LOUIS-PHILIPPE : CONTESTÉ POUR SA LÉGITIMITÉ SUR LE TRÔNE, IL FUT LE DERNIER ROI DES FRANÇAIS

LOUIS-PHILIPPE : CONTESTÉ POUR SA LÉGITIMITÉ SUR LE TRÔNE, IL FUT LE DERNIER ROI DE NOTRE HISTOIRE

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PAR PHILIPPE ESTRADE-AUTEUR CONFERENCIER

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Après qu’une nouvelle révolution eut emporté le régime de Charles X, Louis-Philippe 1er de la maison d’Orléans, dont le père avait voté la mort de Louis XVI, fut choisi comme roi de France par les assemblées en 1830, à la place d’un Bourbon issu de la lignée légitime de Charles X.  Celui qui se fera appeler « roi des français » et non plus roi de France a imprimé une monarchie ouverte, bourgeoise, réformiste et plutôt progressiste. Son règne que les historiens qualifient de monarchie de Juillet, en référence aux journées révolutionnaires de juillet 1830, coïncide avec une première révolution industrielle générant hélas un flot de misère et une rude condition ouvrière. Les mouvements républicains toujours actifs ont alors multiplié les soulèvements et les barricades contre le gouvernement Guizot, sévèrement réprimés par le pouvoir. Une nouvelle révolution en 1848 sonna le glas du régime de Louis-Philippe, le dernier roi de notre histoire et ouvrit la voie à l’avènement de la Deuxième République.

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LOUIS-PHILIPPE, 1er DERNIER SOUVERAIN DE LA RESTAURATION

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Sévèrement battu à Waterloo en 1815, Napoléon disparaît définitivement du paysage politique français et européen. Alors que s’ouvre la Restauration monarchique avec Louis XVIII, frère de Louis XVI, républicains et nostalgiques de l’empereur sont à la manœuvre mais, somme toute, Louis XVIII avait bien compris que rien ne serait comme avant et que le retour d’une monarchie absolue était impossible. Il s’en accommoda avec même une certaine habileté car, contrairement à ses deux derniers successeurs sur le trône de France, Charles X et Louis-Philippe 1er, balayés par respectivement les révolutions de 1830 et de 1848, il mourut dans son lit en 1824, après une dizaine d’années de règne.

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La chute de Charles X

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Charles X n’a pas eu la même vision et tout simplement l’intelligence de Louis XVIII. Médiocre, ce souverain ne marquera pas l’histoire ou plutôt de manière assez piteuse. Il commit l’erreur de restaurer l’Ancien Régime et impulsa une politique qui ne correspondait plus à l’air du temps ni aux attentes du peuple. Refusant de transiger avec les principes de la monarchie traditionnelle et historique, il se fit même sacrer à Reims comme aux grandes heures de la monarchie capétienne. Sa politique plus inconsciente que courageuse a suscité alors l’hostilité des nostalgiques de l’empereur déchu et ceux du camp républicain attachés aux valeurs des acquis révolutionnaires. Charles X osa même faire voter une politique de dédommagement destinée aux royalistes spoliés et émigrés et restaura les prérogatives de l’Église. Lassés par l’audace du roi dans le rétablissement d’une forme d’arbitraire monarchique avec notamment les ordonnances de Saint-Cloud limitant la fougue et les ardeurs des libéraux puis l’ordonnance de dissolution de la chambre des députés, ce qui provoqua de nouvelles élections, les républicains et le bouillant peuple parisien désormais familiarisés avec les révolutions, chassèrent en 1830 Charles X, le dernier roi bourbon en ligne directe.

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Futur Louis-Philippe, le duc d’Orléans à la manœuvre

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Appelées les Trois Glorieuses, les journées révolutionnaires des 27,28 et 29 juillet 1830 ont marqué le soulèvement du peuple de Paris contre Charles X. Le futur Louis-Philippe, le duc d’Orléans alors à la manœuvre, a agi avec habileté en attendant son heure. Sa revanche, celle de la Maison d’Orléans, branche cadette des Bourbons dont il est issu, va le conduire sur le trône. Il avait passé une vingtaine d’années hors de France, d’abord en Suisse puis aux États-Unis en 1787, en Angleterre dès 1800 sous le Directoire et enfin en Sicile avant de rentrer en France au retour sur le trône de son cousin Louis XVIII. Stratégie tout en finesse, le duc d’Orléans s’efforça alors d’apparaître comme un recours en adoptant certains principes de la Révolution et en rejetant les ultras du royalisme. Après son abdication, Charles X choisit son petit-fils Henri, héritier légitime de la branche directe des Bourbons, conduisant ainsi son fils Louis XIX à renoncer au trône précisément au profit de son neveu Henri. Pour les chroniqueurs, Louis XIX n’aura régné qu’une vingtaine de minutes, le temps de parapher le document qui devait permettre à Henri V d’accéder au trône. Mais les assemblées, sensibles à la personnalité moderniste du duc d’Orléans qui défendait certains principes issus de la Révolution, le choisirent le 9 août 1830, et il devint Louis-Philippe 1er. Le nouveau souverain se fera appeler désormais « roi des français ». Bien que les Bourbons eussent crié à l’usurpation du pouvoir et à l’illégitimité du nouveau roi, Louis-Philippe a régné dix-huit ans jusqu’en 1848, chassé à son tour par une nouvelle révolution.

