GUERRE DE CENT ANS : UN CONFLIT FRANCO-FRANÇAIS ENTRE LA FAMILLE DES PLANTAGENÊTS ET CELLE DES CAPÉTIENS

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Par Philippe Estrade

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Fruit de l’affrontement entre la famille angevine des Plantagenêts qui régna sur le royaume d’Angleterre, et ses cousins du continent, les Capétiens, le conflit s’est déroulé en réalité sur près de quatre siècles, après que Guillaume de Normandie eut soumis l’Angleterre en 1066 et la fin de la guerre de Cent Ans à Castillon-la-Bataille, en 1453 sur les terres de Guyenne…

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Guillaume le Conquérant s’impose à Hasting

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La broderie qualifiée de « Tapisserie de Bayeux » illustre parfaitement la conquête d’outre-Manche en 1066 à Hasting par Guillaume de Normandie, dit le Conquérant, qui devint roi d’Angleterre le jour de Noël. Dès son installation sur le trône, le nouveau souverain français engagea ce territoire qualifié de barbare, divisé, peu civilisé et à l’isolement relatif, vers l’organisation d’une nation puissante et éclairée, au point de concurrencer la famille capétienne intronisée depuis peu dans le royaume de France. Les seigneurs anglo-saxons qui refusèrent la légitimité de Guillaume sur le trône ou qui parvinrent à se révolter furent systématiquement dépouillés de leurs biens, terres, blasons et charges redistribués aux favoris normands de Guillaume ou aux aristocrates et châtelains plus dociles devant la domination française. Les seigneurs anglo-saxons qui disparaissaient sans succession étaient immédiatement remplacés par des normands qui éliminèrent ainsi l’aristocratie autochtone. Guillaume imposa la langue française à son nouveau territoire anglo-normand, irrigué par de nombreux dialectes. C’est cet ancien français précisément qui inspira la voie à une nouvelle langue anglaise métissée, destinée à unifier les populations saxonnes et angles. D’ailleurs, l’anglais y puise toujours de nos jours plus de la moitié de son vocabulaire. Le Capétien Philippe 1er, qui lutta vigoureusement contre l’incontournable et puissant Guillaume, nouveau roi d’Angleterre mais toujours vassal du roi de France par son titre de duc de Normandie, parvint tout de même à s’entendre avec lui après qu’il eut tenté en vain de manœuvrer pour l’affaiblir en soutenant une succession de révoltes sur le terroir normand.

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Tous les grands rois capétiens en conflit avec les rois français d’Angleterre

Les vestiges du château d’Hasting érigé par les français dès leur arrivée en Angleterre

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Avant le déclenchement officiel de la guerre de Cent Ans, que les historiens font débuter en 1337, à partir de la présence permanente des anglo-normands sur le territoire de France, deux siècles et demi de conflits réguliers avaient alimenté et détérioré les relations entre souverains français des deux côtés de la Manche. C’est Louis VI qui s’engagea le tout premier, à partir de 1119, dans une lutte énergique contre les ennemis français héréditaires du royaume d’Angleterre, en tentant, infructueusement, de reprendre au nouveau roi anglo-normand Henri 1er ses territoires de Normandie. Son fils Louis VII le Jeune fut le souverain qui fit basculer malgré lui la riche Aquitaine dans le giron anglo-normand après qu’Aliénor, dont il se sépara, eut épousé Henri de Plantagenêt, nouveau souverain d’Angleterre sous le nom d’Henri II. Plus tard, Philippe II, le grand Philippe Auguste, combattit la puissance des Plantagenêts et entra en conflit avec le nouveau roi Richard Cœur de Lion, fils d’Henri et d’Aliénor d’Aquitaine. Son héritier capétien Louis VIII parvint à reconquérir le Bordelais, le Périgord et le Limousin avant la signature d’une trêve relative. Plus tard, Charles IV le Bel, le dernier des Capétiens directs, s’empara à son tour de la région d’Agen et contraignit le nouveau roi d’Angleterre Édouard III à lui prêter l’hommage féodal.

