Par Zetta Ermakova
Russie-Sotchi
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La cuisine, c’est comme l’amour : soit on s’y engage totalement, soit il ne faut pas s’y essayer.
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Après les Jeux olympiques de 2014, Sotchi a acquis une renommée mondiale grâce à ses constructions gigantesques et à la qualité des Jeux qu’elle a organisés.
Mais bien avant cette époque faste, cette célèbre station balnéaire russe était un des endroits les plus courus des côtes de la mer Noire. Pour chaque Russe, Sotchi était la ville à visiter au moins une fois dans sa vie. Son nom était presque synonyme de vacances de luxe pour les visiteurs ayant la chance d’obtenir une chambre dans un hôtel. Pour les moins chanceux ou ceux qui ne pouvaient pas se l’offrir, il était facile de louer une chambre ou un lit chez l’habitant. Le phénomène était tellement répandu que les mêmes personnes revenaient souvent loger chez les mêmes propriétaires et ce pendant de nombreuses années. Ils devenaient presque parents, les vacanciers emmenant leurs enfants et leurs amis avec eux.
Sotchi est souvent appelée la « Porte du Caucase », l’endroit où les cultures russe et caucasienne se rencontrent en quelque sorte. Mais les temps ont changé et ceux qui n’ont plus visité Sotchi depuis 10 ou 15 ans seraient bien en peine de reconnaître la ville de leur « passé ». Aujourd’hui, lorsqu’ils arrivent à Sotchi, ils s’interrogent sur les lieux qui leur étaient chers. Parmi ces « endroits chers » figurent des restaurants de cuisine caucasienne.
Un de ces lieux évocateurs des souvenirs agréables de l’époque soviétique est toujours visible à Sotchi, au même endroit, sous le même nom, avec la même cuisine : c’est le restaurant « Kavkazski Aul », qui se trouve dans les gorges d’Agura, non loin des chutes du même nom. Cette année, l’établissement fête son cinquantième anniversaire, ce qui constitue un événement rare pour une ville qui change rapidement. Le temps et les péripéties commerciales ont été cléments avec cet endroit incroyable, niché au creux d’une vallée pittoresque près de la rivière Khosta. Il est parvenu à survivre et à préserver ses traditions alors que les années ont vu disparaître de nombreux autres établissements dont les noms ne subsistent plus que dans la mémoire de rares autochtones. Ouvert au siècle dernier, dans les années 60, le restaurant faisait partie des attractions les plus populaires de Sotchi.
Passer par cet endroit était un must pour de nombreux acteurs populaires, hommes politiques, officiels et invités étrangers.
La famille du propriétaire, Sergo Gugushvili, conserve de nombreuses photos et livres d’or portant la signature de personnes exceptionnelles.
Youri Gagarine, après son glorieux vol spatial, a suivi sa rééducation dans un des hôtels-spas de Sotchi et a fréquenté l’établissement à plusieurs reprises, ainsi que presque tous les cosmonautes soviétiques.
Un groupe de cosmonautes, après un de leurs passages au « Kavkazskii Aul », ont offert au propriétaire, en témoignage de leur admiration et de leur respect, une photo du premier homme dans l’espace, accompagnée de ces mots :
« Si un autre Akhun (nom de la montagne et du centre de loisir près du restaurant) ouvre sur la lune, nous promettons d’y envoyer Sergo et de le nommer chef »
Il convient également de mentionner le nom de Vladimir Vyssotski – sur le chemin qui mène au restaurant, on peut voir un petit mémorial en son honneur : une statue de l’acteur, une guitare à la main. On raconteque Vladimir a emmené sa belle épouse française, Marina Vlady, dans ce restaurant et a chanté pour elle sous un petit kiosque. Il y a également réuni ses amis pour leur interpréter ses nouvelles chansons. L’endroit accueille aujourd’hui un festival annuel lors duquel des auteurs jouent leurs chansons.
Nul besoin de dire que le Caucase et sa tradition d’hospitalité, sa cuisine et son style de vie ont toujours représenté quelque chose de très spécial dans ce gigantesque pays au climat, à la géographie et à la population si variés. Le symbole de l’hospitalité caucasienne, c’est un jour de fête accompagné de plats délicieux, de vins maison et de chacha (une boisson chaude à base de raisin, distillée maison), de viandes grillées, d’une farandole de sauces chaudes, de légumes, etc., sans oublier le « tamada » (le maître des toasts) qui « préside la table », selon la formule des caucasiens. Il s’agit de la personne qui lance les festivités, autorise les convives à porter un toast à certains moments du repas et permet aux invités de partir ou de se joindre à la fête.
