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Par Béatrice Riand
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Partir ailleurs, c’est aussi partir à sa propre découverte. Montaigne ne s’y trompe pas quand il affirme à ceux qui l’interrogent sur la raison de ses périples qu’il sait très bien ce qu’il fuit et non pas ce qu’il cherche.
Le dernier roman de Laure Mi Hyun Croset illustre parfaitement ce propos. Made in Korea (BSN Press & Éditions OKAMA, 2023) nous livre en effet les aventures d’un anti-héros attachant, amateur pansu de junk food qui, après qu’un banal contrôle de santé révèle l’existence d’un diabète sévère, décide de changer non pas de vie mais de mode de vie et pour ce faire s’envole pour la Corée. Le Pays du Matin calme lui permet, outre un retour sur la terre de ses origines, une première volteface dans sa manière d’être au monde. Un voyage à double portée, entre aperçu d’un lieu où tout le monde lui ressemble mais personne ne l’attend et choc salutaire face à une culture joyeuse qui contraste avec son marasme quotidien. Un voyage avant tout intérieur.
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Lors du lancement parisien de cet ouvrage, Eduardo Castillo en personne interviewe la romancière genevoise, qu’il a rencontrée dans un train entre Paris et Genève, alors que tous trois (Michelle Perrot était du voyage) se rendaient à Morges, pour Le Livre sur les quais, fin septembre. On ne présente plus Eduardo Castillo, journaliste, écrivain, conférencier, concepteur de débats littéraires. Son œuvre suffit à décrire cet homme brillant, chaleureux, à l’humour décapant… ne dit-il pas de lui-même qu’il est un Chili incarné ? Le mot Corée, prononcé dans l’univers feutré d’un TGV, suffit à les réunir. Eduardo Castillo a une petite-fille dont la maman vient du Pays du Matin frais, il est donc parti à la rencontre de ce pays aux couleurs vibrantes, il est devenu depuis le cousin coréen de l’écrivaine, née à Séoul. Et le voilà, ce mercredi 6 décembre 2023, qui l’interroge sur ce roman qui selon lui est un livre sur le rapport au corps, ce à quoi Laure Mi Hyun Croset répond que « tout ce qui est physique est métaphysique ». Par conséquent, le héros, Français bon teint mais Français mâtiné d’Asie puisque adopté, se réapproprie un pays qui l’a vu naître via un organisme qui menace de le trahir et lui a servi jusqu’alors non pas de moteur mais de frontière carnée entre lui et les autres. Tout le contraire de notre frêle romancière, dont Jean Dusaussoy, spécialiste en vins et spiritueux et prolifique auteur en la matière, souligne le côté aérien et éthéré, qui prend corps dans l’écriture, au fil des livres et des années.
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Loin d’être en effet un guide de voyage sur la Corée, Made in Korea en appelle à la fraternité entre les hommes de tout horizon. « On est toujours l’autre, ailleurs », rappelle Laure Mi Hyun Croset. Oui, on est toujours l’étranger, pour qui ne nous connaît pas. Aussi, pour pasticher l’écrivaine hardie qui, dans Le beau monde (Albin Michel, 2018), n’a pas hésité à brosser le portrait morcelé d’une fiancée qui s’éclipse avant la cérémonie du mariage, vais-je tenter de vous présenter notre romancière via ce qu’en disent d’elle les hôtes de cette soirée parisienne, fort réussie au demeurant.
Le premier que j’attrape dans mes filets, Eduardo Castillo, s’étonne d’éprouver des sentiments aussi forts pour la Genevoise que pour une personne qu’il connaîtrait depuis longtemps, ce qui n’est pas le cas. « Aussi forts et aussi profonds », ajoute-t-il, dans un effort d’expliciter sa pensée, alors qu’un adorateur anonyme, ainsi qu’il se présente, m’assène dans un élan jovial qu’« elle est tout simplement formidable » !
Soit… mais pourquoi ? Et qu’en disent les femmes qui ont travaillé ou travaillent avec elle ? Caroline Marson, lumineuse éditrice qui œuvre au sein d’Albin Michel, prend le temps de la réflexion avant de décréter dans un grand sourire que Laure Mi Hyun Croset est « une merveille de précision, d’intelligence, de grâce et d’humanité » alors que Laurence Malè, fondatrice des Éditions OKAMA, s’attache à décrire la facilité de la Romande à s’approprier des mondes, avec une démarche à la fois intuitive et érudite, « c’est une écrivaine dans l’âme ». Et de l’âme, à n’en point douter.
