CATHARES : L’AUTRE FOI DU LANGUEDOC MÉDIÉVAL

Par Philippe Estrade – Auteur Conférencier

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Appelés hérétiques par le pouvoir religieux officiel, les « bons hommes » et les « bonnes femmes », vocables respectueux utilisés par leurs fidèles en pays d’Oc, ont écrit dans le Languedoc médiéval du royaume de France une page dissidente de la foi chrétienne aux rudes conséquences. Les régions d’Occitanie furent le territoire privilégié de la diffusion de ce mouvement dissident du christianisme. En s’inscrivant dans une forme de séparatisme spirituel exigeant par rapport au culte officiel du puissant clergé romain et de l’autorité suprême de l’église médiévale, les Cathares ont constitué une communauté religieuse indépendante qui ne pouvait que conduire d’abord à l’irritation du clergé puis à la répression militaire ordonnée par ce dernier, afin d’éradiquer la menace sur son autorité politique et religieuse, sur ceux qu’il qualifia d’hérétiques.

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Les mouvements indépendants et dissidents ont toujours marqué le christianisme depuis le début de son histoire.

Depuis l’aube des temps chrétiens, la réflexion puis l’indépendance et parfois le rejet des pratiques du christianisme et de son autorité politique et religieuse ont toujours alimenté des communautés ici et là, plus ou moins subordonnées et émancipées des rituels sacerdotaux officiels. Ces mouvements furent identifiés par les noms de ceux qui les impulsaient, comme les adeptes du moine Henri au 12e siècle, qualifiés d’hérétiques, bien sûr, pour faire peser la menace du démon et ainsi les marginaliser. Les Franciscains qui aspiraient à une vie de pauvreté et de simplicité, les Vaudois issus de Vaudès de Lyon ou encore les Joachimites se référant à Joachim, toutes ces communautés affichaient avec audace un regard anticonformiste et dissident sur la doctrine et les pratiques du redoutable clergé médiéval de la période capétienne. L’église cathare s’inscrivit à son tour, dès le 12e siècle, dans ce cheminement vers  l’affranchissement et l’autonomie.

Outre le Languedoc, l’Europe cathare organisée de la Rhénanie à l’Italie

Le mouvement des « Parfaits » et des « Parfaites » ne s’est pas limité aux régions occitanes du midi de la France. L’expression cathare peu usitée jusqu’au milieu du 20e siècle, où elle reprit de la vigueur avec les historiens modernes, fut utilisée probablement pour la première fois vers 1163 parun moine allemand, Eckbert de Schönau qui y recourut pour qualifier les hérétiques germains. Le mouvement s’est vite développé en Europe, de la Rhénanie à l’Italie. Mais c’est dans ce bouillant midi de la France que le foyer fut le plus actif et organisé au point de déclencher des croisades lancées par le clergé papal, destinées à éradiquer définitivement cette nouvelle foi. Les fameuses croisades contre les Albigeois, en référence à Albi, où d’ailleurs ils ne furent pas plus nombreux que dans les terroirs audois et ariégeois, allaient sonner le glas de la nouvelle espérance cathare.

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LE CATHARISME, UN RETOUR VERS LE CHRISTIANISME ORIGINEL ET LES TEXTES PRIMITIFS

L’insolence de la richesse affichée par le clergé médiéval et les pratiques éloignées des Évangiles furent à l’origine des mouvements d’indépendance et de résistance qui animèrent la foi des Cathares. Souvent galvaudée au fil du temps, elle reposait pour l’essentiel sur un retour aux sources, à la recherche de la fidélité aux textes anciens et à l’Ancien Testament. Cette quête de l’authenticité spirituelle impliquait la pratique d’une vie simple et humble ainsi que l’ont décrite les Évangiles. L’origine du mot cathare divise encore, bien que sa déclinaison du grec « catharoi » c’est-à-dire « pur » ait semblé réunir assez vite un grand nombre d’esthètes de la question cathare. Une version latine, « catus » que l’on traduit par le chat, fut également appréhendée pour qualifier de manière péjorative la foi nouvelle du mouvement, le chat dont les Cathares furent accusés abusivement d’être des adorateurs enthousiastes étant souvent considéré comme l’incarnation du diable.

