LES BERBERES AMAZIGH (premier volet)

Par Michèle Jullian

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Histoire et histoires d’hommes et de femmes libres

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Un proverbe berbère dit « le hasard vaut mieux que mille rendez-vous », je devais donc avoir un rendez-vous avec les Berbères lorsque je partis dans le sud-est marocain, il y a environ un an. Depuis, j’y suis retournée souvent. Entre Atlas et Désert. Entre ksars et vallées. Je n’ai jamais pu voyager autrement qu’avec une fiévreuse curiosité, et cette première approche fut un vrai déclic.

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Une phrase m’a allumée définitivement et cette petite flamme n’est pas près de s’éteindre, une phrase émise par Youssef, mon premier guide berbère. Alors que nous marchions dans la partie désertique et montagneuse du col de Tichka, entre Ouarzazate et Marrakech, je manifestai mon envie d’interviewer Youssef sur ses origines. Il me tendit une poignée de terre caillouteuse et me dit : « Cette terre, elle parle en berbère. Les oasis, elles chantent en berbère. Et le désert, il danse à la berbère ». Je n’oublierai jamais cette poétique et belle possessivité, elle m’a fait pleurer d’émotion. Une porte ouverte sur la culture Berbère Amazigh

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Qui sont-ils ?

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Berbères, comme barbares ? Oui, « berbère » vient du latin « barbarus », c’est ainsi que les Grecs puis les Romains désignaient tout peuple dont ils ne comprenaient pas la langue. En fait, étaient barbares tous ceux qui n’appartenaient pas au monde romain ». Les Berbères, eux, ne se désignent pas ainsi, ils se disent Imazighen –pluriel d’Amazigh – qui signifie littéralement, en Tamazigh (une des trois langues berbères) : « hommes libres ».

Dans toute histoire romanesque, il y a un fil conducteur que l’on déroule au fur et à mesure de la lecture et qui mène aux mots de la fin : « ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants », amour et fécondité étant symboles de bonheur dans presque toutes les sociétés. Avec ma découverte des Berbères Amazigh, je commençai à tirer sur le fil de la pelote, non pour arriver au baiser final, mais à son total opposé : aux origines. Celles des peuples Imazighen.

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Origines des Berbères Amazigh

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Les Berbères étaient et sont toujours tout autour de la méditerranée et au-delà : Tunisie, Algérie (Kabyles) Maroc, Lybie, Mauritanie, Niger, Mali (Touaregs), Égypte et jusqu’aux îles Canaries (Guanches). Quels que soient leurs noms, ils sont Berbères Amazigh. Je passe sur la diaspora berbère de France, des États-Unis et du Canada.

La langue berbère est une des plus anciennes langues de l’humanité, en dépit des invasions romaines, vandales, byzantines et arabes, elle n’a pas vraiment été altérée.

Dans l’Antiquité, on appelait les Berbères, Lybiens. Ils ont porté d’autres noms au cours de l’Histoire : Mazices, Maures, Numides, Gétules, Garamantes, etc. Aujourd’hui, au Maroc, les Berbères sont Rifains, Chleuhs ou Souassas et représentent la majorité de la population marocaine (15 à 20 millions sur les 35 millions d’habitants), même si cet héritage ethnico-culturel n’est pas officiellement évoqué. Si l’apport de population arabe est numériquement limité, il est culturellement important, puisque, par le biais de l’Islam, la langue arabe s’est imposée au pays, au point de reléguer les langues berbères au second plan. Le Maroc est officiellement un pays arabo-musulman et l’Islam y est religion d’État.

Les Berbères, à l’origine, étaient animistes, puis ils se firent catholiques, aujourd’hui ils sont musulmans, dans un pays aux milliers de mosquées, fréquentées uniquement par 10 % de la population. Au cours de mes conversations avec beaucoup de jeunes, Berbères ou pas, j’ai entendu : « Nous ne sommes musulmans que de nom », mais sous les lois et le regard stricts de l’Islam, pratiquants ou non.

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De sacrés guerriers

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Pour Youssef, les origines de sa tribu « Aït Atta » remontent au XVIe siècle. « Nous connaissons tous notre ancêtre, un personnage de légende appelé Dada Atta : « grand-père Atta ». Il est mort en combattant un clan arabe. Il y a une légende qui raconte que Dada Atta avait quarante fils, tous mariés le même jour et tous tués le lendemain par une tribu rivale. Par chance, ces quarante fils avaient eu le temps de faire quarante enfants durant leur nuit de noces : trente-neuf fils et une fille. Leurs descendants vaincront et chasseront la tribu des Aït Sedrate, pour conquérir d’autres territoires dans la vallée du Draa et du Haut Atlas.  Plus tard, d’autres clans viendront se joindre aux Aït Atta, dont un petit groupe de juifs islamisés, les Aït Yaâkoub » (descendants de Jacob ?).  

Youssef pouvait donc prétendre à ses racines juives en puisant dans les légendes Berbères.

                

HISTOIRE RÉCENTE : « pacification » du Maroc côté Youssef.

Youssef est ancien chamelier, passionné d’histoire et autodidacte. Ses grands-parents et oncles de la lignée des Aït Atta – sous-groupe berbère – ont vécu la pacification de son pays par les Français et ils se sont battus dans les montagnes de Baddou et à Saghro.  Il me raconte.