Le Caucase est une vaste région qui englobe plusieurs républiques du sud de la Fédération de Russie (le Daghestan, l’Adyguée, la Tchétchénie, la Kabardino-Balkarie, etc.) et d’anciennes républiques soviétiques (la Géorgie, l’Azerbaïdjan, l’Arménie). Souvent, les habitants disent simplement « quelqu’un du Caucase », sans faire de distinction entre les origines ethniques. Les raisons en sont multiples et sont étroitement liées à la localisation géographique, au climat, aux échanges et liens commerciaux avec les pays arabes et méditerranéens depuis des temps immémoriaux. Ces groupes ethniques ont beaucoup en commun – la façon dont ils vivent, la façon dont ils traitent les membres de la famille (enfants et adultes), leurs coutumes et leurs traditions, le trait d’union le plus important entre eux étant leur cuisine.
Lorsqu’il prépare des plats caucasiens, la règle d’or du chef est d’utiliser uniquement les ingrédients les plus frais.Si l’on s’écarte un tant soit peu de cette règle, la qualité de la nourriture s’en ressent immédiatement. La méthode culinaire traditionnelle du Caucase consiste à préparer la nourriture en brochettes cuites sur un lit de charbons de bois ou en grillades. Les légumes frais, les légumes verts, le fromage et le pain lavash fait maison sont les éléments indispensables de toute fête caucasienne.
Le mets le plus célèbre est le shashlyk (brochettes), un plat que tout chef compétent prépare très facilement avec de la viande, de la volaille ou du poisson. La truite d’eau douce grillée et le rouget frit valent le détour. Le kharcho est une soupe de viande aromatisée, épicée et très consistante, dont il existe différentes versions. Un dîner copieux peut commencer avec du khashlama, un riche bouillon de viande aromatisé accompagné de légumes grossièrement hachés. Pour les matins un peu difficiles, en cas de gueule de bois au réveil, il est recommandé de manger une assiette de khash, un bouillon de jarret de bœuf très épais. Le khash traditionnel doit mijoter à feu doux toute la nuit.
Les Khinkali, cousins éloignés des raviolis, sont un autre mets très populaire au Caucase. Les khinkali sont des sacs de pâte fine fourrés avec de la viande hachée assaisonnée d’herbes aromatiques.
Les Khinkali sont servis bouillis ou blanchis et poêlés.
Les Hachapuri méritent une mention spéciale. Il s’agit d’une sorte de grande quiche aux garnitures variées : fromage, haricots, pommes de terre, légumes verts ou viande.
L’abondance des herbes et des épices est une des principales caractéristiques de la cuisine caucasienne.
Elles sont utilisées pour préparer et décorer les plats : le poireau sauvage, l’arroche, l’épinard, l’asperge, le céleri, l’oseille, le persil, l’oignon, l’aneth, le safran et même les feuilles de vignes sont souvent utilisés. Toutes les sauces mélangent savamment divers bouillons, la viande, les légumes, le poisson ou les champignons servant de base.
Chaque plat caucasien doit être servi avec une sauce, c’est une obligation ! La plus célèbre d’entre elles est la tkemali, composée d’une purée de mirabelles, de nombreux légumes verts hachés, d’ail et de piment. Cette sauce se marie très bien avec le poisson, le fromage et les plats de légumes. L’adjika, également très prisée, est cuisinée avec des poivrons rouges, du lait concentré, de l’aneth, de l’ail, des graines de coriandre pilées, du vinaigre de vin et des herbes aromatiques. Pour épaissir la sauce, certains y ajoutent du beurre, de la crème aigre ou de la crème et du lait. Les sauces caucasiennes sont préparées uniquement à partir de purées et de jus de fruits, de noix et de légumes écrasés.
La nourriture fait partie intégrante de l’hospitalité caucasienne. Le convive est toujours le mieux servi et il occupe une place spéciale autour de la table. Aujourd’hui encore, l’invité d’une maison caucasienne est souvent logé dans la patskha (partie réservée aux invités), là où loge l’homme le plus respecté de la famille. La petite maison est généralement richement décorée avec un petit tapis permettant de s’agenouiller pour la prière, des instruments de musique et des armes. Le maître de maison doit interrompre tous ses travaux et rester auprès de son invité pour répondre à tous ses besoins et le traiter avec dignité. Il est indécent de réclamer à ce dernier le but de sa visite ou l’endroit d’où il vient. L’invité se voit offrir les meilleurs plats, les meilleures boissons et de l’agneau frais lui est proposé s’il passe la nuit (une bête supplémentaire doit être tuée, même s’il y a assez de viande dans la maison). Avant le départ, le maître de maison doit offrir de la nourriture chaude à son hôte, notamment des tourtes, du fromage séché et de la viande.
L’intérieur du « Kavkazkii Aul » ressemble fort à une chambre d’amis : des tapis, des photographies aux murs, des nappes en soie, des poteries artisanales et bien d’autres objets nous donnent l’impression d’être dans une véritable maison caucasienne. Les serveurs portent le costume caucasien traditionnel et traitent les clients du restaurant avec honneur et respect. Le menu ressemble à un livre de cuisine agrémenté de belles photos et des recettes.
Dans une telle ambiance, il est difficile de ne pas ressentir la célèbre hospitalité caucasienne et impossible de ne pas tomber amoureux d’une des cuisines parmi les plus délicieuses au monde.
Zetta Ermakova
Correspondante Russie