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Je me tourne alors vers les amis écrivains et artistes de Laure Mi Hyun Croset. Francesco Arenas Farauste cite de mémoire une phrase de Camus, « on sous-estime l’effort que font les gens pour avoir l’air normaux », et relève que la Suissesse, sous des dehors très sages, serait bien plus punk qu’elle n’y paraît, « crois-moi, elle a retenu les pédales dans ce livre, elle pourrait être plus trash dans une suite de Made in Korea avec un héros qui suit la même trajectoire que le soldat Baleine dans Full Metal Jacket»! Marc Jailloux, dessinateur connu (et reconnu) pour avoir notamment pris la relève de Jacques Martin dans la série de bandes dessinées Alix, sourit avec malice et parle de la romancière d’origine coréenne comme d’« un personnage singulier, qui m’a charmé car on peut parler avec elle de Gustave Flaubert et danser ensuite jusqu’au bout de la nuit à la soirée des auteurs de Brive-la-Gaillarde… un savoureux mélange de trash et de culture qui permet une connivence immédiate grâce à son franc-parler » ! La très belle comédienne Djelle Mana, qui a rencontré la Genevoise dans un bar à Saint-Germain-des-Prés avant de se trémousser avec elle jusqu’à l’aube dans une boîte de nuit, appuie ce propos, « c’est une joyeuse fêtarde, même si elle est toujours très fine dans sa manière d’être et de parler ».
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Abordons le thème de la langue crosétienne… comment fonctionne l’acte de création chez notre romancière, qui aboutit selon Muriel Augry, docteure en littérature et civilisations françaises des XIXe et XXe siècle, poétesse, essayiste et nouvelliste, présidente de l’Association du prestigieux Parlement des Écrivaines francophones qui rassemble 165 femmes de 32 pays, à un « roman très bien ficelé, à la fois lucide et plein de dérision » ? Anicée Willemin, poétesse et relectrice des ouvrages de Laure Mi Hyun Croset, décrit « un cerveau kaléidoscopique en constante ébullition », ce que confirme Marc-Olivier Louveau, scénariste et script-docteur pour le cinéma et la télévision, auteur d’un manuel qui a remporté et remporte toujours un vif succès, Le Petit Manuel du scénariste. Ce dernier a eu l’occasion de collaborer avec Laure Mi Hyun Croset sur un scénario et souligne sa constante quête de l’excellence, sa recherche effrénée du mot parfait. Ce perfectionnisme le conduit du reste à la solliciter pour rédiger la préface de son prochain ouvrage à paraître aux Editions Le Dauphin Blanc, le 3e tome des Contes philosophiques. Ce très sensible saltimbanque du verbe évoque par ailleurs un « humour acide », qui enchante leurs séances de travail. Dominique Lancastre, fondateur et rédacteur en chef de Pluton Magazine, lauréat du prix Christiane Baroche 2023 de la Société des Gens de Lettres pour son recueil de nouvelles, La Confiseuse, abonde dans ce sens, « elle est très sérieuse en interview et puis soudain balance une anecdote qui réveille l’assemblée grâce à un humour naturel ».
Il est vrai que la Genevoise excelle dans la communication. Lorsque les invités franchissent la porte de la librairie du Cinéma du Panthéon, les voilà aussitôt épinglés : nom, prénom, domaine d’excellence, œuvres. Laure Mi Hyun Croset les présente à l’assemblée en quelques mots choisis afin que tous sachent qui est qui, qui fait quoi, où, quand, comment et avec qui. « C’est une passeuse qui n’oublie personne », appuie Dominique Lancastre. Anne-Noëlle Braun, bloggeuse littéraire, fondatrice de la Petite Librairie sous le pseudonyme de Na0Plume, et dont Laure Mi Hyun Croset a été la première invitée, approuve du chef, « elle aime rassembler les gens ». Mieux encore, selon Mamadou Mahmoud N’Dongo, réalisateur, photographe, écrivain et dramaturge, chevalier des Arts et des Lettres, « elle met en avant ses amis, avec une réelle abnégation ». Ce n’est pas Monique Berthollet-Montavon qui le contredira. Cette femme brillante, correctrice et relectrice diplômée, critique littéraire, ancienne présidente du Jury Lettres frontière et manager d’artistes, par ailleurs maman de deux musiciennes dont le talent dépasse les frontières de l’Hexagone, ennoblit le propos en ajoutant que la Romande est une « femme au grand cœur, une humaniste ». « Elle est proche des gens, grâce à son ouverture d’esprit », explique Nicolas Mertenat, fondateur et créateur de la marque de montres Blancarré.
