le sud-est marocain il y a environ un an. Depuis, j’y suis retournée souvent. Entre Atlas et Désert. Entre Ksars et Vallées. Je n’ai jamais pu voyager autrement qu’avec une fiévreuse curiosité et cette première approche fut un vrai déclic.

Une phrase m’a allumée définitivement, émise par Youssef, mon guide Berbère, alors que nous marchions dans la montagne entre Ouarzazate et Marrakech, Il me tendit une poignée de terre caillouteuse et me dit : « Cette terre, elle parle en berbère. Les oasis, elles chantent en berbère. Et le désert, il danse à la berbère ». Une porte ouverte sur la culture berbère Amazigh

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Dominique Lancastre ( CEO Pluton-Magazine)

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L’AUTEUR

Michèle Julian:

« LA VIE EST VOYAGEUSE : De calais à Londres puis autour du monde avec mes enfants pour atterrir à Paris. Mariée à Marcel Jullian. Un petit tour par France Inter (la vie de près, Un jour, Écran Total), par la télévision (écriture de séries, Beaumanoir entre autres). Une grande pause en Thaïlande pour y enseigner le français et l’anglais (à des réfugiés de Birmanie)…le monde est rond il n’y a jamais de retour à la case départ…

J’aime les langues, l’écriture, la photo et les voyages pardessus tout.

http://www.michjuly.typepad.com/

LIENS

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« La Tentation du désert »   est publié aux Éditions Jet d’Encre et est disponible dans toutes les librairies. Prix 21,10 euros. Un livre à découvrir et dévorer surtout en cette période de pandémie où la possibilité de se déplacer à l’étranger peut se faire au fond d’un canapé avec un bon livre

La Tentation du désert- Michèle Jullian – Pluton-Store (pluton-store.com)

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Amazon.fr – La Tentation du désert – Jullian, Michèle – Livres

La Tentation du désert – Jets d’Encre

LES BERBERES AMAZIGH (premier volet) – Pluton Magazine (pluton-magazine.com)

LES BERBERES ET LA MARCHE VERTE (2ème volet) – Pluton Magazine (pluton-magazine.com)

1 comments

Michèle Jullian a écrit un roman. Certes. Mais ce livre nous apprend tant de choses que je n’ai pu l’envisager seulement sous l’angle d’une œuvre littéraire. Les réponses aux 10 questions posées par Pluton ne peuvent qu’inciter à découvrir « La tentation du désert ». Je pense avoir fait partie des premiers lecteurs et je souscris sans réserve à cet article. J’ai beaucoup aimé. Merci Michèle, tu m’as fait pénétrer un univers inconnu.

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