GRANDES CIVILISATIONS : L’EMPIRE DU SOLEIL LEVANT AU CARREFOUR DE L’ULTRA-MODERNISME ET DES TRADITIONS SÉCULAIRES

.

Philippe Estrade Auteur-conférencier

.

Le Japon fascine le cerveau du voyageur. L’image d’une geisha silencieuse, les cerisiers en fleurs en avril, le cône parfait de l’illustre Fuji-Yama ou les nombreux temples séculaires qui ont façonné la culture nippone, enflamment l’imaginaire et suscitent étonnement et admiration. Ce pays vaincu d’hier qui fut le cobaye de l’ère atomique a su se relever d’une manière stupéfiante et se hisser à nouveau au sommet des puissances économiques de la planète sans pour autant sacrifier son histoire, ses vestiges et sa civilisation millénaire. Mais de nouveaux défis exposent le Japon aujourd’hui, en particulier son isolement insulaire dans le nouvel environnement chinois expansionniste avec l’arrière-pensée du rude colonialisme nippon en Chine. Ce constat historique qui ne relève pas du fantasme soude finalement le peuple japonais…

.

DU JAPON ANTIQUE À LA NAISSANCE D’UNE CULTURE NATIONALE

.

Sur un plan historique, le Japon est l’un des pays les plus jeunes en référence à l’Ancien Monde. Pour la plupart mongoloïdes, les Japonais sont arrivés des régions et des îles voisines et ont soumis le peuple autochtone proto-caucasien de race blanche, les Aïnous. Le vrai réveil du peuple nippon intervint surtout vers le 6e siècle, après qu’il eut pris conscience de la richesse et de l’intérêt des savoirs de son voisin chinois, connaissances qu’il adopta pour de longs siècles à venir, notamment avec l’État du Yamato ou la culture de Heian.

.

L’État du Yamato, une Chine en miniature

.

Une élite sinisée s’est emparée du pouvoir au 7e siècle et s’est appliquée à faire du Yamato, une terre qui désigne les plaines et massifs autour de Nara puis plus tard tous les territoires soumis par l’autorité impériale, une véritable Chine miniature. Tout en conservant son image de grand prêtre des différents clans, l’empereur devint ainsi le vrai chef autocratique d’un nouvel empire insulaire qui se voulait l’égal de la Chine. Bien que le Yamato n’eût compté probablement que quelques millions de sujets et que sa jeunesse eût pu le fragiliser dans son ambitieux dessein, il parvint néanmoins à imposer des réformes et édifia un ambitieux système politique et administratif en fixant une nouvelle capitale à Nara, dont le palais impérial épousait la conception chinoise.

.

.

La culture chinoise bien présente à Heian

.

Les empereurs ont fini par quitter Nara au 9e siècle pour s’installer plus au nord à Heian-Kyo, l’actuelle Kyoto. Cette nouvelle cité demeurera la résidence de la cour jusqu’en 1868, soit près de mille ans. Les moines bouddhistes particulièrement influents et puissants avaient motivé la cour pour s’éloigner de Nara et créer une nouvelle capitale impériale à Kyoto. La centralisation politique mise en place à Nara fut renforcée avec toutefois une forte volonté de maintenir la politique de distribution des terres agricoles afin que chacun puisse vivre convenablement et payer ses impôts.  Mais la culture profonde des clans autonomes et farouchement indépendants ne permit guère aux fonctionnaires de faire administrer les provinces depuis Kyoto. Les conflits religieux frappèrent aussi la cour et opposèrent les apôtres du bouddhisme, la nouvelle foi, aux tenants de la religion historique et traditionnelle, le shintoïsme qui était lié à la mythologie du Japon, en mêlant des éléments animistes et polythéistes. Parallèlement, les caractères chinois pour écrire le japonais furent adoptés.

.

La naissance d’une culture nationale

.

