GRANDES CIVILISATIONS : L’ÉCLATANTE SPLENDEUR ET LA GLOIRE DE LA ROME IMPÉRIALE

PAR PHILIPPE ESTRADE-AUTEUR CONFERENCIER

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Elle mérite bien le titre de « caput mundi », « la capitale du monde », cette Rome impériale, la maîtresse en Méditerranée et en Occident. Meurtrie par les incendies à la fin du 1er siècle de notre ère, elle a pu renaître plus forte que jamais, et sa nouvelle splendeur appuyée par une gloire militaire prodigieuse fit de Rome la dominatrice époustouflante de tout l’Orient, de l’Afrique du Nord et d’une grande partie de l’Occident. Capitale d’un empire qui ne cessa de grandir, elle fut bien sûr le carrefour culturel et politique attesté par la monumentalité et l’audace de ses constructions. Ses plus prestigieux édifices, toujours debout de nos jours, le Panthéon et le Colisée notamment, furent dressés sous les Flavien et les Antonins, à une époque où l’art, l’architecture et l’urbanisme témoignaient de la splendeur saisissante de cette éclatante Rome. Titus, Trajan, Hadrien ou surtout Marc Aurèle ont remarquablement illustré le 1er et le 2° siècle de cette Rome impériale, hégémonique et magistrale.

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DES INCENDIES ET UNE VILLE CHAOTIQUE

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Insalubre, bruyante et sale, Rome atteignait un million d’habitants au plus fort de son développement. La saleté des rues et les mauvaises odeurs permanentes étaient déjà relevées dans les écrits des auteurs classiques. Juvénal, poète satirique de la fin du 1er siècle et du début du second, écrivit « Quelle misérable solitude ne te semble préférable aux mille dangers de cette ville sauvage ? » Effondrement des maisons insalubres, attaques de brigands à la nuit tombée, de nombreux dangers guettaient le peuple de Rome.

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De Néron aux incendies sous Titus et Trajan

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Seul Néron avait osé avant tout le monde entreprendre la modification urbanistique de la Rome primitive. Les premiers monuments des généraux républicains avaient balayé les vieilles rues chaotiques et aéré un peu la Rome étouffée et archaïque. Le grand incendie de l’an 64, peut-être abusivement attribué à Néron, ravagea la quasi-totalité de la cité. La création de la nouvelle Rome s’appuya donc sur les projets de Néron. La ville remodelée ouvrit ainsi de larges rues, limita la hauteur des maisons et imposa des cours intérieures et des portiques. Néron ordonna par ailleurs la construction d’une somptueuse résidence royale qui devait supplanter les créations hellénistiques et orientales. En revanche, la création sous le règne d’Auguste d’un bataillon de pompiers composés d’affranchis et les nouvelles mesures d’aération urbanistique ne parvinrent pas à éviter de nouveaux terribles incendies. Souvent déclenchés par les torches ou les lampes à huile utilisées pour l’éclairage des demeures, ils ravagèrent le Champs de Mars, l’amphithéâtre et les thermes de Néron et d’Agrippa en 80. En 104 et en 110, de nouveaux brasiers ravagèrent les thermes de l’empereur Titus et le célébrissime Panthéon d’Agrippa. Sa reconstruction offrit à l’humanité l’un des ouvrages les plus saisissants et les plus envoûtants de l’ingénierie romaine, que l’on peut toujours admirer de nos jours.

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Le grand chantier de Rome

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Flaviens et Antonins réussirent le pari de modifier Rome, de l’embellir et de lui donner une majesté sans précédent. De nouveaux complexes civils et religieux jaillirent après que des bâtiments dressés à la mémoire d’anciens empereurs, pour certains tombés en disgrâce, eurent été détruits. Le forum de l’empereur Trajan qui régna entre le 1er et le 2° siècle, dont les vestiges sont encore visibles, atteste d’une ère de grande prospérité pour l’Empire. Pour l’édifier, il a fallu excaver toute une colline dont les résidus servirent à enterrer l’ancienne résidence de Néron et y élever les thermes impériaux. Érigé à partir de 70 grâce au trésor ramené lors des guerres juives, le Colisée sera inauguré, bien qu’inachevé, dix ans plus tard en 80 sous l’empereur Titus. Avant la construction du Colisée, les combats de gladiateurs se déroulaient dans des espaces publics qui permettaient l’installation des gradins provisoires. Au début du 1er siècle, un premier amphithéâtre en pierre put voir le jour mais l’édifice rapidement trop étroit ne pouvait plus recevoir la population de Rome, en perpétuelle augmentation. C’est Néron qui commanda alors un nouvel amphithéâtre mais les incendies de 64 ruinèrent définitivement les deux bâtiments. Après que la dynastie des Flaviens eut pris le pouvoir, la décision de dresser de nouveaux édifices destinés aux bienfaits et aux jeux du peuple permit d’offrir de grands thermes majestueux et raffinés, puis le futur Colisée. Le Panthéon, les thermes de Trajan, les forums impériaux ou le temple de Vénus et de Rome ont constitué les symboles urbanistiques majeurs de ces deux grands siècles du début de notre ère.