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Cette curiosité pour autrui naît peut-être de son statut d’enfant adoptée, elle est d’ici et d’ailleurs, ne l’oublions pas. Cette condition particulière la pousse à partir inlassablement à la rencontre de l’autre, avec ce côté très spontané qui la définit et que souligne son époux, l’avocat et professeur d’université aux multiples conférences et ouvrages, le passionné de musique sous toutes ses facettes puisqu’il la promeut sans oublier d’en faire, Xavier Oberson. Carole Vrain, secrétaire de l’association K-France, qui s’attache à développer la culture coréenne en France, m’avoue que Laure Mi Hyun Croset est tout simplement « une belle personne ». Une personne « qui ne triche pas, parce que ce qu’elle dégage est fidèle à ce qu’elle écrit… quand on la connaît, on n’a plus envie de la quitter », confirme Laëtitia Marty, dont la bande dessinée Nos adoptions, rédigée en collaboration avec son compagnon Jung-sik Jun, qui l’a illustré, présente le parcours de plusieurs Coréens qui partent en quête de leurs origines. Ce petit bout de femme, à l’humanité et à la force incroyables, nous a offert un instant de grâce folle lorsqu’elle a interprété une chanson du film qu’elle a réalisé sur ce sujet. Elle précise encore que la romancière, « où qu’elle soit, se cherche toujours une famille ». Raison pour laquelle elle-même l’appelle sa Swisster. Raison pour laquelle la Genevoise donne le titre de cousin coréen à Eduardo Castillo, de sœur de cœur à Tristane Banon et de jumelle à votre humble servante.
Karine Vasarino, journaliste qui a interviewé Laure Mi Hyun Croset il y a plusieurs années, reconnaît combien elle est fière d’elle et de son parcours, « c’est une vraie personnalité, très affirmée, une femme puissante, qui ose », ce qui explique sa récente nomination au sein du Parlement des Écrivaines francophones, qui offre un espace de prise de parole aux femmes afin qu’elles fassent connaître leur point de vue sur les débats ou les crises de nos sociétés actuelles. Son amie, Anne-Sophie Canto, qui travaille pour le ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse, assure quant à elle que si la Romande est présente, elle n’est jamais écrasante.
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Peut-être faut-il laisser le mot de la fin à Tristane Banon, la Franc-Tireuse a en effet le sens de la synthèse comme de la formule… « Il y a plusieurs Laure. Elles allient l’impertinence et l’humour, la distance et la proximité, une forme d’élitisme et une démocratisation totale des idées. Ces termes paraissent contradictoires, mais pas chez Laure. Chez elle, tout est en dualité, avec élégance. Quant à son livre, je suis fan de son écriture parce que c’est une styliste qui ne s’écoute pas écrire et qui sait développer un vrai propos, sans compter que tout ce qui n’est pas fiction est rigoureusement exact alors que ce n’était pas si important que cela… mais Laure est son pire tribunal ».
Ici, point de tribunal, car Laure Mi Hyun Croset serait manifestement acquittée tant ses témoins ont à cœur de mettre en avant ce qui les touche, les interpelle, les incite à chercher les clefs d’un certain mystère crosétien. Le temps a manqué pour interroger le talentueux chanteur et poète Thomas Baignères, la charmante actrice Mathilda May, le directeur des affaires publiques de TiKTok France, Éric Garandeau et tant d’autres encore, mais qu’importe car, comme Louise, l’héroïne de son roman, Le beau monde, la Genevoise est une personnalité riche, dont la multiplicité des points de vue ne permet que d’en esquisser les contours puisque Laure Mi Hyun Croset est en constant mouvement. Et jamais là où chacun l’attend.
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On est toujours l’étranger pour l’autre, ici ou là-bas, certes, mais l’art et la littérature permettent de créer des ponts entre les océans et cette soirée en fut la parfaite démonstration. Près de cent personnes se sont côtoyées, dont certaines se connaissaient et d’autres pas, toutes d’origines diverses mais qui toutes ont parlé un même langage et voyagé de concert. Et cette union est à mettre au seul crédit de Laure Mi Hyun Croset, qui les a incitées à la rencontre et à la découverte.
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Par Béatrice Riand Pluton-Magazine Suisse
Photos Romain Nicolas
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