Aux 9e et 10e siècles ; le Japon prit conscience de son identité, et bien qu’il demeurât toujours marqué et sensible à la culture chinoise dont il s’était beaucoup inspiré, l’aristocratie s’éloigna petit à petit de son voisin, prenant conscience de sa singularité et de ses individualités, liées aussi à sa géographie insulaire. Ce nouveau Japon adapta alors une écriture à sa langue avec de nouveaux alphabets qui simplifiaient l’écriture chinoise. Les Arts ont suivi ce profond changement, et la peinture, les lettres et l’architecture se sont alors émancipées vers une sensibilité désormais typiquement japonaise et insulaire. Néanmoins, le centralisme administratif se révéla peu efficace et échoua. Le pouvoir impérial perdit même son autorité et le contrôle des affaires face aux familles puissantes et intrigantes, en particulier celle des Fujiwara, lui échappa souvent. Ces changements ont préparé et accéléré le féodalisme japonais qui offrit un nouveau dessein à la nation, entre la noblesse de la cour particulièrement lettrée, raffinée mais décadente et une aristocratie de province, indépendante dans l’administration de ses domaines. Les guerres locales étaient fréquentes et affaiblissaient le royaume, et même la cour parfois fit appel à certains mercenaires pour mater les grandes familles ambitieuses, notamment les Fujiwara, ou brider les moines bouddhistes armés qui faisaient pression sur le pouvoir impérial.

.

.

LE JAPON FÉODAL DE KAMAKURA A L’UNITÉ RETROUVÉE AU 16e SIÈCLE

.

C’est à l’issue de deux guerres conduites contre les redoutables Minamoto au 12e siècle que Taira Kiyomori devint un puissant chef militaire qui, face à la faiblesse de la cour, s’installa au sommet de l’État après qu’il eut marié sa fille au jeune empereur. Il prit ainsi le titre de premier ministre mais son régime fut régulièrement fragilisé par les ambitions des intrigants jusqu’à sa chute liée à la révolte de l’empereur Go-Daigo. Il faudra attendre le 16e et le 17e siècle pour que les périodes de chaos et de rivalités s’estompent enfin sous la période Momoyama.

.

Les bases de la féodalité japonaise à Kamukara

.

Le succès de Kiyomori fut de courte durée puisque les Minamoto prirent leur revanche en 1185, et le nouveau maître absolu du nom de Minamoto Yoritomo installa sa cour à Kamakura à une cinquantaine de kilomètres de Tokyo, dans une région berceau historique de sa puissance. Il laissa un semblant de cour disposant d’un pouvoir très relatif à Kyoto et devint shogun, c’est-à-dire généralissime aux yeux de l’empereur. Il parvint en fait à exercer le pouvoir réel et à jouer habilement sur les divisions qui opposaient les membres des différents clans dispersés sur tous les territoires japonais. Cette féodalité n’est pas sans rappeler celle des Mérovingiens puis des Carolingiens dans l’ouest de l’Europe avec les maires du palais qui en réalité exerçaient le pouvoir en lieu et place du roi.

.

La chute de Kamukara

.

Comme sous les rois francs de la dynastie des Mérovingiens, le partage des domaines entre les enfants héritiers était une pratique qui avait commencé à affaiblir l’aristocratie et les chevaliers qui toutefois surent briller au combat, notamment lors de l’invasion que tentèrent les Mongols, déjà maîtres de la Corée et de la Chine à cette époque. Les Mongols envoyèrent alors une ambassade à Kyoto pour exiger la soumission du Japon en 1274, qui, en refusant, s’exposa à un débarquement mongol qui échoua en raison du mauvais temps. La providence au profit du Japon allait encore se manifester alors qu’une nouvelle flotte de près de 150 000 guerriers, précise la chronique, livrait une bataille navale contre les forces japonaises. Les envahisseurs subirent une déroute totale avec l’aide d’un typhon bienvenu, mais bien que victorieux les guerriers nippons, déjà appauvris, n’en tirèrent aucun bénéfice. Le mécontentement généralisé conduisit alors l’empereur Go-Daigo à mettre fin au régime shogunat, c’est-à-dire au puissant général ou maître qui exerçait réellement le pouvoir politique. L’influence de la doctrine confucéenne domina finalement et devint la base du régime, offrant une nouvelle prise de conscience et une force intellectuelle et spirituelle en fondant en particulier un code moral exigeant pour les samurais, membres de la classe guerrière.