Dualisme, vœux de pauvreté et respect de la bible, les fondamentaux de la foi cathare

La conception dualiste du monde, opposant le bien et le mal, Dieu et le diable ou le paradis et l’enfer illustre parfaitement le serment des « Parfaits » et des « Parfaites ». Selon l’église cathare, si Dieu est bon, il ne peut avoir aucun lien avec la vie terrestre faite de souffrance et de mal, repaire d’aubaines pour le diable qui ne peut être qu’à l’origine des souffrances du Christ sur la croix, des persécutions des apôtres et des ambassadeurs de Jésus dans le bassin méditerranéen. Le crucifix est donc absent du culte cathare. Les « bons hommes » et les « bonnes femmes » firent aussi vœu de pauvreté dans la fidélité de l’église de Jésus et des textes fondamentaux de la foi chrétienne, en opposition au puissant clergé de Rome dont la richesse et le pouvoir affichaient une insulte pour les pauvres gens et les misérables. Aussi, le catharisme se référa très vite à la Bible et à elle seule, en rejetant tous les textes postérieurs aux évangiles et les pratiques dévoyées de l’Église. Le rejet de la violence dans un premier temps fut aussi une constante dans l’église cathare. Sa doctrine écarte l’utilisation des armes. Le « Parfait » cathare, témoin d’actes d’agressivité et de bellicisme, devait favoriser le dialogue, l’intelligence, la pédagogie des mots et prêcher le rejet de la violence.

Une église nouvelle et indépendante basée sur le modèle des églises primitives

Comme dans l’église de Rome, on y retrouve des évêques, des responsables des différentes communautés religieuses que l’on appelle les « anciens », et des diacres. En revanche, l’égalité entre femmes et hommes est totale et les « Parfaites » peuvent, comme les hommes, assurer des prêches et absoudre les péchés. C’est une église simple et immatérielle qui s’est surtout propagée par la transmission orale. Elle rejette les sacrements traditionnels de l’église catholique, les offrandes aux défunts et les rites de prières aux saints. Seul le « Consolament », un baptême traditionnel en référence au Saint-Esprit, le « consolateur », est pratiqué et tient lieu aussi d’ordination et d’extrême-onction.

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LA CROISADE CONTRE LES ALBIGEOIS POUR ÉRADIQUER L’ÉGLISE CATHARE

Si la tolérance du clergé médiéval et de l’église de Rome permit dans un premier temps le développement des premiers foyers cathares, la situation se retourna vite, dès lors qu’une menace par ailleurs non justifiée fut perçue au regard de la rigoureuse organisation spirituelle des hérétiques. Le clergé romain se sentit ainsi menacé dans la prédominance de son rôle religieux historique et de son influence auprès des rois capétiens. Il fallait tuer la menace dans l’œuf pour préserver l’autorité politique et religieuse dans le royaume de France.

Les conciles réunis pour condamner la foi nouvelle

Dès le milieu du 12e siècle, conciles et rencontres diverses furent destinés à jeter l’anathème sur tous ceux qui accueillaient et protégeaient les hérétiques, un message destiné aux seigneurs locaux, indépendants dans la gestion de leurs terres du pouvoir central royal. Déjà, en 1119, le pape Calixte II intervint pour menacer d’excommunication quiconque nouerait des liens avec les hérétiques. En 1148, le concile de Reims condamna les grands seigneurs conciliants avec les Cathares. À Reims encore, un second concile en 1157 se fit encore plus menaçant en décrétant que tout hérétique capturé serait marqué au fer rouge sur le front et les joues. Mais c’est à partir de 1163 que la condamnation générale s’accéléra, notamment au concile de Tours où fut lancé un appel solennel contre « l’hérésie qui s’est élevée dans le pays de Toulouse, et qui a gagné peu à peu les portes de la Gascogne et les provinces languedociennes ». Les premiers procès intervinrent en 1165 alors que les Cathares poursuivaient leur organisation sacerdotale en créant de nouveaux évêchés en complément de ceux d’Albi, Carcassonne ou encore Toulouse. C’est alors que le concile de Latran dénonça  la perversité des hérétiques répandus dans le sud du royaume de France, en promettant des indulgences aux chrétiens qui prendraient les armes contre eux. Une étape fut ainsi franchie et c’est désormais la dimension militaire qui prit le relais des menaces formulées lors des conciles.