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TITUS, TRAJAN, HADRIEN, MARC AURÈLE, LES GRANDS NOMS DE L’EMPIRE

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Durant le 1er et surtout au 2° siècle, Rome était peuplée d’habitants qui parvinrent à s’intégrer, issus des nations soumises de tout l’empire. La ville brilla alors aussi bien sur le plan politique, culturel qu’économique, et tous partagèrent une même langue, le latin, ciment de l’assimilation. Sous l’autorité de grands empereurs, chacun était égal devant la loi romaine. Ce 2° siècle, période de paix, de prestige et d’aisance économique, fut qualifié par les historiens de l’époque de « beatissimum saeculum », « « la bonne période », c’est-à-dire l’âge heureux.

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Le port fluvial de Rome, cosmopolite sous l’Empire

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Tous les produits que pouvaient offrir les territoires sous domination romaine et même au-delà arrivaient au port fluvial de Rome, en remontant le Tibre depuis la mer Adriatique. Ce maillage économique a donné le proverbe « tous les chemins mènent à Rome ». Les marchandises exotiques abondaient alors dans la capitale de l’Empire, l’huile d’Espagne, les tissus de Perse, le vin ou les métaux de Gaule et le blé d’Égypte. Les marbres colorés et les pierres de premier choix parvenaient bien sûr dans la capitale de l’Empire pour l’embellir et dresser les temples ou les résidences luxueuses de l’aristocratie, comme le marbre jaune qui provenait de l’actuelle Tunisie ou encore le porphyre rouge, destiné lui à la symbolique sacrée des lieux de culte et du pouvoir politique.

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Les grands empereurs de la dynastie des Flaviens

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Les Flaviens ont marqué la seconde partie du 1er siècle avec Vespasien, le premier d’entre eux, qui fut proclamé empereur avec le soutien des légions d’orient en 69, précisément les phalanges de Judée et d’Égypte, et Titus associé dans la mémoire collective à un souverain généreux. En effet, Titus porta régulièrement assistance aux populations meurtries par les catastrophes naturelles, l’éruption du Vésuve qui fut fatale à Herculanum et Pompéi en est l’illustration. À Rome également, il organisa l’assistance et le sauvetage de la ville lors de l’incendie de l’an 80. Titus inaugura le Colisée, nouvel amphithéâtre considéré comme le « plus célèbre des ouvrages de l’homme » selon Martial, supérieur aux pyramides d’Égypte, au temple d’Artémis d’Éphèse ou encore aux jardins de Babylone… Domitien, dernier empereur des Flaviens, alterna le meilleur et le pire. À son crédit, on peut retenir le développement de l’agriculture, les grands projets urbanistiques au Palatin, l’arc de Titus, son frère, ou encore l’accroissement du réseau routier. En revanche, la tyrannie imprima la seconde partie de son règne. Il persécuta les juifs, les chrétiens, les sénateurs ou les philosophes, et avec la peur généralisée chez les sénateurs, privés de leurs droits, et une armée humiliée, Domitien ne put échapper au complot de l’impératrice et du préfet du prétoire. Il sera poignardé en septembre 96.  Mais l’histoire a surtout retenu les grands noms de la période des Antonins qui succédèrent aux Flaviens en 96 et à Domitien.

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Trajan, Hadrien et Marc Aurèle, la brillante dynastie des Antonins

