GRANDES CIVILISATIONS : À L’APOGÉE DE SA GLOIRE, LE PUISSANT EMPIRE ZOULOU A SOUMIS DES TERRITOIRES PLUS ÉTENDUS QUE LA FRANCE ACTUELLE

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Par Philippe Estrade-auteur conférencier

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Au 19° siècle, avant de se heurter violemment aux premiers colons européens, les Zoulous firent d’une grande partie du sud de l’Afrique un empire redoutable qui soumit sans ménagement tous ses voisins. D’abord issu d’une tribu mineure, l’ambitieux et puissant roi Shaka fonda le royaume zoulou au début du 19°siècle grâce à une machine de guerre innovante et impitoyable. Il parvint ainsi à écraser tous les peuples de la région dans un territoire plus étendu que la France actuelle. Ses successeurs se heurteront alors aux pionniers européens, hollandais, d’abord suivis des Français et des Allemands, avant la domination implacable de l’empire britannique. Après le colonialisme anglais et la terrible ségrégation raciale du 20° siècle, les Zoulous et les autres peuples noirs d’Afrique du Sud surent retrouver leur identité et la liberté politique grâce à la sagesse de Nelson Mandela et Desmond Tutu, deux figures humanistes majeures soutenues à juste titre par une communauté internationale mobilisée contre l’apartheid. Le président Frederik de Klerk qui partagea le prix Nobel de la Paix avec le leader noir par ailleurs devenu son ami, a déclaré récemment en 2019 « Mandela me manque ». Les deux hommes sont parvenus à accompagner avec brio, courage et lucidité la transformation irréversible de la nation sud-africaine.

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KHOÏS ET ZOULOUS, PEUPLES MAJEURS DE L’AFRIQUE AUSTRALE

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Khoïs et Zoulous pratiquaient l’élevage de bovins et d’ovins et d’une manière plus aléatoire une agriculture primaire. L’ethnie San, présente dans la zone depuis la nuit des temps, fut chassée et repoussée par les Khoïs vers des terres plus arides. Ce sont précisément ces Khoïs que les Portugais, dont Bartolomeu Dias, le premier d’entre eux, croisèrent au 15° siècle lors de leur escale sur la longue route des Indes. Peuple de langue bantoue issu des Nugnis installés depuis le 9° siècle en Afrique du Sud, les Zoulous, eux, vivaient plus au nord de l’actuelle Afrique du Sud avant de s’installer au cours de vagues migratoires bantoues vers le 14° siècle sur la côte orientale de l’Afrique australe.

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Les portugais, les tous premiers au contact des autochtones

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Puissants, audacieux, intrépides, les qualificatifs abondent pour qualifier les Portugais dont la soif de la découverte du monde dès le 15° siècle, bien avant les autres puissances européennes, était pour l’essentiel justifiée par la recherche de nouvelles voies commerciales vers les Indes. Ils ont implanté des comptoirs tout autour du continent africain, de la côte occidentale à Mombasa dans l’actuel Kenya sur le littoral de l’océan Indien. Le grand Bartolomeu Dias fut ainsi le premier à faire escale sur la côte sud-africaine pour y fixer une première petite colonie face aux peuples autochtones. Initialement qualifié de « cap des Tempêtes », ce bout du monde prendra le nom de « cap de Bonne-Espérance » en suscitant l’immense espoir d’atteindre les Indes et les précieuses épices, ce que fit enfin en 1497 Vasco de Gama qui doubla le cap et parvint à ancrer les quatre vaisseaux de l’expédition portugaise à Calicut puis Goa.