.

.

La confusion politique à Muromachi

.

À la différence de Kamukara, personne ne parvint vraiment à contrôler les différents chefs militaires du Japon, très éclaté en petits territoires. Les différents pouvoirs shogunaux s’établirent à Muromachi dans un quartier de Kyoto et furent somme toute aussi imprévisibles et fictifs que celui de l’empereur. L’unité nationale demeurait donc un vœu pieu aux 14e et 15e siècle. Cependant, de puissantes guildes marchandes parvinrent à se former, en particulier vers l’actuelle Osaka, et une renaissance économique du Japon, avec de solides manufactures de tissage mais aussi avec le développement de la céramique, le travail des métaux et la papeterie, impulsa un renouveau du commerce qui prit une ampleur internationale. Mais l’unité politique perdue à Muromachi allait tout de même offrir au Japon un nouveau destin à Momoyama.

.

Momoyama, une grandeur retrouvée au 17e siècle

.

Trois hommes ont marqué l’unité nationale retrouvée du Japon à partir du 16e siècle. D’abord, Nobunaga s’empara de la capitale en 1568 et jeta les bases d’un Japon unifié en brisant l’influence des grands monastères et en exilant le dernier shogun Ashikaga en 1573. Assassiné par un vassal, Nobunaga fut remplacé par l’intrigant Hidehoshi qui élimina sans pitié les descendants de son prédécesseur après qu’il se fut installé à Osaka. Hidehoshi devint alors le maître incontesté de tout le Japon et se lança même à la conquête de la Chine. Les coréens lui ayant refusé le passage, il décida même d’envahir ce pays, en vain puisqu’il dut se résigner à rentrer au Japon face aux armées sino-coréennes. Son successeur, l’un de ses vassaux du nom de Tokugawa, s’empara du pouvoir au début du 17e siècle et mata tous ses opposants depuis sa résidence d’Edo à Tokyo. En 1615, il prit même le château d’Osaka où s’était réfugié le fils d’Hidehoshi, ce qui lui assura la domination totale de tout l’archipel japonais. Sa famille restera sur le trône jusqu’à l’ère Meiji, en 1867.

.

Le samouraï et la classe guerrière

.

Membre de cette classe guerrière qui a impulsé le Japon féodal durant près de sept siècles, le samouraï offre plusieurs hypothèses dans son origine. Il s’agit peut-être de nomades et cavaliers réputés au départ qui vivaient du cirque, de mercenaires contre les invasions coréennes et chinoises qui auraient eu, pour éclairer la cour de Kyoto, l’idée de créer un corps de cavalerie militaire ou encore des gardes du palais impérial à partir du 10e siècle, probablement un métissage partiel de toutes ces hypothèses.

.

.

DE LA PÉRIODE D’EDO À L’OCCIDENTALISATION DU JAPON

.

La stabilité et la réforme de l’État ont marqué la période d’Edo de 1615 à 1868. Leyashu, le premier, s’attacha à moderniser l’administration et à mettre en place un dessein gouvernemental lui assurant ainsi qu’à sa famille de conserver le pouvoir suprême, ce qui fut le cas pendant deux siècles et demi, longue période de stabilité et de paix comme le Japon n’en avait jamais connue de toute son histoire. L’essor de la classe marchande, le renouveau de la vie intellectuelle et la prise de conscience du nationalisme nippon ont identifié cette période qui s’ouvrit vers le modernisme et l’occidentalisation tout en conservant précieusement la culture, l’identité millénaire et la civilisation séculaire de l’archipel nippon.

.

La réforme de l’État

.