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Aliénor offre finalement la riche Aquitaine aux puissants Plantagenêts

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Les gisants d’Alienor d’Aquitaine et de Richard Coeur de Lion dans l’abbaye de Fontevraud

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Peu avant sa mort, Louis VI prit soin de marier son fils cadet, le futur Louis VII, à la belle et brillante Éléonore d’Aquitaine, seule héritière de Bordeaux et de la Gascogne, mais aussi de l’immense duché d’Aquitaine que les anglo-normands baptisèrent Guyenne par déformation linguistique. Mieux connue sous le nom d’Aliénor, intelligente et plus éclairée par la littérature, la poésie et les questions politiques que par la dimension religieuse, elle n’appréciait guère Louis VII et lui fut même infidèle. Répudiée, ce qui n’aurait peut-être pas été entrepris si elle avait pu mettre au monde un héritier mâle, Aliénor tomba sous le charme d’Henri de Plantagenêt, conte d’Anjou, du Maine, de Touraine et futur héritier du trône d’Angleterre sous le nom d’Henri II. Elle apporta ainsi la riche Aquitaine à la couronne anglo-normande. La division de la famille des Plantagenêts interviendra en plein cœur de la guerre de Cent Ans et permettra au futur Henri IV d’Angleterre de s’emparer du pouvoir en fondant une lignée indirecte, la maison de Lancastre.

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Avec Philippe VI, Capétien indirect de la lignée des Valois, s’ouvre la guerre de Cent Ans

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Le blason de la riche Gascogne, pays d’Aliénor

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Que les raisons du conflit fussent liées à la succession du trône de France revendiqué par l’Angleterre ou qu’elles dépendissent aussi des actions militaires répétées des rois capétiens contre les terres anglo-normandes du sud-ouest, les hostilités marquèrent durablement la relation compliquée de ces deux nations appelées à dominer dans l’histoire le jeu politique européen. C’est la lignée des Valois, Capétiens désormais indirects puisque le roi Charles IV le Bel n’eut pas d’héritier, qui s’installa en 1328 sur le trône de France après que la loi salique appelée à évincer tout héritier émanant de la mère fut proclamée. Cette disposition destinée à écarter les Plantagenêts et le roi d’Angleterre Édouard III de l’ambition de prétendre au trône de France conduisit ce dernier à se déclarer seul héritier légitime de Philippe le Bel dont il fut le petit-fils par sa mère. Inévitable désormais, la guerre de cent ans, conflit franco-français opposant la famille des Plantagenêts à celle des Capétiens, éclata entre les royaumes d’Angleterre et de France en 1337. Dès le début des hostilités, les armées anglo-normandes mieux organisées infligèrent de sévères défaites aux troupes du roi de France. La déroute de Crécy dans la Somme, en 1346, qui fut rude pour Philippe VI, mit en évidence la qualité des matériels ennemis et la dextérité des archers gallois, selon la chronique. Avant que les troupes françaises ne relevassent la tête dans cette guerre, à partir de l’arrivée de Jeanne d’Arc en 1429, la chevalerie subit à Azincourt, sous Charles VI en 1415, un terrible nouvel échec ouvrant à la perte de la Normandie et de Paris, qui tomba cinq ans plus tard. La défaite française fut alors totale et désastreuse.

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L’INTERVENTION DE JEANNE D’ARC, UNE PROVIDENCE POUR LA RECONQUÊTE DU ROYAUME DE FRANCE

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Jeanne d’Arc a passé une enfance plutôt pieuse dans les champs de Domrémy, au carrefour de la Lorraine et de la Champagne. Sa ferveur à servir le roi et les voix qu’elle aurait entendues, notamment de l’archange Saint-Michel, finirent par convaincre les seigneurs locaux qui lui fournirent une lettre et une escorte afin de la conduire auprès du roi Charles VII, un souverain bien esseulé dans un territoire très réduit. Il fut en effet déshérité par sa mère Isabeau de Bavière au profit du roi d’Angleterre. L’arrivée de Jeanne d’Arc, que l’on peut qualifier à la fois de providentielle et de déroutante, permit à Charles VII de reconquérir la quasi-intégralité de son royaume.

