Par Grégory ALCAN
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Le Para-Taekwondo est un sport dont les règles ont été aménagées pour qu’il puisse être pratiqué par des personnes ayant un handicap physique ou sensoriel. Cette discipline fera son entrée officielle au programme des Jeux paralympiques de Tokyo 2020.
Durant l’année 2015, j’ai souvent sollicité BOPHA pour qu’il dispense des initiations au Taekwondo au profit des élèves d’établissements scolaires situés en zone d’éducation prioritaire, dans le cadre des projets de l’association ISENZO. Les réactions des jeunes enfants étaient très positives et suscitaient un questionnement pertinent autour du thème du handicap.
Comment un homme en bonne santé et sans bras peut-il être considéré comme un des plus grands athlètes de Taekwondo et plus généralement du sport de combat français ?
Quel est le parcours de cet incroyable athlète de haut niveau ?
En quoi la résilience et la détermination de BOPHA m’inspirent-elles et devraient-elles être, à mon sens, un exemple pour nous tous ?
Cette interview est l’occasion de présenter à tous les lecteurs de Pluton-Magazine le tout premier champion du monde et d’Europe de para-taekwondo.
Grégory ALCAN : Pourquoi t’es-tu lancé dans le Para-taekwondo ?
Bopha KONG : Lorsque j’étais enfant, je regardais beaucoup les films d’arts martiaux. J’admirais les grands acteurs de films de combat qui se sont démarqués par leurs talents, tels que Jean-Claude VAN DAMME, Jacky CHAN ou encore Bruce LEE. Lorsque j’étais enfant, mes parents n’avaient pas les moyens de me payer une adhésion à un club de sport de combat. Adolescent, je traînais avec mes potes dans les quartiers de Gonesse (Val-d’Oise) et nous faisions les quatre cents coups ensemble. C’est à cette période que j’ai commencé à pratiquer la boxe anglaise au club ACROSPORT de Gonesse. Je me débrouillais très bien. A 16 ans, j’envisageais de me lancer dans une carrière de boxeur amateur. En août 1999, je perds mes 2 bras lors d’un très grave accident. Après presque une année d’hospitalisation, j’ai intégré un centre de rééducation. Durant cette période, je ressentais un grand besoin de me défouler à travers la pratique du sport lorsque je retrouvais ma famille le weekend. J’ai donc poussé à nouveau les portes du club ACROSPORT où j’ai découvert le Taekwondo. Je me souviens que mes débuts furent très difficiles à cause de mon traitement médical, mais j’étais fasciné par cette discipline que je découvrais.
Grégory Alcan : A quel moment as-tu pris conscience que tu avais les capacités de devenir le meilleur para-taekwondïste du monde ?
Bopha KONG : En 2000, lorsque j’ai débuté le Taekwondo, je n’avais pas l’ambition de devenir un champion. Je le pratiquais par passion. De plus, je n’avais pas connaissance de l’existence de la discipline Para-Taekwondo au sein de la Fédération Française de Taekwondo et des disciplines associées. Mon premier coach, Georges Ramos Fernando, m’a repéré et m’a accompagné dans mes premières compétitions. J’ai commencé à concourir dans les compétitions interclubs à partir de l’année 2003, mais les conditions étaient particulières parce que pour des questions d’assurance, je n’avais pas le droit de concourir avec les valides au niveau national. Alors, pour parfaire mon expérience, mon coach me fait participer à des tournois internationaux en Espagne et au Mexique dans lesquels j’étais autorisé à concourir avec les taekwondoïstes valides . A partir de 2009, j’ai intégré la toute première sélection de l’équipe de France de Para-Taekwondo et j’ai gagné le tout premier titre de champion du monde de la discipline. Mais toute cette énergie vient de l’état d’esprit dans lequel j’étais juste après mon accident. Je ne souhaitais absolument pas me positionner comme victime et je voulais transformer mon handicap en avantage et en opportunité. Je ne ressentais pas de souffrance, j’avais une grande envie d’avancer dans la vie. J’ai d’ailleurs passé mon permis pour être autonome, j’ai obtenu mon brevet d’Etat d’éducateur sportif de Taekwondo 1er degré, j’ai entraîné des jeunes dont certains sont devenus champions de France en 2010, j’ai suivi une formation en informatique et même créé et développé une agence de location de véhicules que je n’ai plus à l’heure actuelle.
Grégory Alcan : Tu devais avoir beaucoup de pression lors de tes 1erchampionnats du monde. Comment as-tu abordé cette toute première grande échéance internationale de l’histoire de ta discipline ?