Ville puissante et dominatrice de Leyashu, Edo, la future Tokyo, devint un centre politique majeur. De nos jours encore, on peut admirer les vestiges de l’ancienne forteresse, les canaux et les remparts qui marquent toujours le plan de Tokyo. Administrant eux-mêmes le cœur du pays, les Tokugawa ont gouverné avec les branches cadettes de la famille, et bien qu’ils fussent les maîtres absolus dans leurs domaines respectifs, ils étaient tout de même contrôlés par les shoguns. À Edo, l’appareil gouvernemental était constitué d’un Conseil d’État, d’un corps administratif performant, d’un Premier ministre et des metsuke, littéralement des inspecteurs policiers et censeurs. La paix pouvait être un dessein perpétuel désormais avec une administration ferme et efficace, alors que la carrière militaire interdite aux paysans parfois ombrageux les contraignit à ne pas disposer d’armes.

.

Le Japon et le nationalisme

.

Avec l’essor de la classe marchande et le renouveau de la vie intellectuelle, la naissance du nationalisme nippon a marqué cette période Tokugawa. Bien que le pays eût vécu une impitoyable fermeture sur lui-même, l’intérêt pour l’Occident et le monde extérieur croîtra sensiblement. Mais les Japonais, protégés par leur insularité et cette forme d’isolement forcé, développèrent un nationalisme exigeant et vigoureux par rapport à la puissante Chine voisine. D’ailleurs, dès l’époque Kamakura, un certain Nicheren avait prédiqué des vœux et un dessein nationaliste alors que les moines shintoïstes, écartés depuis quelques siècles par la puissance bouddhiste, profitèrent de leur recul par ailleurs tout relatif pour à leur tour renforcer le nationalisme nippon en présentant leur foi comme une solide émancipation de la race nippone. Même le confucianisme encouragea les lettrés vers ce même but en les poussant vers des études historiques et patriotes.

.

.

Occidentalisation et colonialisme du Japon

.

Au milieu du 19e siècle, les navires américains commerçant avec la Chine réclamèrent au Japon l’ouverture de leurs ports pour des escales techniques, notamment le réapprovisionnement en charbon, mais le Japon demeura intransigeant dans le refus de cette perspective, ce qui opposa à Edo les partisans de l’ouverture et ceux du statu quo. Bien que le peuple, consulté pour la première fois, exprimât son opposition à l’ouverture du pays, le Japon finit par céder face à la puissance et la menace américaine. Ces nouvelles dispositions créèrent des conflits à l’intérieur du Japon, et un nouvel empereur, bien jeune et trop expérimenté pour maîtriser une situation explosive, permit à de jeunes samouraïs qui avaient conduit le combat pour la restauration impériale de s’emparer des postes clefs de l’administration et du contrôle politique. Au moment où la Corée et la Chine allaient s’enfoncer dans le déclin, ce qui les laissaient désormais impuissants face aux ambitions commerciales et coloniales des Occidentaux, le Japon parvint à montrer une nation unie, désormais performante et dotée d’une administration solide qui lui permit d’ouvrir la voie au colonialisme et à la domination de tout l’Extrême-Orient. Les dirigeants au 19e siècle comprirent que pour être puissants comme les Occidentaux, le pays devait impérativement se transformer, aussi bien sur un plan économique et social que militaire. Edo fut rebaptisée Tokyo en 1868, et l’abandon de l’ère féodale fut la condition du développement et de la nouvelle puissance. Le shogun n’opposa aucune résistance et, dès l’automne 1867, il remit tous ses pouvoirs et le gouvernement du pays à l’empereur, malgré quelques résistances armées ici et là, mais cette « révolution » de l’empereur Meiji se fit sans grands heurts. Le Japon devint une puissance mondiale en moins d’un quart de siècle et, témoin désabusé du dépeçage de ses voisins, Chine, Corée, Indochine, organisé par les Occidentaux, il ne se fit pas prier pour entrer à son tour dans le jeu du colonialisme. En 1894, il lança une expédition contre son désormais faible voisin chinois et détruisit sa flotte. La Chine plia alors et céda, outre de fortes indemnités de guerre à payer, l’île de Formose devenue aujourd’hui Taiwan. Les forces européennes en vinrent alors à se méfier de ce nouvel État puissant, et firent pression afin qu’il maîtrise ses ambitions sur le « gâteau chinois ». En se saisissant du Liaodong, les Russes apparurent à leur tour comme de sérieux rivaux aux ambitions des uns et des autres, et face à cette menace l’Angleterre s’allia avec le Japon qui s’attaqua à la Russie par une guerre éclair sur terre et sur mer. Les Japonais l’emportèrent face à ce rival bien loin de ses bases de ravitaillement. Puis la Corée fut annexée par le Japon qui en fit son grenier à riz. La Première Guerre mondiale ouvrit de nouvelles voies coloniales aux Japon car les Européens, pris sur le vieux continent par le conflit, avaient délaissé momentanément cette Asie. En siégeant à Versailles en 1919 aux côtés des vainqueurs contre l’Allemagne et les puissances de l’Axe, le Japon venait de passer en moins d’un demi-siècle, du Moyen Âge au premier rang des puissances mondiales. En 1937, il lança une nouvelle conquête massive contre la Chine en marchant sur la capitale, Nankin, et en se livrant à de terribles excès, viols et meurtres généralisés. Cette rudesse généra bien sûr une haine irréversible du peuple chinois, régulièrement ravivée de nos jours par les milieux nationalistes chinois. L’arrogance du Japon fut par ailleurs facilitée par ses alliances, notamment avec l’Italie et l’Allemagne, et la chute de la France en 1940 lui permit aussi de conquérir l’Indochine.