Philippe Auguste muet aux appels du pape

Entre 1198 et 1207, le pape Innocent III ne cessa de lancer des appels au roi de France Philippe II, dit Auguste, le plus grand souverain de la dynastie capétienne. Ce dernier ne répondit pas et les suppliques papales demeurèrent lettre morte. Innocent III écrivit au moins à quatre reprises au roi de France qui refusa toujours de s’engager dans un conflit religieux qui ne le menaçait pas. En fait, Philippe Auguste exprimait ainsi son autorité, sa grandeur et son indépendance vis-à-vis du clergé. Par ailleurs, il concentra son énergie à réorganiser son royaume et protéger ses frontières, son succès à Bouvines en 1214 en fut la parfaite illustration. Néanmoins, il permit juste aux barons et grands seigneurs locaux d’intervenir en terre occitane à partir de 1208, lorsque le légat du pape fut assassiné, sans engager cependant ses armées royales. Ainsi fut lancée la lutte armée contre les Cathares, qui prit le nom de croisade contre les Albigeois.

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LES CROISÉS À L’ASSAUT DES BASTIONS CATHARES

Il convient mieux de parler des châteaux féodaux des grands seigneurs qui ont abrité des Cathares que de châteaux cathares. Les barons locaux et seigneurs du Languedoc ont très vite affiché de la sympathie pour ce nouvel élan spirituel à contre-pied de l’ordre ecclésiastique établi. Certains ont même abrité les hérétiques dans leur bastion fortifié. La croisade contre les Albigeois allait donc opposer des hommes, des voisins ou des frères et incendier ce Midi au pied des Pyrénées.

Une première armée croisée dès l’été 1209

C’est sous la conduite de l’abbé de Cîteaux, au début de l’été 1209, que s’ébranla une première armée composée de 5000 à 8000 hommes, peut-être, appuyée d’une cohorte d’évêques. C’est à la requête persistante des hommes d’église que se joignirent progressivement les chevaliers méridionaux. Pillages divers et atrocités bien que parfois exagérés par la chronique, auraient souvent accompagné la progression des croisés vers les terres des hérétiques.

Raimond VI et Simon de Montford, deux grandes figures que tout oppose

Les légats pontificaux prirent l’habitude de condamner les grands seigneurs qui affichaient trop de tolérance à l’égard de la foi cathare et des ennemis du clergé. En refusant de persécuter les hérétiques, souvent proches de lui, Raimond VI, comte de Toulouse, fut très vite la cible privilégiée de l’église établie. Inévitablement, il fut excommunié. Un écuyer du comte vengea son maître en assassinant Pierre de Castelnau, un représentant du pape. Le prétexte était parfait pour accabler Raimond, a priori totalement étranger à cette aventure meurtrière, et lancer la première croisade. « Des murs de Montpellier aux portes de Bordeaux, tout rebelle doit être abattu », selon Guillaume de Tudèle. Grâce à l’engagement dans la croisade contre les Albigeois, le pape Innocent III offrit à tous ceux qui se portèrent volontaires pour sauver l’église officielle l’absolution de toutes les fautes du passé et à venir. Une affaire qui rappelle bien les Indulgences à l’origine du mouvement protestant sous les Valois… À tour de rôle, toutes les places fortes cathares tomberont, Béziers, Toulouse, Carcassonne… Simon de Montford fut l’autre personnalité majeure de cette période conflictuelle. En juin 1210, il assiégea à la tête des croisés la forteresse de Minerve, jugée imprenable. Il fut promis aux « Parfaits » qui accepteraient de se convertir de quitter la ville mais beaucoup d’entre eux refusèrent la soumission à l’église et périrent sur le bûcher. Il devint inévitable que Simon de Montford et Raimond VI allassent s’affronter directement dans cette guerre civile religieuse. Une série de conflits et d’accrochages dans un grand nombre de localités du midi toulousain et du Languedoc ne permit pas aux offensives toulousaines de venir à bout des croisés et des barons du Nord. Simon dut en permanence guerroyer dans la région toulousaine qu’il soumit sans ménagement, alors que le retour à Toulouse de Raimond permit une forte résistance entre 1217 et 1218. Le siège de Toulouse fut levé après que Simon de Montford fut tué par une flèche suivie d’un boulet de pierre qui lui écrasa la tête, catapulté par des femmes, souligne la chronique.