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Premiers heurts avec les bantous au 18° siècle

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Après que les marchands hollandais, français et anglais se furent installés au 17° siècle, les colons portugais évincés perdirent leurs comptoirs et dès lors, leur suprématie maritime et géopolitique. Installés dans la baie de la Table, la montagne du Cap, les Hollandais fondèrent à partir de 1652 un premier port fortifié permettant l’essor rapide d’une nouvelle colonie qui devint l’actuelle ville du Cap. Peu farouche, la population locale pour l’essentiel formée de Hottentots, déjà frappée par les épidémies véhiculées par les Européens, dut renoncer à ses territoires pour finalement errer et perdre sa culture ancestrale et son identité. À la fin du 18° siècle, les accrochages entre Blancs et Xhosas éclatèrent au Natal, et s’ouvrit ainsi une rude et longue période de heurts répétés et sévères. Les accrochages avec les Bantous, au premier rang desquels les Zoulous, se sont déclarés dans la foulée de ces évènements. Ces premiers affrontements préfigurèrent de rudes conflits qui allaient durer jusqu’en 1878. Mais les tribus bantoues subirent de grands bouleversements politiques et sociaux à partir de 1815 alors qu’apparut un roi zoulou du nom de Shaka qui allait créer un royaume et unifier toutes les forces soumises par la conquête zouloue. Le nouvel empire sera si puissant qu’il affrontera sans complexes les Blancs, plus que jamais en quête de nouvelles terres.

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LE GRAND SHAKA FONDE LE ROYAUME ZOULOU

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Véritable seigneur des Zoulous, Shaka a marqué l’histoire des Bantous et de l’ethnie zouloue. Organisateur politique hors pair, exceptionnel stratège militaire mais comme souvent cruel et redoutable tyran, il parvint à fonder un empire puissant, structuré et déterminé, capable plus tard d’affronter durablement les armées des Blancs.

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Shaka, le héros des Zoulous

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La chronique raconte que Shaka, issu d’une liaison illégitime, aurait été rejeté, humilié et maltraité par son père, chef du clan des Zoulous en ce début du 19° siècle. Cette violence douloureuse qui l’endurcira et marquera à l’évidence sa personnalité fougueuse et irascible en fit cependant une personnalité forte et un futur chef de guerre éblouissant. Avant de s’imposer, Shaka a combattu avec les autres membres de la famille royale et devint par sa force physique exceptionnelle un guerrier magnifique et généreux dans les batailles, un subtil stratège qui excella lors des conquêtes militaires. Il se fit ainsi l’incontournable inspirateur du dessein zoulou. Selon la volonté du souverain disparu, c’est Sigujana, le demi-frère de Shaka, qui monta sur le trône. Cependant, Shaka obtint le soutien de Dingiswayo, un chef rebelle, pour se saisir du pouvoir, ce qu’il fit à l’issue d’une offensive qui signa la mort de son rival. Shaka a transformé le royaume zoulou pour en faire une puissance dominatrice en Afrique australe, basée sur une redoutable armée, une machine de guerre qui devint invincible pour toutes les tribus autochtones. Le grand souverain y introduisit de nouvelles techniques de bataille articulées autour des légions qui étouffaient l’adversaire sur ses deux côtés. En favorisant une nouvelle arme, une sagaie très courte nettement plus efficace que la lance traditionnelle lors des combats rapprochés, les Zoulous parvinrent à soumettre la région sans aucun partage. Tous les peuples voisins, Swazi et Sotho notamment, craignaient ces Zoulous pugnaces et agressifs, au point de fuir vers des terres moins belliqueuses. La cruauté infligée aux peuples soumis, mis en esclavage, fut tout de même la trace de fabrique de la redoutable domination zouloue.

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Le séisme zoulou jusqu’au cœur de l’Afrique