.

Hiroshima, cobaye de l’arme nucléaire

.

Dans les rudes combats menés contre les Américains, issus de l’attaque éclair contre la base de Pearl Harbor le 7 décembre 1941, le Japon a fini par sombrer face à la formidable puissance américaine, et en dépit du courage de son peuple jamais aussi éclatant dans l’histoire que dans cette lutte sans merci et féroce. L’utilisation de la bombe atomique à Hiroshima et Nagasaki, les 6 et 9 août 1945, fit en quelque sorte du Japon le cobaye de l’arme nucléaire et mit un terme à l’héroïsme aveugle, acharné et obstiné des Japonais. Une nouvelle ère s’ouvrit, celle de la menace atomique des grandes puissances, à ce jour pourtant garante de la stabilité mondiale.

.

.

TRADITIONS SÉCULAIRES ET MODERNISME

.

Bien que le pays eût été amputé de son empire colonial, et fût vaincu lors de la Seconde Guerre mondiale, la résurrection du Japon avec un dynamisme et un « « ultramodernisme » saisissant a fasciné le monde en suscitant admiration et étonnement dans sa capacité à se souder, à rebondir et à se redresser, sans pour autant abandonner son identité séculaire et sa civilisation. Entre art historique et traditions, le pays du soleil levant est celui du respect des valeurs, de l’élégance, de la politesse, de la sérénité et de l’art culinaire.

.

.

Les geishas fascinent toujours

.

Les clichés ont la vie dure et ne sont pas toujours tendres avec les geishas parfois réduites à tort à des prostituées éclairées, mais il s’agit là de l’éternel fantasme des Occidentaux. Elles sont pourtant particulièrement riches d’un parcours intellectuel raffiné, dotées également d’une compétence artistique très élaborée. Le mot geisha est formé de « gei » qui signifie l’art et de « sha » que l’on peut traduire par une personne. En fait, ces femmes talentueuses et cultivées sont sollicitées par des clients aisés soucieux de passer une soirée récréative et jouir ainsi de leurs talents artistiques qui couvrent aussi la musique, la danse et la conversation éclairée. D’ailleurs, aussi surprenant que cela puisse paraître, les geishas au départ étaient des hommes chargés de divertir les clients par des spectacles musicaux et de danse. Les femmes, désireuses de vendre leur art et non leur corps apparurent plus tard, au 18e siècle, et devinrent majoritaires au 19e siècle. C’est à partir de 1779 que ce métier de divertissement fut reconnu en prenant le soin d’en écarter la prostitution afin de ne pas concurrencer les yûjos, prostituées professionnelles. La geisha se limite donc à assurer une distraction délicieuse et intelligente, par sa beauté, sa conversation subtile, raffinée et son talent artistique en offrant aussi la grâce de ses gestes.

