Des écrivains au pays de Montesquieu

 

 

« J’ai vu, j’ai partagé l’impatience avec laquelle il était toujours attendu, la joie avec laquelle on le voyait arriver ».  (Maupertuis)

img_8714-1Le 21 mai 2005 – s’il nous était revenu du lointain passé – Charles-Louis de Secondat, baron de La Brède et de Montesquieu, n’aurait sans doute pas été dépaysé de retrouver son château aimé, de voir, sur la grande allée bordée de platanes, fiacre, chevaux et cochets, costumes d’autrefois… Car notre célèbre et universel Montesquieu, auteur des Lettres persanes et de L’Esprit des Lois, était fêté ce jour-là à l’occasion du 250ème anniversaire de sa mort. De quoi tordre ainsi le coup à l’adage bien connu que nul n’est prophète en son pays ! En l’occurrence, cette charmante localité de La Brède, lieu de sa naissance un 18 janvier 1689, située à une vingtaine de kilomètres au sud de Bordeaux ; nous sommes ici à la frontière entre le monde urbain d’une grande métropole et une zone rurale au fort caractère, dans le célèbre vignoble des Graves, mais aussi aux prémices du massif forestier landais. La Brède est un centre urbain actif et dynamique.

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Et riche de ses manifestations culturelles et sportives (Fêtes de la Rosière, La Feria –on renoue avec une tradition taurine – salon des Arts, Foire de la Sainte-Luce), la municipalité fait revivre aussi chaque année le souvenir de Montesquieu. Des manifestations ponctuelles ont lieu dans l’évocation de l’enfant du pays (lectures choisies, causeries, visites de divers sites de la baronnie, vignoble, autre passion de Montesquieu…) Tout naturellement, la Fondation Jacqueline de Chabannes, propriétaire du château, outre les visites traditionnelles du site, ouvre les portes pour la manifestation annuelle dont le Comité Montesquieu a en charge l’organisation, pour des moments de théâtre, de littérature, de musique. En 2007, Alexandre de Montesquieu initiait le Cercle des Amis de Montesquieu permettant de fédérer et de pérenniser les choses, avec, entre autres, l’instauration d’un Prix littéraire portant le nom du philosophe. Le thème de l’ouvrage doit se situer au XVIIIème siècle (entre 1689 et 1789), en France ou en Europe. En cette année 2016, parmi une sélection de cinq livres, les membres du jury ont élu « L’Instant de Grâce » d’Yves Viollier, récit qui nous ramène à l’automne 1793, le moment le plus violent, le plus impitoyable de la  guerre de Vendée, mais aussi à un chef-d’œuvre, la création d’une sculpture qui a duré sept ans et qui a marqué son époque.

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«  On nous l’avait figé depuis deux siècles et demi ! »

 

Monique Brut Moncassin, auteure de plusieurs ouvrages dont « Montesquieu en ses vignobles », n’oublie pas ce 10 février 2005, pour l’événement du bicentenaire (et un peu plus), quand tout le monde se retrouva dans une église glaciale, mais où l’on se prit au jeu dans l’émotion ; ainsi, écrit-elle, «  Alexandre était Charles-Louis, si ému en prononçant les mots mêmes de son illustre ancêtre ; Sylvie, elle, avait endossé avec naturel le rôle de certaines dames de cœur du cher baron ; tous mes amis lecteurs l’avaient fait revenir parmi nous avec énormément de sincérité. Quel plaisir ce fut pour moi de le présenter ainsi, descendu du piédestal sur lequel on nous l’avait figé depuis deux siècles et demi ! »

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Michel et Sylvie Dufranc

En 2016, l’équipe, toujours soudée, affiche une détermination à toute épreuve autour de Michel Dufranc, le maire, Sylvie Dufranc et Philippe Estrade qui ont travaillé depuis deux ans à la création d’un salon du livre qui manquait étrangement au pays de Montesquieu. C’est chose faite, la 2ème édition s’est tenue en ce mois d’octobre 2016, avec aussi toutes ces autres compétences et bonnes volontés rassemblées : Véronique, Jean-Pierre, Catherine, Alexandre (Laffargue), Carole, Anne-Marie… et beaucoup d’autres. Et bien sûr, Alexandre de Montesquieu dont la ressemblance avec son illustre ancêtre est frappante, mais dont la modestie va de pair avec gentillesse, dynamisme et humour ; il n’est que de lire l’enseigne au-dessus de son bel établissement de vins et tapas, « L’Esprit des Vins », pour s’en convaincre. Mais, comme son ancêtre, il est homme de culture, celle des cépages, celle aussi de l’esprit. Alors, quarante auteurs présents tout à coup dans les dépendances du château de La Brède, c’était poursuivre sur la lancée, même si depuis longtemps, l’ordinateur a remplacé la plume et l’encrier.