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Les conquêtes et le colonialisme zoulou au début du 19° siècle ont créé une véritable onde de choc, de l’Afrique australe à l’Afrique équatoriale. Presque la moitié du continent noir a subi de près ou de loin la politique expansionniste des Zoulous. Les peuples soumis devaient s’assimiler ou mourir de façon cruelle. Shaka a voulu jeter les bases d’un royaume puissant, le plus grand dans ces territoires du grand Sud, en s’appuyant sur une armée redoutablement formée et remarquablement organisée. Incorporés de force dans des régiments, hommes et femmes devaient effectuer un service militaire qui pouvait durer des années, avant de pouvoir envisager de se marier et fonder une famille. Entre 1816 et 1828, Shaka mit en place une armée de métier, imposa la langue zouloue à tous les peuples désormais résignés. Son armée a atteint 100 000 hommes permanents auxquels il faut ajouter presque 500 000 autres hommes des peuples voisins écrasés qui payaient ainsi par l’esclavagisme militaire leur tribut à l’empire. Le colonialisme zoulou s’est orienté vers deux grandes directions. D’abord vers le sud puis vers le Natal à l’est, au point qu’en 1820, l’empire zoulou atteignit une superficie plus étendue que la France. Tyrannie, férocité et souvent la mort ont été les composantes de l’écrasante soumission des tribus battues. Les Zoulous d’ailleurs n’hésitaient pas à supprimer les vieillards des peuples vaincus. Chacun devait apporter sa contribution à l’état zoulou, par l’incorporation militaire et l’assimilation.

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Le déclin et la chute de Shaka

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Admiré par certains, détesté pour sa violence et la tyrannie qu’il imposa aux peuples pour d’autres, Shaka a connu le destin prévisible de tous les tyrans. La chronique précise qu’il fit exécuter 7000 hommes et femmes à la mort de sa mère en 1827 et imposa un deuil extrême à tous, avec des privations diverses pour une année. Sa mort intervint en 1828, sans doute poignardé, victime d’un complot familial qui impliquait ses frères, sa tante et probablement son homme de confiance. Si Shaka apparut come un exceptionnel organisateur de la vie politique, le fondateur d’une grande nation et un chef de guerre de génie, il fut en revanche un despote responsable de meurtres en masse et de génocides envers les autres peuples noirs tentés par la résistance. Plus tard, il sera bien évidemment un symbole fort pour les populations qui lutteront pour s’affranchir des colons européens, et devint même un héros. La littérature victorienne le présenta comme un tyran sanguinaire mais les années 1960 l’ont propulsé comme une figure incontournable de la revendication africaine. Même le très sage Léopold Sédar Senghor s’est emparé du personnage. Shaka s’est imposé comme une figure de l’identité et de la fierté zouloues. À Durban, sur la côte de l’océan Indien, l’aéroport international porte d’ailleurs son nom « king Shaka Airport ».

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LE CHOC FRONTAL AVEC LES EUROPÉENS

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En 1795, les Britanniques conquirent la région du Cap afin de protéger leur route maritime vers les Indes. La colonisation anglaise se heurta inévitablement aux Boers, les colons historiques de ces territoires, hollandais pour l’essentiel, allemands et français. Court répit de la colonisation européenne pour les autochtones et les Zoulous…

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Les « Trekkers » se heurtent aux Zoulous dans le Natal

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Alors que les Britanniques désormais bien implantés imposèrent en 1828 une sensible amélioration des conditions de la main-d’œuvre de couleur et abolirent l’esclavage en 1833, les Boers hollandais quittèrent la région, signant ainsi leur protestation, et se lancèrent vers une marche à la conquête de nouvelles terres dans le Nord, fameux épisode appelé « le Grand Trek ». Dans cette nouvelle recherche de territoires, les colons se heurtèrent aux populations noires dont la révolte organisée s’amplifia sous l’impulsion de Dingaan, qui avait succédé à Shaka. Après de rudes combats à la bataille de Blood River en 1838 qui devint rouge sang, les chevaux et les fusils permirent aux Boers de s’imposer de justesse. La chronique évoque le massacre de plus de 13 000 combattants zoulous par moins de 500 « Trekkers », en riposte à l’assassinat de la délégation boer venue négocier un accord de paix. Le royaume zoulou, toujours puissant, parvint à maintenir son indépendance et son prestige politique auprès des autres populations autochtones en lutte contre les Blancs. Ce n’est qu’en 1879 que les britanniques s’imposèrent pour le réduire définitivement, non sans difficultés.

