Les nouveaux mammouths du théâtre privé

Par Angelo CORDA

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La  mainmise des poids lourds du marketing et des médias dans le théâtre privé.

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Les mécènes et autres protecteurs ont toujours existé dans le théâtre. Jadis, les figures du classique n’avaient pas hésité à se ranger du côté des puissants pour pouvoir faire exister leur art.
Après avoir fondé sa troupe, Molière fut récupéré par le frère de Louis XIV, Philippe d’Orléans. Sous sa protection, il prend le nom de « Troupe de Monsieur » et finit par devenir la Troupe du Roy, soutenu par le Roi Soleil qui avait déjà mis l’illustre Jean Racine sous sa royale coupe quelques années auparavant.

Ces dernières années, l’inclinaison pour les feux de la rampe s’était fait plus discrète aux féroces appétits des professionnels des médias. Le cinéma et surtout la télévision étant de bien meilleur goût, bien plus lucratifs. Mais voilà, à l’air du numérique et de l’immatérialité, le besoin de revenir « au vrai », au spectacle vivant, prend un nouvel essor. Avec la crise , les gros poissons de la finance commencent à regarder d’un peu plus près le monde de la culture et du spectacle qui, bien que touché par le phénomène, continue à se maintenir et à rapporter des devises. C’est bien connu : en période de guerre, le spectacle ne connaît pas la crise.

La pêche au gros.

Evidemment, le théâtre coûte cher ; en posséder un et le maintenir dans une économie stable n’est pas chose aisée. D’autant plus que le succès est incertain. Et  personne n’en a la recette. C’est en cela d’ailleurs que ce domaine est enivrant. de plus, il faut sacrement mettre la main à la poche pour acheter de prestigieux  théâtres parisiens.  Aujourd’hui, peu de gens en sont capables et une poignée se battent à coup de millions pour les acquérir.
L’investissement est lourd et les bénéfices incertains. Alors Pourquoi? La raison est  qu’une stratégie émergente a pris place chez ces mastodontes du spectacle: avoir le contrôle sur l’ensemble de la filière, de la production à la distribution.

Le Géant Fimalac

Marc Ladreit de Lacharrière est peut-être le plus représentatif d’entre eux. Ce milliardaire français, à la fortune conséquente (1,5 milliard d’euros selon Challenges), est à la tête de la holding Fimalac.
Il s’enrichit d’abord en créant l’agence de notation Fitch, persuadé que ce secteur est un marché futur très porteur. Mais c’est en refusant de laisser s’échapper Johnny Haliday, la gloire nationale, en territoire américain chez Warner Music, qu’il met un pied dans le business de la culture. Il s’associe avec Gilbert Coullier, le tourneur des concerts du chanteur en achetant 40% de sa société. Elle gère également les spectacles de Nolwenn Leroy, Gad Elmaleh, Laurent Gerra… Viennent ensuite les acquisitions de 40% d’Auguri ( organisateur des concerts de Stromae, David Guetta…) et de 40% chez K-wet production (Disney Live !, Jamel Comedy Club…)
Mais en réalité, pour véritablement faire chanter les sirènes du tiroir-caisse, il faut posséder toute la chaîne de l’entertainment. Vega, qui gère une trentaine de grandes salles en France comme des Zéniths ou des Arenas, tombe ainsi dans son escarcelle. Il prend ensuite la direction du théâtre Marigny et de la Salle Pleyel.
Pour produire la revue Mugler Follies du créateur Thierry Mugler, il achète le Théâtre Comédia de près de 1000 places.

Lorsque Jean-Claude Camus  met sur le marché un gros gâteau, celui-ci  est partagé entre trois hommes. Dominique Bergin, industriel ayant fait fortune dans les marques du sport et Daniel Lumbroso qui dirige K-wet production et associé de Fimalac, entre autres, s’emparent de la première tranche, le magnifique Théâtre de la Madeleine de 700 places.  La part restante, qui comporte le Théâtre de la porte St Martin et le Petit St-Martin de respectivement 1000 et 195 places, revient à Marc Ladreit de Lacharrière.
Déjà propriétaire d’énormes sites internet comme Allociné, Pure Médias, Terrafémina…, l’ogre De Lacharrière veut désormais une plate-forme de billetterie en ligne. Il pourra ainsi contrôler toute la chaîne de vie des spectacles à l’instar de ses pricipaux concurrents  Lagardère avec BilletRéduc et le groupe Dassault avec Ticketac.

Des Petits Poucet, plus discrets mais très puissants commencent à entrer dans la partie.

Pierre Cazaux, à la tête de Dragon Rouge, Titan dans la publicité et le design, commence lui aussi à investir dans le théâtre privé.
Pour une broutille d’un million d’euros, il fait sortir de terre début 2013, le Théâtre La Boussole de 205 et 95 places, réparties sur deux salles, en face de la Gare du Nord. Ce n’est bien sûr qu’un apéritif. L’homme d’affaire cherche à s’étendre avec deux futurs théâtres de 400 et 600 places.
On pourrait également ajouter Pascal Guillaume, l’ancien directeur du département spectacle de TF1, quitte la chaîne et développe avec Michel Bocion la société de production de spectacle Ki M’aime Me Suive.  Xavier Niel, le patron multimillionnaire de Free, entre alors au capital à hauteur de 30%. Avec son nouvel investisseur et fort de jolis succès sur les planches, il reprend le Théâtre Tristan Bernard en 2013.

Et artistiquement, que cela vaut-il ?

Car là est la vraie question. Après tout, le véritable enjeu reste la qualité des spectacles que l’on donne à voir au public. Il y a ceux qui s’en sortent avec les honneurs: Pascal Guillaume avec Ki M’aime Me Suive, mêle habilement succès populaire et une certaine honnêteté artistique.
Jean-Claude Camus avait accordé au très jeune Jean-Robert Charrier la direction artistique de ses théâtres. En 5 ans, celui-ci a fait de l’excellent travail avec de grands spectacles d’excellentes factures.
Et puis il y a « les mauvais élèves ». Pierre Théron, qui dirige le Théâtre La Boussole, n’a programmé que de la comédie bas de gamme malgré les moyens financiers colossaux dont il dispose. Biberonné au clan Alil et Azis Vardar,  (Le clan des divorcés, 10 ans de mariage…), il n’en atteint même pas le niveau.

About Angelo Corda

Angelo Corda est un auteur français. Scénariste, il écrit aussi pour le théâtre ainsi que pour plusieurs médias.

1 comments

Merci de nous informer si précisément … nous préférons soutenir et fréquenter les théâtres qui appartiennent à des patrons intelligents, créatifs, et respectueux de leurs employés, comédiens, et public…Félicitation pour cet article!

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