(Tribune). L’amour au travail : vers le chemin de la croissance et du bonheur

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Par Georges Cocks

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Vos salariés ne sont pas là pour vous aimer, mais pour travailler. Ils vous apprécieront si vous les traitez comme des humains, si vous leur montrez le respect de ce qu’ils sont et de ce qu’ils font. Contrairement à ce que vous avez appris et aux idées véhiculées, vous pouvez réaliser des bénéfices conséquents et diminuer certaines charges si les gens redeviennent à vos yeux des hommes et des femmes comme vous l’êtes, vous, avec vos défauts et vos qualités, et non des moyens humains que l’on calcule en ratios à coup de logiciels. PATRONS, apprenez à aimer vos salariés.

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L’organisation du travail

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Le travail n’a jamais fait souffrir autant, avec une prévalence de morbidité énorme, qu’à notre époque. Les modèles d’organisation du travail, que nous ne citerons pas ici pour ne pas faire de publicité à une démarche dont la seule visée consiste à créer du profit au détriment de la force humaine et intellectuelle, ont tous exprimé leur limite et leur inefficacité humaine. Des feux de paille qu’il faut constamment alimenter avec de nouvelles organisations en perspective. Étudier, comprendre le mal-être au travail, à l’aide de sociologues, de psychologues, de questionnaires… autant de travail acharné pour comprendre le mal induit par le travail, et pourtant rien n’a changé. On évalue, on mesure la santé mentale et le stress par des questionnaires qui font déjà peur au salarié, sur le principe de l’anonymat qui est remis en question, car la hantise d’être démasqué pour avoir dit la vérité cache une peur de perdre son travail. Finalement, l’employeur est craint. Il est perçu comme celui qui a tout pouvoir sur le gagne-pain, alors que c’est le salarié lui-même, en traduisant sa force au travail, qui crée sa propre richesse et celle de l’entreprise. Le management par la terreur est une forme répandue d’un concept du travail qui défie souvent le Code du travail, qui lui-même tend à réduire les acquis du travailleur et renforce le pouvoir du patron. Il y a quelque temps, l’obligation de l’employeur (en France, selon le Code du travail) était d’assurer la sécurité, la santé physique et mentale du salarié ; bientôt, il sera question seulement de la sécurité et de la santé physique du salarié. Or, aujourd’hui, les risques les plus dangereux sont d’ordre mental, on les appelle les risques psychosociaux ou RPS.

La santé mentale est une question qui fait peur aux patrons. Elle coûte énormément et pourtant on continue d’exercer la pression pour atteindre les objectifs du jour, du mois et de l’année, sans penser au futur ni à pérenniser la performance sur le long terme.

La fréquence des arrêts de maladie pour des pathologies  « non visibles » (stress, dépression, burn-out..) ainsi que leur durée sont en nette augmentation. Pourtant d’ordre mental, les effets secondaires restent visibles et inquiétants (maladie de la peau, perte de cheveux, négligence corporelle, consommation de substances psychoactives, violence conjugale…).

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Recentrer l’humain

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On apprend d’abord au jeune patron à calculer le profit, si bien que dans sa logique, moins il dépensera, plus il gagnera. Il ne doit jamais se laisser faire. On lui apprend même à se confronter à des loups, des séminaires sont dispensés aux patrons pour réveiller l’animal qui sommeille en eux. « Il faut un savoir-faire pour diriger une entreprise », «  c’est moi le patron ici », «  c’est ça ou tu vas voir ailleurs », « il y a un tas de gens qui attendent à Pôle Emploi ». Si vous avez seulement pensé à des choses similaires, il est temps de vous questionner. Ces comportements désastreux ne feront jamais de vous un bon dirigeant. On ne peut pas bichonner une machine qui nous aurait coûté des milliers d’euros et maltraiter le salarié qui manipule cette machine, c’est une aberration. Les deux sont indispensables et celui qui est capable de penser l’est d’avantage, car il a la capacité de maintenir en bon état de marche cet outil. La robotisation, les avancées technologiques et la promesse d’une I.A performante ont relégué les hommes au rôle de simples outils qu’on peut négliger, car il y a tant de pièces flambant neuves qu’il n’est point besoin de les réparer. Le chômage joue un rôle de régulateur malsain. Le monde du travail a supprimé à l’homme son opus, sa créativité, pour lui imposer le labor, le travail mécanique robotisé, où il n’a plus besoin de réfléchir ni de penser mais seulement d’exécuter les tâches qu’on lui impose. Chaque individu dans l’entreprise est une partie de l’entreprise. C’est un échafaudage. Il ne vous viendrait pas à l’esprit d’enlever une roue de votre voiture sous prétexte que les pneus sont trop chers. Ni de lésiner sur les freins parce qu’on ne descend pas de côtes. Si vous avez compris que chaque homme est important et utile pour la croissance de votre entreprise, alors vous allez en prendre grand soin. Vous gagnerez à le laisser s’épanouir, grandir et s’exprimer. Il vaut mieux avoir cinquante idées différentes qu’une idée ingénieuse piochée dans un ouvrage de management et qui se révèle à court terme calamiteuse.

Les salariés attendent bien plus de la reconnaissance pour ce qu’ils font que la reconnaissance financière en premier lieu. La fierté se perd dans l’entreprise aujourd’hui. Les salariés ne se reconnaissent plus dans les modèles d’organisation, surtout lorsqu’ils ont connu les Trente Glorieuses par le passé. Ils ne se reconnaissent plus dans l’entreprise pour laquelle ils travaillent. Ils voient en elle juste une SARL, une EURL, une multinationale, car la proximité humaine a disparu. La compétition malsaine a engendré un climat de méfiance et d’hypocrisie au sein de l’entreprise, mais c’est vous, patron, qui en êtes à l’origine indirectement.