.

La souplesse des religions

.

Au milieu des immeubles et des gratte-ciel, temples et sanctuaires divers côtoient le modernisme et la course effrénée du Japon. Respectant la nature et vénérant les dieux de la mythologie, le shintoïsme domine le bouddhisme inspiré de Chine mais souvent plutôt adapté aux rites funéraires. Le catholicisme n’est pas en reste et a même eu le vent en poupe auprès des jeunes ces dernières décennies, une jeunesse qui semblait rechercher le romantisme du mariage religieux. En fait, les Japonais sont capables de mixer plusieurs rites religieux dans une société traditionnelle qui demeure toujours très ancrée dans l’ère contemporaine.

.

Un avenir géopolitique tendu

.

Avec plus de 125 millions d’habitants qui vivent tous à l’étroit sur l’ensemble des littoraux, ce pays montagneux régulièrement soumis aux séismes et au volcanisme est à l’étroit dans son insularité et ne dispose plus, bien sûr de possibilités territoriales et de marges de manœuvre expansionniste, ce qui est un problème majeur pour le Japon de demain. Par ailleurs, la menace, l’hégémonie et les ambitions démesurées de cette nouvelle Chine puissante et incontournable désormais dans le théâtre géopolitique international et qui n’a jamais pardonné la rudesse et la brutalité du colonialisme japonais, peuvent inquiéter à juste titre un Japon soudé et unifié devant toutes les menaces possibles. En revanche, les accords militaires signés avec les Occidentaux, dont les États-Unis, doivent pour l’instant assurer une stabilité durable dans la région.

.

Le Japon est probablement l’un des pays les plus fascinants de la planète, une nation capable de poursuivre le métissage de ses rites liés à sa civilisation millénaire d’une richesse séculaire inouïe, avec les défis nouveaux du modernisme toujours plus performant. Son nouvel enjeu désormais est immense, maintenir son statut dans le camp des grandes puissances mondiales malgré ses handicaps qui jaillissent aujourd’hui comme l’exiguïté irréversible de son territoire et l’hégémonie d’une Chine conquérante et sûre d’elle. Mais le Japon dans son histoire a toujours montré sa capacité à innover et à rebondir contre toute attente, et de ce point de vue, sa détermination et son énergie demeurent admirables et prometteuses pour le dessein du pays.

.

Philippe Estrade

Philippe Estrade Auteur-conférencier

Photos ©Pluton-Magazine

Pluton-Magazine/Paris 16eme/2022

Crédit Photos : Istock (couverture)Pluton-Magazine (D Lancastre) – Yossi Tokuo Yoshida Japon-Pixaby.

L’attribut alt de cette image est vide, son nom de fichier est 39965750_872728546251709_2146598433765457920_o-683x1024.jpg.

Journaliste en début de carrière, Philippe Estrade a vite troqué sa plume pour un ordinateur et une trajectoire dans le privé et le milieu des entreprises où il exerça dans la prestation de service. Directeur Général de longues années, il acheva son parcours dans le milieu de l’handicap et des entreprises adaptées. Ses nombreux engagements à servir le conduisirent tout naturellement à la mairie de La Brède, la ville où naquit Montesquieu aux portes de Bordeaux. Auteur de « 21 Merveilles au 21ème siècle » et de « Un dimanche, une église » il est un fin gourmet du voyage culturel et de l’art architectural conjugués à l’histoire des nations. Les anciennes civilisations et les cultures du monde constituent bien la ligne éditoriale de vie de ce conférencier « pèlerin de la connaissance et de l’ouverture aux autres » comme il se définit lui-même. Ce fin connaisseur des grands monuments issus du poids de l’histoire a posé son sac sur tous les continents

.

Laisser un commentaire

*