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La Bataille de Saghro. 1933

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« Est-ce que tu sais que les Aït Atta ont été les derniers à se battre contre vous, les colons français ? me demande Youssef.  Vous vouliez nous « pacifier. On s’est battus contre l’armée française et Thami El Glaoui, notre pire ennemi. Il nous appelait, nous, les Aït Atta : les “ attaquants”», les “ révolutionnaires”. Il a participé à la soi-disant pacification du Maroc pour le compte du protectorat français. En 1933, dans le djebel Saghro et à Bougafer, mon peuple s’est battu et a résisté pendant quarante jours dans les montagnes de Baddou, sous le feu de vos canons et de vos soixante-mille soldats. Vos troupes coloniales contre les derniers résistants du Maroc et nos chefs intrépides prêts au sacrifice. Il y a eu tellement de morts de notre côté que la montagne était rouge de notre sang, sous les bombes lancées depuis vos avions basés à Ouarzazate. Le chef de notre tribu a dû se rendre sous les cris des femmes qui voulaient lutter jusqu’à la mort. Tu comprends, maintenant, le caractère de notre peuple Amazigh, jaloux de sa liberté, et surtout celui des femmes ? Tu sais comment on appelait les Français à cette époque, durant votre protectorat ? Les « Roumis ». C’est comme ça que les Arabes appelaient les chrétiens avant. En fait, les Arabes appelaient « roums » ceux qui avaient bâti l’empire romain avec Rome comme capitale et le christianisme décrété religion officielle. Les colonisateurs français étaient catholiques à cette époque. Tout cela fait sens. Un nom injurieux ? demandai-je à Youssef. « Bien sûr. Et ceux qui se soumettaient aux Roumis, on les appelait des « IbZaniyn ». « Paysans » ! ça voulait dire soumis à une culture imposée par les colons qui voulaient nous civiliser. Beaucoup de Berbères auraient préféré mourir à Saghro plutôt que de se soumettre aux Français. Écoute ce poème : « Le paradis est à Baddou, la porte en est grande ouverte. Tu ne m’étais pas prédestinée, ô mort bénie ». « Un autre poète s’est excusé auprès de la montagne de Baddou, qui a reçu tellement de bombes et d’obus. Il a écrit : « Je te pardonne Ô Baddou, et j’implore ton pardon. C’est moi qui suis cause que tu sois bombardé d’obus ».

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Pacification du Maroc vue du côté Français

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La bataille de Saghro fut un des affrontements les plus féroces de combattants Marocains contre les forces coloniales françaises. Les Aït Atta sont de redoutables guerriers qui refusent l’autorité française. La bataille de Bougafer a duré 42 jours. Les Aït Atta étaient prêts à tout pour défendre leur liberté et les valeurs de leur tribu. On les appelait les « Moudjahidines » héroïques. Le rôle des femmes dans la bataille de Bougafer a été décisif, en ce sens qu’elles assuraient les arrières et préparaient les vivres et les munitions, de même qu’elles soutenaient le moral des troupes.

3500 de nos soldats trouvèrent la mort dans les montagnes de Baddou, dont 10 officiers. Côté résistance : 1300 combattants furent tués, dont femmes et enfants.

Cernés par la faim et la soif, les Moudjahidines finirent par se rendre, mais ce fut une reddition négociée. Ils imposèrent leurs conditions, exigeant que les tribus Aït Atta soient administrées par l’un des leurs : Oubasslam.

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Saghro vue par un romancier-historien Français

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« Aucune campagne coloniale dans aucun pays n’aurait pu briser une telle résistance de l’homme et du terrain. Il fallait donc le bombarder jour et nuit, lui enlever les points d’eau, le resserrer dans son réduit, le contraindre à y demeurer avec son bétail mort, avec ses cadavres, d’où le déluge de feu » (Henri Bordeaux)

Youssef et d’autres Berbères me parleront tous d’un général français, George Spillmann. Voici son hommage rendu aux Berbères : « Un peuple qui a appris à subsister au milieu d’ennemis toujours aux aguets pour utiliser les ressources que dispense une nature ingrate. Un pays qui les a faits gens de plaine et de montagnes, nomades et qsouriens, connaissant les rigueurs du climat saharien et celles des hautes altitudes ».

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Les nomades berbères sont presque tous sédentarisés aujourd’hui. « Nous vivons du tourisme », me raconte encore Youssef. « L’état continue de nous voir comme des barbares, pire, comme un peuple folklorique. Il suffit de regarder la route de Marrakech à Ouarzazate. Ça fait vingt ans qu’elle est en cours. Marrakech ne veut pas que Ouarzazate lui vole ses touristes ».

« Pourtant, le vrai Maroc il est ici. Le vrai Maroc est berbère. La preuve : nous faisons peur aux autorités arabo-musulmanes qui nous refusent le droit de donner des noms berbères à nos enfants ».

PS : dans quelques jours, je serai dans les montagnes de Baddou et à Saghro avec les derniers nomades Aït Atta de la famille de Youssef.

©Michèle Jullian

Photos: ©Michèle Jullian . Toutes reproductions interdites

Youssef d’ Agence Easy Sahara

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