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Les jobs à la con

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Certains niveaux de la hiérarchie sont tout simplement toxiques et inutiles, avec des salariés qui sont payés pour mettre la zizanie et non de l’ordre dans le bon fonctionnement. L’entreprise gagnerait à les payer à être à la plage plutôt que de briller de leur présence vide et inféconde. L’anthropologue et économiste américain David Graeber a théorisé en 2013 le concept de « bullshit jobs », ou « jobs à la con », des emplois inutiles et vides de sens. Souvent, ces chefs ne connaissent pas le travail de ceux qu’ils sont censés encadrer et peinent à leur apporter des solutions pour améliorer leur quotidien quand ils font face à des cas complexes. Ils sont payés plus cher et les mauvais résultats de l’entreprise sont le plus souvent imputés aux exécutants, car le cadre a toujours raison. Sauf qu’on ne peut attendre l’excellence dans la médiocrité absolue.

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Favorisez des relations humaines

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Sans tomber dans l’extrême, considérez vos salariés comme des partenaires, des alliés, des collaborateurs, « des amis » dont vous avez besoin et qui vous sont utiles. Faites de votre entreprise une vraie communauté où il fait bon vivre, où chacun contribue à la vie de celle-ci. Valorisez les gens. Ne les considérez pas comme des enfants. Confiez-leur des responsabilités, laissez-les prendre des initiatives et soumettre celles qui sont plus importantes. Accordez vos violons. Rien ne sert de faire arbitrairement les choses parce que vous êtes le patron. Si vous faites preuve d’empathie, on ne vous verra pas comme un gros con, même si vous roulez en Porsche. Ces détails extérieurs ne changeront pas le point de vue positif de vos collaborateurs sur vous. Si vous-même, vous avez été salarié à un moment donné, alors n’oubliez pas d’où vous venez et ce que vous avez vécu. Ne faites pas vivre aux autres ce qu’on vous aurait fait subir, mais rappelez-vous constamment que vous devez tout faire pour ne pas tomber dans ce travers, ce n’est pas dans les gènes. Encouragez l’autodiscipline et la responsabilité au travail. Les patrons dépensent souvent des sommes d’argent considérables dans des logiciels de gestion qui stressent et sapent la confiance, car ils permettent de fliquer le travail, les horaires… Les grands évènements sportifs (coupe du monde, tennis, JO…) vous donnent l’occasion de mettre à disposition du matériel pour suivre ces directs tout en travaillant dans l’euphorie du moment. Cela est souvent apprécié. Les petits déjeuners et repas pris à l’initiative des salariés renforcent la cohésion de groupe et vous évitent de payer des coachs pour recoller un vase cassé. Si vous les laisser faire, n’hésitez pas à soutenir financièrement leur initiative et à manger avec eux.

Soyez humain dans les relations. Si une situation s’apparente à de l’abus, parlez-en avec le salarié en l’invitant à vous proposer des solutions pour régler le problème. Il sera plus facile pour lui d’accepter et de tenir sa parole sans s’offusquer. Ne refusez pas des congés à la tête du client et s’il n’y a aucune raison apparente de le faire. Si vous devez avoir le dernier mot sur la stratégie à suivre malgré les échanges, expliquez pour quelles raisons vous souhaitez poursuivre dans cette voie. Soyez transparent.

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La reconnaissance

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Évitez le piège de l’ascenseur et des escaliers quand il s’agit de promotion. Si ce malaise est perceptible dans votre société, c’est que vous n’avez pas fait ce qu’il faut pour favoriser la montée en compétence de vos collaborateurs. Tant qu’il n’y a pas de spécificité entre les métiers, tout le monde doit tout savoir faire et avoir accès aux mêmes outils. Vous augmenterez ainsi votre chance de performance même en cas d’absentéisme prolongé (congés annuels, maladie, intempéries…) Ne confondez pas égalité et équité. Être équitable, en un mot, c’est enrayer les inégalités qui sont des sources de tensions.

Favorisez le dialogue et l’écoute, cela vous évitera des conflits qui aboutiront à des grèves. D’excellents modèles ont montré que lorsque les salariés sont les actionnaires principaux de l’entreprise, le sentiment d’appartenance est plus fort. Les salariés travaillent sans se soucier des horaires, car ils savent que plus ils travaillent, plus ils gagnent. Certains viennent prêter systématiquement main forte les jours où ils ne travaillent pas, et rattrapent, si pour des raisons personnelles, ils avaient été emmenés à s’absenter. Ne supprimez pas les réunions au détriment de la performance. Laissez parler les gens, libérez la parole. Misez sur la convivialité, prévoyez si possible des espaces de détente. Laissez émerger les leaders naturels issus du consentement du groupe. Un patron déclarait : « Je préfère un salarié en retard parce qu’il a fait l’amour à sa femme qu’un salarié aigri qui gâchera la journée d’un service tout entier ». Si vous avez compris cela, alors faites revivre vos belles qualités relationnelles que les hautes études ont emprisonnées dans un cœur de Nabal.

Un retour aux essentiels de la relation humaine est le seul remède aux maux insidieux qui frappent le monde du travail. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, c’est un accélérateur de croissance durable et de bonheur dans l’entreprise. Devenez un performeur hors pair, aimez les gens ! Le travail prend toute une vie, ne privez pas les autres de bien la vivre, donnez-lui son vrai sens.

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Cocks Georges (rédacteur et correspondant permanent Guadeloupe)

Secrétariat rédaction Colette Fournier (Lyon)

©Tribune/Pluton-Magazine/2019/Paris 16eme

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Le bonheur au travail

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