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Nerva, le premier des Antonins, monta sur le trône en 96 pour deux ans seulement. Il imposa le rétablissement des droits qui furent retirés aux sénateurs durant la dictature de Domitien. C’est Trajan, son fils adoptif mais aussi général populaire et apprécié, qui lui succéda. De 98 à 117, s’ouvrit alors une grande période de prospérité pour l’Empire. C’est sous son règne que Rome vit sa plus prodigieuse expansion, notamment vers la Mésopotamie mais surtout l’Arabie avec l’annexion de Pétra et du royaume nabatéen. Outre l’expansionnisme de l’Empire mais avec une situation économique moins florissante à la fin de son règne, Trajan parvint à remodeler Rome par des monuments majeurs et durables, à poursuivre et amplifier la romanisation des provinces de l’Empire et à engager une politique sociale ambitieuse. Son bilan plutôt étincelant l’a conduit à être divinisé par les sénateurs. Le lettré et poète Hadrien, son petit-fils, lui succéda en mettant un terme à la politique expansionniste de son illustre prédécesseur pour s’orienter vers une meilleure organisation des provinces. Néanmoins, ce grand helléniste limita l’influence du Sénat. Autre grand nom des Antonins et peut-être le plus grand, Marc Aurèle, l’empereur philosophe. Cet empereur qui a régné de 161 à 180, à l’apogée de l’Empire, dut régulièrement faire face aux conflits avec les Gaulois notamment et les Germains. Il est surtout identifié pour avoir conduit une politique favorable à l’école philosophique et à l’éducation des femmes. Brillant, Marc Aurèle n’aura de cesse de développer dans ses écrits, la prudence, le courage ou la justice dans son œuvre « Pensées pour moi-même ». Cet empereur majeur entretint dans sa vie stoïcienne son amour de la lecture et des Lettres. Un historien de l’époque, Dion Cassius, livra un jugement flatteur sur Marc Aurèle : « Dans des difficultés extraordinaires et hors du commun, il parvint à survivre et à sauver l’Empire ». Marc Aurèle disparut en 180 lors d’une campagne menée autour du Danube, frappé par la peste ou peut-être, selon Dion Cassius, empoisonné par ses médecins à la solde de son ambitieux fils Commode, le dernier des Antonins. Commode, empereur autoritaire, mit un terme à l’âge d’or, à l’âge de l’équilibre et de l’intelligence des Antonins, par son règne paranoïaque.

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LE PANTHÉON, LE COLISÉE, ET LES GRANDES RÉALISATIONS IMPÉRIALES

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Les grandes réalisations de l’Empire au 1er et au 2° siècle ont urbanisé Rome de manière époustouflante. Si le Colisée d’abord et le Panthéon reconstruit après l’incendie d’une première structure rivalisent de grandeur deux mille ans après qu’ils furent érigés, l’Empire a produit un grand nombre de réalisations civiles ou religieuses à mettre au crédit de tous les empereurs qui se sont succédé sur le trône. Le temple de Vénus et de Rome, le mausolée d’Hadrien, le forum de Trajan et les Domus impériales ont traduit cette ferveur pour le gigantisme et la beauté, vitrine de l’Empire.

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Forums impériaux et mausolée d’Hadrien

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Le mausolée du puissant Hadrien est un édifice sépulcral destiné à la famille impériale, élevé à partir de 130. Sur les bords du Tibre et à deux pas de l’actuel Vatican, le mausolée fut transformé au Moyen Âge en bastion défensif du Saint-Siège. Il devint à la Renaissance le Château Saint-Ange, tenant son appellation de la statue qui domine le tumulus en remplacement du quadrige de l’époque. Parmi les forums impériaux toujours visibles, celui du grand Trajan, dans le prolongement de l’actuel forum romain, traduit admirablement la puissance de l’empereur, qui le finança grâce au butin acquis lors de ses conquêtes de la Dacie, l’actuelle Roumanie. La colonne Trajane qui le prolonge, destinée à immortaliser les exploits militaires de l’empereur en Dacie, fut fouillée pendant l’occupation Napoléonienne. Sur les vingt et un tambours de marbre qui épousent et ceinturent la colonne de près de trente mètres de haut sans sa base, vingt-trois panneaux polychromes en relief présentent des séquences et des personnages qui illustrent les épopées guerrières de Trajan sur le territoire Dace, l’empereur lui-même étant identifié dans une soixantaine de scènes. À la base de la colonne, une porte d’accès s’ouvre sur la chambre funéraire où sont inhumées les cendres de Trajan.

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Le Panthéon dédié aux divinités antiques

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Issu du mot grec « pàntheion » signifiant « de tous les dieux », il fut donc dédié à l’ensemble des divinités antiques. Selon l’incontournable Dion Cassius, le temple abritait des statues de nombreuses divinités comme Aphrodite et Arès, le père de Romulus. Le mot « Panthéon », culte de tous les dieux, fut ainsi proposé par Pline l’Ancien. Si le consul Agrippa l’ordonna en 27 avant J.-C. c’est sous le règne de l’empereur Hadrien, vers l’année 125, qu’il fut reconstruit après l’incendie de 110. Les caissons de la voûte intérieure s’amincissent pour réduire l’épaisseur du mur et ainsi alléger le poids de la coupole céleste. Sur la frise en latin de l’architrave qui date de 27 avant J.-C. on peut toujours lire en latin « Marcus Aggripa, fils de Lucius, en son troisième consulat, le bâtit ». Du temple d’origine, subsistent onze colonnes, des reliefs identifiant les provinces de l’Empire et une partie encore intacte du haut podium. C’est l’oculus central, l’unique source de lumière, qui irrigue les chapelles de ce phare de l’antiquité, où reposent notamment des souverains et le grand peintre Raphaël. Ce géant, véritable prodige de l’urbanisme monumental de Rome, a miraculeusement survécu à deux mille ans d’histoire chaotique.