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Les Zoulous humilient sa « très Gracieuse Majesté »

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Avec peu d’armes à feu mais simplement pourvus de sagaies et de boucliers en peau de bœuf, les Zoulous ont vaincu les Anglais en 1879 à la bataille d’Isandhlwana et ont humilié « sa très Gracieuse Majesté ». Les Britanniques perdirent plus de 1300 hommes dans ce chaos, l’une des plus grandes défaites coloniales, un véritable « Waterloo africain ». D’ailleurs, le fils de Napoléon III, qui s’était engagé dans l’armée britannique, y perdit la vie. D’une trempe de la lignée de Shaka, le grand roi Cetshwayo disposait d’une armée organisée de plus 55 000 hommes dotés de lances et de sagaies mais aussi d’environ 5000 fusils et mousquets, c’est-à-dire une puissance de poudre presque inexistante en comparaison à la force de feu anglaise. Les enseignements issus du grand Shaka, courage, stratégie organisée, surprise par la mobilité et rigoureux entraînements ont été les clefs du succès zoulou.

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UNE AFRIQUE DU SUD PACIFIÉE

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Le modèle anglais va perdurer après le traité de paix signé avec les Boers à Pretoria en 1902, au terme d’un terrible conflit qui fit 30 000 morts, jusqu’à l’indépendance du pays par référendum en 1961, où il devint une république et quitta le Commonwealth. Les lois raciales se sont accélérées à partir de 1948 pour introduire le régime de « l’Apartheid » et officialiser d’une manière politique la ségrégation raciale jusqu’en 1990. C’est à cette date que le président de Klerk fit abolir toutes les lois raciales et leva les interdictions des partis d’opposition, aidé par Nelson Mandela qui imprima sa sagesse et sa clairvoyance dans son combat pour la liberté des peuples noirs en Afrique du Sud, au premier rang desquels les Zoulous.

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Les Zoulous et les ethnies noires maîtres de leur destin

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La population zouloue approche de nos jours environ le quart de la population sud-africaine. C’est de loin l’ethnie la plus représentative du pays désormais. Totalement libres de parole en 1990, tous les partis politiques se sont unis pour préparer une nouvelle constitution et des élections libres. En 1994, Mandela, avec la force incontournable de l’African National Congress, devint le premier président noir de l’Afrique du Sud libérée de son lourd passé colonial et raciste.

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Mandela, Tutu, de Klerk, les hommes du nouveau destin de l’Afrique du Sud

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Humanistes majeurs à la grande époque du combat politique pacifique, Nelson Mandela et l’archevêque Desmond Tutu, qui reçut le prix Nobel de la paix en 1984, impulsèrent le mouvement libératoire du pays. Nelson Mandela et le président Frederik de Klerk, qui ont émancipé l’Afrique du Sud de son joug racial, obtinrent eux-aussi le prix Nobel de la paix en 1993, un an avant la libération définitive du pays par les urnes. Depuis 25 ans désormais, l’Afrique du Sud libre vit son destin, qui laisse hélas apparaître de nouvelles formes de racisme depuis ces dernières années. Manifestement, les hommes sont incorrigibles. Toute la mosaïque des différentes ethnies, dont les Zoulous majoritaires, tracent le sillon, non sans difficultés, de l’Afrique du Sud aux côtés des populations blanches. Mandela et de Klerk sont restés liés dans la vie après avoir accompagné avec courage, lucidité et brio la transformation irréversible de la nation sud-africaine. Mandela qui disparut en 2013 était devenu l’ami de Frederik de Klerk qui a déclaré « sans lui, je n’aurais rien pu faire. Mandela me manque ». Durant les cinq années qui ont suivi la disparition de Mandela, De Klerk lui a écrit 14 lettres. « Toi et moi avons eu la chance de vivre les plus belles heures de l’humanité » écrit-il. Décidément, il faut des hommes sages et exceptionnels, comme le furent Mandela, de Klerk et Tutu, pour ouvrir la voie à des destins éclairés, humanistes et pacifiés.

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Par Philippe Estrade

Pluton-Magazine/Paris/2020/Grandes Civilisations

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