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QUÉRIBUS, MONTSEGUR, PEYREPERTUSE, ROQUEFIXADE, L’AUDE ET L’ARIÈGE AU CŒUR DU CONFLIT CATHARE

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De nos jours, le voyageur culturel ou le passionné de la question cathare peut sillonner les pistes et les chemins caillouteux qui conduisent vers des bastions féodaux qui ont souvent abrité les hérétiques, situés en montagne dans le haut Languedoc médiéval, au cœur même du massif pyrénéen, notamment en terre audoise et ariégeoise. À Lordat, dans la vallée de l’Ariège qui relie Tarascon sur Ariège à Ax-les-Thermes, le seigneur vassal du comte de Foix a soutenu activement les « Parfaits ». Les ruines du château médiéval ont fière allure et plongent le visiteur directement dans le 13e siècle. Tout près de là, le seigneur Arnaud de Miglos, dont la forteresse écrase la vallée de Vicdessos, devint la cible des barons du Nord après qu’il eut admis avoir abrité des « Parfaits » et envoyé des armes et du ravitaillement aux assiégés de Montségur dans la vallée parallèle, de l’autre côté du massif de Tabe. Nombreuses furent ces grandes familles de seigneurs de la montagne frappées par la foi cathare après l’avoir épousée. À Peyrepertuse, qualifiée de « citadelle du ciel », la situation du site flanqué sur une crête rocheuse dans les Corbières permit aussi de contrôler la frontière entre les royaumes d’Aragon et de France.

Montségur, symbole de la résistance cathare

Jusqu’au bout, le « pog » ou le piton rocheux de Montségur, en Ariège, s’affirma comme le symbole de la désobéissance cathare, un fief organisé de la résistance à l’église et au roi de France. Le château que l’on peut découvrir aujourd’hui fut en fait édifié après la chute du site en 1244. Les « Parfaits », peut-être près d’un millier, occupaient les pentes de la montagne et son sommet doté d’un castrum fortifié. Les Cathares tinrent la position durant une année que dura le siège des Croisés, du printemps 1243 au 1er mars 1244, date à laquelle se soumit Pierre Roger de Mirepoix face à l’évêque d’Albi qui assiégea le site en y fixant des machines de guerre et des catapultes redoutables. En se rendant, de Mirepoix négocia sa reddition et celle des laïcs qui demeurèrent libres. En revanche, il fut dans l’obligation de livrer les « Parfaits » qui eurent à choisir : abjurer leur foi ou mourir sur le bûcher. Ainsi, le 13 mars 1244, un peu plus de 200 d’entre eux, fidèles à leur engagement et à leur foi profonde, préférèrent périr dans l’enfer des flammes au pied de la montagne.

Pénétrer dans la forteresse, le « saint des saints »

À 1207 mètres d’altitude, la montagne de Montségur est de nos jours particulièrement  fréquentée. On y vient de partout, de France, d’Europe et même au-delà. Il faudra donc attendre l’arrière-saison pour se retrouver, seul ou presque, au calme face aux massifs pyrénéens et aux imposants pics de Saint-Barthélemy et de Soularac dont les crêtes tout au sud, barrent l’horizon avec insolence. L’été, le soleil est rude, ici, mais l’ascension, environ 250 mètres de dénivelé depuis la route au-dessus du village, conduit au « saint des saint », le sommet de la montagne sur laquelle fut édifiée la forteresse quelque temps après la chute des « purs » de Montségur. Face aux estives orientées au nord qui sentent bon la fougère et le serpolet, les armées qui s’y croisent en haute saison sont devenues pacifiques. Entre gentianes, aubépines et sorbiers, les appareils de photo ont désormais remplacé les épées et les javelots.

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Philippe Estrade-Auteur Conférencier

Pluton-Magazine/2019/ Paris16

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