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Le siège d’Orléans, premier tournant dans la reconquête

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Orléans, Patay, Reims, les grandes étapes militaires de Jeanne

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C’est à Chinon, en 1429, qu’elle parvint à persuader Charles VII de lui fournir des troupes pour libérer Orléans assiégé par les anglais. Pas de doute, Jeanne demeure une énigme totale. Comment cette jeune femme à peine âgée de 17 ans, a priori complètement novice sur les questions de stratégies et de guerres, a-t-elle pu ainsi captiver le roi, elle, présentée comme une paysanne, une bergère, et obtenir une armée. Nombreuses sont les légendes qui accompagnent la « Pucelle » dont celle de l’épée de Charles Martel qu’elle aurait exhumée de l’autel de l’église de Sainte-Catherine dans un village tourangeau, ou encore celle de sa première rencontre avec le roi Charles VII qu’elle aurait reconnu alors qu’il était simplement vêtu au milieu de ses courtisans. Probablement dérouté et surpris par le culot de Jeanne et son succès à Orléans, le roi put enfin être légitimé par son sacre à Reims, organisé pour l’essentiel par l’incontournable Jeanne, toujours elle…

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Une figure exceptionnelle et une épopée de deux ans pour marquer l’histoire

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La France déchirée jusqu’au succès de Castillon-la-Bataille en 1453

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Après être parvenue à libérer Orléans du siège anglo-normand, Jeanne, aidée de quelques fidèles compagnons, La Hire et de Xaintrailles notamment, repoussa une nouvelle fois les anglais à la bataille de Patay. Déstabilisés, ces derniers commencèrent à douter et se mirent à croire à une forme de force surnaturelle qui habiterait la « Pucelle ». Intelligent mais ingrat, le roi Charles VII, qui dut tout à Jeanne d’Arc dans sa reconquête du pays, l’abandonna pourtant après que les bourguignons, alliés des anglais, s’emparèrent de la jeune femme qu’ils leur vendirent en 1430, quelques mois plus tard. On connaît bien la suite du destin tragique de cette femme exceptionnelle qui marque le panthéon des grandes figures de l’histoire de France. Déclarée sorcière et hérétique par Cauchon et le clergé, elle fut brûlée vive le 30 mai 1431 sur le bûcher de la place du Vieux-Marché de Rouen, territoire sous contrôle d’Henri VI d’Angleterre.

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Le mystère Jeanne d’Arc, sûrement pas si bergère que cela…

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Jeanne organise le sacre de Charles VII à Reims

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Mais qui était donc Jeanne ? De nombreux mystères planent encore sur les origines de Jeanne d’Arc que l’histoire a pourtant présentée comme une simple paysanne issue de la campagne lorraine. Mais il n’est pas totalement incongru de penser qu’elle n’était pas qu’une simple bergère lorraine. Alors que l’analphabétisme et l’illettrisme étaient la règle partout dans les campagnes, Jeanne savait parfaitement lire et écrire le français, maîtrisant même quelques bases de latin, selon les chroniques de son procès parvenues jusqu’à nous. Elle possédait un vocabulaire parfois puisé dans la sémantique religieuse, politique et militaire qu’elle utilisait avec justesse, dans une syntaxe irréprochable. Jeanne a donc reçu une solide éducation intellectuelle qui n’a rien à voir avec celle d’une paysanne du terroir profond, ce qui laisse penser à une origine moins populaire. Un constat surprenant et déroutant pour une jeune femme que l’histoire traditionnelle a toujours présentée comme une bergère de la province lointaine. Malgré la prudence de certains historiens, elle pourrait être, selon certaines rumeurs, la fille illégitime de la reine Isabeau de Bavière, épouse de Charles VI le fou, qu’elle aurait eue avec Louis d’Orléans, très proche d’elle et particulièrement assidu… Jeanne pourrait être ainsi la demi-sœur du roi Charles VII qu’elle aurait donc aidé à reconquérir le royaume et à chasser les anglais. Alors, Jeanne put-elle être exfiltrée et confiée aux bons soins d’une famille plutôt aisée, chargée de l’élever, les d’Arc à Domrémy ? Fascinant, le sujet semble presque tabou au point d’irriter certains historiens. En revanche, ce qui est admis, c’est que Jeanne d’Arc, en effet, avait une solide éducation, plus proche de l’aristocratie que des muletiers ou des bouseux du 15e siècle. Le mystère Jeanne demeure donc entier et déroute toujours.