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Le Colisée, la grandeur de la Rome impériale

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Incontestablement, il est le monument le plus célèbre de la Rome impériale, dont la partie nord qui a résisté aux pillages et aux séismes est parvenue intacte jusqu’à nous. Le Colisée est à Rome ce que le Parthénon est à Athènes, un monument unique, un symbole de l’histoire méditerranéenne et européenne, un puits incontournable de notre culture collective. Colossal et extraordinaire amphithéâtre, il fut édifié en dix ans sous Vespasien, le premier des Flaviens, et inauguré en 80 sous Titus. Sa singularité prodigieuse provient aussi des trois ordres classiques grecs utilisés sur les colonnes, le dorique au premier niveau, le style ionique au second et enfin en apothéose, le style corinthien au troisième niveau. Il constitue l’un des plus remarquables chefs-d’œuvre de l’architecture antique. Destiné à abriter les spectacles offerts au peuple, le grand cirque de Rome, comme on l’appelait jusqu’aux provinces les plus reculées, est de forme elliptique de 200 mètres de diamètre. Les dimensions du « Colosseo » sont tout simplement prodigieuses. L’harmonie et l’équilibre qui s’en dégagent en font un monument exceptionnel, étourdissant et à part pour l’esthète de l’architecture classique antique. Le grand cirque de Rome pouvait accueillir sur ses gradins étagés plus de 50 000 spectateurs qui parvenaient à pénétrer et sortir de l’enceinte majestueuse sans difficultés grâce à un ingénieux système de circulation sous les voûtes. Sous l’arène, des fauves, lions, panthères et des ours étaient enfermés avant d’être lâchés sur des prisonniers de guerre, des condamnés de droit commun, des gladiateurs et des martyrs chrétiens. Les gladiateurs suscitaient une véritable passion auprès du public, ivre de sensations fortes. « Morituri te salutant », ceux qui vont mourir te saluent, furent les tous derniers mots de ces hommes dont la mort ne tenait qu’au seul mouvement du pouce de l’empereur ou d’un procurateur. Illuminé aujourd’hui le soir venu, le grand amphithéâtre offre un nouveau regard, des nuances subtiles mises en valeur par les projecteurs qui lui redonnent vie, affinent ses contrastes et ses courbes, soulignent enfin ses colonnes deux fois millénaires aux trois ordres classiques, sous la douceur de la nuit romaine.

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« Panem et circences », « du pain et des jeux » 

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C’est encore le poète Juvénal qui le premier utilisa l’expression « panem et circences » pour qualifier un peuple décadent selon lui, uniquement avide de plaisirs. « Du pain et des jeux du cirque » traduisaient l’immobilisme et la manipulation des masses. Pour neutraliser la contestation et tous les foyers de subversion, la classe dirigeante finançait les fêtes et s’assurait les bonnes grâces du peuple et de la plèbe. Spectacles variés, pittoresques mais violents, combats de gladiateurs ou batailles navales, le Colisée n’avait rien à envier à nos salles modernes et aux mises en scène gigantesques. L’organisation des spectacles du grand cirque étaient aussi confiée à des particuliers, des commerçants du divertissement. La chronique rapporte que, noyée sous l’eau, l’arène offrait des batailles navales entre cités grecques concurrentes, bien que cela fasse débat entre les historiens divisés sur les questions techniques comme l’étanchéité de l’enceinte ou la capacité des navires à se mouvoir. La chasse aux animaux sauvages importés d’Afrique obtint les faveurs d’un public toujours plus exigeant. Lions, rhinocéros, guépards et éléphants furent mis à mort dans des décors arborés et exotiques. En 107, Trajan aurait fêté ses victoires sur les Daces par plus de quatre mois de jeux et des milliers d’animaux sacrifiés.

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C’est bien le « beatissimum saeculum » qui caractérise cette période impériale des 1er et 2° siècles, « l’âge heureux ». Malgré les nouvelles conquêtes et les aventures militaires, l’empire se révéla particulièrement stable et ce fut vraisemblablement une ère de paix majeure. Les constructions colossales et solennelles appuyées de monumentaux complexes pour les dieux furent financés comme toujours par les butins acquis lors des guerres d’expansion. La grandeur et la suprématie de Rome et de l’Empire a irrigué un urbanisme prodigieux et démesuré. La monumentalité et la beauté de l’aménagement des espaces urbains signifièrent aussi que l’Empire dominait le monde et que le peuple pouvait se réjouir de la paix, de la prospérité et savourer le bien-être offert par le pouvoir et les élites.

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Philippe Estrade

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