Bopha KONG : J’étais en effet très stressé, mais je l’ai été beaucoup plus lors de mes participations aux deux derniers championnats du monde parce que la concurrence est de plus en plus nombreuse et surtout, beaucoup plus forte techniquement, au point que le niveau des non valides dans certaines catégories rejoint celui des valides ! Ma discipline entre au programme des Jeux paralympiques de Tokyo 2020 et beaucoup de nouvelles nations s’imposent dans cette pratique.
Grégory Alcan : Les Jeux Paralympiques Tokyo 2020 se dérouleront dans 4 ans et tu as encore deux championnats du monde et deux championnats d’Europe à intégrer dans ta préparation. Penses-tu pouvoir maintenir un niveau de performance élevé pour obtenir ton ticket pour Tokyo et glaner la médaille d’or olympique ?
Bopha KONG : Je continue de progresser même si je suis à un âge où les taekwondoïstes de très haut niveau arrêtent de pratiquer. Et puis, je suis déterminé à améliorer mon niveau et à devenir le premier champion Paralympique de ma discipline. Pour ce faire, je bénéficie de deux entraînements à l’Institut National du Sport de l’Expertise et de la Performance (INSEP), sous la houlette de l’entraîneur de l’encadrement national, OURY STANZTMAN. Mener mon triple projet est un peu compliqué parce qu’il faut que j’assure ma mission d’agent de développement , qui me passionne, au sein de la ligue 93 de la Fédération Française de Taekwondo et des disciplines associées, que j’assure mes entraînements, et que je les multiplie à l’approche des grandes échéances sportives, et enfin que je prépare mon diplôme d’Etat de Taekwondo pour pouvoir prétendre devenir à moyen terme un coach très performant. J’entends souvent des échos provenant de taekwondoïstes qui font part de leurs difficultés à assurer leur reconversion. Notre modèle économique est loin d’être celui du football mais de nombreux athlètes de l’équipe de France de Para-Taekwondo occupent des postes de management dans des PME-PMI, grâce au support de sponsors ou de partenaires divers. Nous devrions obtenir très prochainement le statut de sportifs de haut niveau (sur la liste ministérielle Jeunesse et Sports), ce qui nous permettra de jouir d’un certain nombre d’aides financières et surtout d’un accompagnement dans notre projet de vie.
Grégory Alcan : Comment conçois-tu le handisport et la façon dont les athlètes paralympiques influencent la société ?
Bopha KONG : Le handisport est une opportunité pour le grand public d’avoir un regard positif sur le handicap. Aussi, depuis une décennie, voit-on de plus en plus de vidéos partagées et « likées » par les « social networkers » qui admirent et partagent les performances athlétiques et techniques de personnes handicapées à travers les réseaux sociaux. Je trouve aussi que l’on ne voit pas encore assez les athlètes handisport, toutes disciplines confondues, qui pourraient faire l’actualité sportive dans les différents supports presse, TV et radio. Malheureusement, nous les voyons presque uniquement lors des Jeux paralympiques, c’est-à-dire tous les quatre ans. C’est déjà ça mais ce n’est pas assez. Et puis, je pense aussi que les progrès technologiques, d’ici quelques années, rendront les performances des athlètes handisport de plus en plus spectaculaires et donc peut-être de plus en plus médiatisées. Rappelons-nous le débat qu’à suscité la participation du sprinteur handisport OSCAR PISTORIUS aux championnats du monde d’athlétisme et aux Jeux olympiques de Londres 2012 pour les valides.
Grégory Alcan : Et si on abordait le sujet de la discrimination ?
Bopha KONG : Je trouve que c’est important de promouvoir la lutte contre toutes les formes de discrimination. Je peux en parler… je suis né au Vietnam et je suis arrivé en France à l’âge de 3 ans, j’ai un lourd handicap et je suis issu des quartiers fragilisés d’Île-de-France. En effet, il y a beaucoup d’inconvénients mais je m’efforce de passer au-dessus de tout ça. Pour moi, il faut aller de l’avant. Je me considère comme français et je suis fier de représenter la France au plus haut niveau de ma discipline. Il faut avoir la force de passer outre ces bêtises racistes pour ne pas se « victimiser » parce que tout ça se transforme en handicap et moi, mon handicap, je le surpasse tous les jours et j’en fais une force. Je vais de l’avant. Trop souvent, dans mon rapport aux autres, je sens que l’on veut me mettre dans une case qui est celle du « handicapé ». Par exemple, dans mon projet professionnel, je ne souhaite pas accompagner uniquement dans leurs projets sportifs des jeunes non valides mais aussi des jeunes valides en situation difficile.
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Grégory Alcan : Bopha, je te remercie pour ta disponibilité et toute l’équipe de PLUTON MAGAZINE te souhaite une bonne préparation et de bons résultats à tes prochaines échéances internationales.
Interview Grégory Alcan
Champion du monde et d’Europe de Gymnastique Aérobic Président et fondateur d’ISENZO association.