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La réhabilitation de Sainte Jeanne d’Arc

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C’est le pape Calixte III qui réhabilita Jeanne d’Arc en 1456, vingt-cinq après sa disparition, avant sa béatification qui n’intervint que bien plus tard, en 1909, peu après la séparation des Églises et de l’État. La canonisation de Jeanne fut prononcée en 1920, alors que cette même année, le parlement, avide de symboles patriotiques résultant du conflit de 1914-1918, instaura la fête nationale de Jeanne d’Arc le deuxième dimanche de mai, tombée en désuétude de nos jours en dehors des mouvements nationalistes.

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LE SUCCÈS DES VALOIS ET LA DÉROUTE TOTALE DES ANGLAIS

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La reconquête de l’essentiel des territoires perdus fut enfin possible, grâce à la réconciliation entre Philippe le Bon, duc de Bourgogne, et Charles VII, ce qui donna l’occasion au roi de France de reprendre la main vers 1435 et de regagner du terrain sur les anglo-normands, désormais orphelins de leur allié bourguignon.

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Les troupes anglo-normandes perdent pied à Castillon la Bataille, près de Bordeaux

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Charles VII dit le Victorieux grâce au soutien de Jeanne

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La victoire de Castillon en terre de Guyenne, dans l’été 1453, sonna le glas de la présence anglaise sur le royaume de France. Ce haut fait d’armes marqua la chute des anglo-français qui ne conserveront finalement que Calais, que le roi de France Henri II reprendra définitivement un siècle plus tard. Les troupes françaises s’emparèrent de Bordeaux dès 1451, mais Henri VI d’Angleterre parvint à surprendre les garnisons et soumit à nouveau cette capitale du sud, à la grande satisfaction des bordelais dont la prospérité fut surtout liée au commerce avec l’outre-Manche. Talbot, qui commandait les unités anglaises en 1453, savait parfaitement que ses forces étaient bien plus faibles que celle de l’adversaire malgré le soutien qu’il obtint de 4000 gascons de Bordeaux et de la région. Bien organisée, la canonnade française eut un effet dévastateur sur les effectifs anglo-normands alors que Bordeaux assiégée et affamée préféra se soumettre définitivement à l’autorité du roi de France Charles VII.

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Louis XI met définitivement fin à la Guerre de Cent Ans

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Si les livres d’histoire fixent la fin du conflit en 1453 à la bataille de Castillon, c’est en fait en 1475 que les nouveaux rois dans chaque camp, Louis XI chez les Valois et Édouard IV d’Angleterre chez les anglo-normands, négocièrent définitivement la fin de ce long affrontement, après que les anglais eurent tenté un ultime débarquement, voué à l’échec, à Calais. La diplomatie et la paix peuvent aussi exiger des unions d’intérêt politique. C’est donc ce que firent le dauphin de France, futur Charles VIII, et la fille aînée du roi Édouard IV, en se fiançant pour le destin commun des deux nations européennes, désormais momentanément pacifiées.

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De chaque côté de la Manche, des cousins enfin réconciliés

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Réconciliés, Français et Anglais n’auront pas manqué toutefois les opportunités pour s’affronter au cours des siècles à venir, souvent indirectement sur des théâtres conflictuels extérieurs, en particulier sur les nouveaux territoires conquis aux Indes, au Canada et ailleurs dans le monde. La guerre d’indépendance en Amérique du Nord qui fut aussi l’occasion pour les Bourbons, avec Lafayette en tête de proue, de soutenir les insurgés dans l’espoir d’affaiblir le royaume rival en lui faisant perdre ses colonies d’Amérique du Nord, en est la parfaite illustration, et l’occasion aussi de venger la défaite française au Canada. Rudes relations que furent celles de ces deux puissances occidentales toujours rivales bien qu’unies dorénavant dans une forme d’amitié ambigüe, contradictoire et souvent compétitrice. Néanmoins, contre les tyrannies qui ont émergé ce dernier siècle et celles qui ébranlent et bouleversent notre époque, le destin de ces cousins de l’histoire que la Manche sépare a toujours permis qu’ils se retrouvent pour défendre l’essentiel. Les valeurs de liberté et de progrès des hommes, qu’ils ont su tisser en commun, utiles pour faire face aux rudes défis à venir de notre âpre époque.

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Rédacteur Philippe Estrade (Bordeaux-Aquitaine)

Secrétaire de rédaction Colette Fournier (Lyon)

Pluton-Magazine (Paris16)

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