 

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Henri Djombo Ministre de l’agriculture , de l’élevage et de la pêche  du Congo

 

 

« Quand je lis, je suis elle, il, eux, nous… »

 

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Philippe Estrade

Ainsi, sur les deux premières éditions du salon, ce sont plus de quatre-vingts auteurs qui sont venus à La Brède et dont les ouvrages ne portaient pas nécessairement sur le philosophe (certains spécialistes du grand homme et de son temps étant bien évidemment présents, comme François Cadilhon, professeur à l’Université de Bordeaux qui enseigne l’histoire culturelle de l’Europe des XVIII et XIXème siècles et venu présenter son dernier ouvrage « Les Montesquieu après Montesquieu »), mais plus globalement sur le thème des Cultures et Civilisations du Monde. Entre les signatures, se sont succédé tête-à-tête, tables rondes, cafés littéraires où il fut notamment question des grands voyageurs, de terres de pluralités, de la  place des femmes dans la société, ou encore de la notion d’exotisme, entre fantasme et altérité … démarche que la marraine de cette édition 2016, Dominique Deblaine, maître de conférence à l’Université Montesquieu Bordeaux IV, a joliment résumée :

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Dominique Deblaine

 « Lire est une puissante invitation à un étonnant voyage. Quand je lis (…) je partage des désirs et des espoirs, j’entre dans un monde chimérique et je crois à tous les possibles, et je comprends mon âme. Quand je lis… je suis elle, il, eux, nous, je prends toutes les libertés, j’entre en résistance, je vogue vers des terres attirantes, terrifiantes ou redoutables, je navigue à l’estime…et je tiens mon cap. »

Mais entre des débats sérieux, la jeunesse a su aussi trouver sa place avec jeux de plume, contes, musique, poésie et slam, là avec Marc Alexandre Oho Bambe, « Capitaine Alexandre », connu aussi sous ce pseudonyme : « il est un dandy de grand chemin, être écrivant vivant à contrejour, au tempo du corps et du cœur en accord, respirant au rythme de mots bleus jetés entre les îles du monde », le tout couronné par la remise des prix littéraires Jeunesse. La renommée du Salon du Livre du château de La Brède va bien au-delà du noble terroir, jusqu’aux Antilles et en Afrique, cette édition 2016 ayant été honorée par la présence d’une plume reconnue du Congo, Henri Djombo, qui se trouve être aussi le ministre de l’Agriculture, de l’Élevage et de la Pêche. (Voir entretien par ailleurs, signé Dominique  Lancastre). Parmi ses ouvrages, l’un des plus remarquables est sans doute « Lumières des Temps Perdus », où la superposition de la fiction et du réel tisse un roman palpitant et fascinant. On y découvre comment « dans un monde de perversions et d’injustices, l’Afrique de demain rompt ses liens avec les Afriques d’hier et d’aujourd’hui, comment elle lève le voile sur les complicités, la bâtardise et les hypocrisies de notre ère ».

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«  Ce terroir-ci, c’est la base de l’homme académicien, nous avons envie aussi de le voir redevenir ce qu’il était !  ».

 

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Alexande de Montesquieu

Le soir tombe sur La Brède, château et dépendances ont retrouvé pénombre et quiétude après l’agitation de ces deux derniers jours. Alexandre de Montesquieu est heureux, il salue l’avènement de la manifestation littéraire qui manquait. Je lui demande comment il ressent tout cela : « Ce qui me réjouit le plus aujourd’hui, c’est de voir que ce lieu vit ! C’était un lieu endormi depuis des années, qui, aujourd’hui, a la possibilité de revivre au travers des multiples événements que nous y organisons, comme la Journée Montesquieu en septembre, et tous les bénévoles qui travaillent font que Montesquieu, l’Homme, arrive à se reconstruire aujourd’hui, à la place du seul académicien, c’est absolument extraordinaire ; l’académicien est une chose, l’homme en est une autre et l’homme de La Brède et des Graves, c’est aussi, sinon, le plus important : l’académicien, c’est la renommée internationale, mais l’homme de ce terroir-ci, celui de ces terres, c’est la base de l’homme académicien. Je pense que c’est un résumé assez juste de ce qu’était Montesquieu, c’est-à-dire d’abord un paysan et c’est ce paysan qui au travers de ses écrits a atteint cette renommée universelle. Eh bien, c’est ce personnage que nous essayons de reconstruire aujourd’hui, parce qu’il a été maintes et maintes fois mis sur un piédestal. Nous, nous avons envie aussi de le voir redevenir ce qu’il était ! »

Jean-Louis Lorenzo

Secrétaire de rédaction Colette Fournier

Copyright Pluton-Magazine/2016

Crédit photos: Eric Jault

Photos Pluton-Magazine

 

Liste des auteurs et programme.

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1 comments

Je vois en prévious post :<> et je pense tout de suite à celles et ceux qui ont bradé le leur pour que ce Salon du Livre de Labrède soit une nouvelle fois une réussite comme tout un chacun, écrivain ou visiteur-lecteur, curieux et simple amoureux de la nature est appelé à le reconnaître avec objectivité et en toute sincérité. Cet évènement mérite de prendre le caractère d’une institution internationalement reconnue. Vivement la prochaine édition et merci beaucoup à Pluton Magazine pour cette passionnante plongée dans la vie de Montesquieu et aussi pour une belle page d’histoire en général du pays de France et en particulier d’une région qui m’est chère. BRAVO !

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