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UN RÈGNE CHAHUTÉ PAR LES COMPLOTS ET LES RÉVOLTES

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Louis-Philippe accepte bien volontiers une charte démocratique assez ambitieuse, favorise un régime parlementaire et adopte le drapeau tricolore. En introduisant une monarchie constitutionnelle à l’anglaise, la monarchie de Juillet, dont le nom résulte des mouvements de barricades des 27, 28 et 29 juillet 1830, donna le ton vers un système plutôt progressiste et bourgeois qui marquera le style du dernier souverain de France. Jugé pourtant illégitime par beaucoup, dont bien sûr les Bourbons qui avaient un héritier direct au roi Charles X déchu, Louis-Philippe fut l’objet de complots permanents et de nombreuses tentatives d’assassinats. Les multiples révoltes sociales ont également miné le bilan et l’autorité du roi.

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Une légitimité puis un régime sans cesse contestés

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Outre le comte de Chambord, héritier direct des Bourbons et petit-fils de Charles X, qui contestait la légitimité du roi, les républicains à leur tour ont également tenté régulièrement d’affaiblir Louis-Philippe. En 1832, le complot du bal des Tuileries éventé ne permettra pas aux légitimistes qui voulurent capturer le roi, de proclamer le comte de Chambord roi sous le nom d’Henri V. Des insurrections violentes, à partir de 1832, mais aussi des tentatives d’assassinats et de complots ont affecté le règne de Louis-Philippe entre 1836 et 1846. Dès le début de son règne, il fut moqué pour les rondeurs de son visage et devint la cible de la presse qui le caricatura en forme de poire. En juin 1832, les funérailles du républicain général Lamarque dégénérèrent en manifestation qui se solda par plusieurs centaines de morts et de blessés.

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Louis-Philippe échappe à tous les attentats

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Toujours en 1832, un jeune domestique au chômage meneur d’un groupe d’insurgés devait mettre le feu aux tours de Notre-Dame, signal d’une révolte militaire et populaire. Arrêté et jugé, le jeune homme verra l’autorité judiciaire s’efforcer de démontrer son lien avec le camp républicain alors que la conspiration eut pu être instrumentalisée par le régime, bien que les historiens de nos jours penchent plutôt pour une manœuvre des royalistes légitimistes. Outre les complots dont certains visaient à capturer la famille royale, ce sont surtout les attentats nombreux perpétrés par des anarchistes et des républicains qui marquèrent le règne de Louis-Philippe. En 1835, un certain Guiseppe Fieschi, ancien soldat de Napoléon 1er, tenta de tuer le roi avec ce que l’on appelait à l’époque une machine infernale, boulevard du Temple à Paris lors de l’anniversaire de la révolution de Juillet. Il sera condamné et guillotiné avec l’ensemble de ses complices. Les attentats d’Alibaud, de Meunier ou encore d’Henri s’ajoutent à une liste déjà bien remplie. Précisément, Meunier, un jeune exalté, échoua dans la tentative d’assassinat du roi. Condamné à mort par la chambre des Pairs, il implora alors la grâce du roi qu’il obtint d’ailleurs car Louis-Philippe détestait la peine capitale. En 1840, un certain Darmès, ouvrier anarchiste, tira sur la voiture du souverain mais son pistolet explosa dans ses mains, ce qui sauva la vie du monarque. S’agissant de l’attentat de Fontainebleau, en 1846, un certain Lecomte, ancien garde forestier de Fontainebleau, tira plusieurs coups de feu sans parvenir à toucher le roi, précisément dans les jardins du château. En vain, Victor Hugo essaiera de sauver sa tête.

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La révolution des Canuts à Lyon

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Ces mouvements de contestation désignent un ensemble de soulèvements ouvriers à Lyon, à plusieurs reprises entre 1831 et 1848. Ces insurrections résultaient de la difficulté de ce corps de métier et de la misère sociale liée à l’ère de la période de la première grande industrialisation du pays, où les journées de quatorze à dix-huit heures étaient la norme. Surnommés les canuts, ces ouvriers de la soie réclamaient un salaire digne pour vivre, voire survivre. En novembre 1831 d’abord puis en 1834 et en 1848, ces mouvements sociaux firent quelques centaines de morts et de blessés. Avant de se révolter, les canuts avaient créé leurs propres outils d’information comme l’Écho de la Fabrique. Toujours à Lyon, en 1848, avant la grande crise qui emportera le régime de Louis-Philippe, les canuts avaient créé à la Croix-Rousse le mouvement des voraces. Ses adeptes qui se retrouvaient dans les auberges où les beuveries cachaient en réalité une organisation de prises de positions politiques et d’activisme de la promotion d’une nouvelle république.

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Laffitte, Perier, Guizot et Thiers, grands serviteurs de la monarchie de Juillet

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Deux grandes formations politiques ont dominé la monarchie de Juillet, le mouvement et la résistance, c’est-à-dire les libéraux et les conservateurs. À tour de rôle, ces formations se sont partagé le pouvoir avec des hommes forts comme Jacques Laffitte, président libéral du Conseil et Casimir Perier, ancien président de la Chambre, plutôt économiste et technicien que politique, qui succéda à Laffitte à la présidence du Conseil. Le régime va se durcir à partir de 1840 avec Adolphe Thiers mais surtout avec François Guizot. Jouissant d’une longévité politique assez remarquable, Thiers que l’on retrouvera bien plus tard à l’origine des massacres du peuple, lors de l’épisode de la Commune en 1871, accéda à la présidence du Conseil à plusieurs reprises avant que Guizot ne parvienne à lui succéder quelques mois. La politique autoritaire et répressive sur fond de crise économique et sociale de Guizot en 1848 entraîna une forte contestation républicaine et ouvrière, puis le nouvel épisode révolutionnaire de février 1848.

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Les banquets républicains préparent l’alternance

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Le gouvernement conservateur de Guizot irrita le mouvement républicain qui répliqua en organisant entre 1847 et 1848 une série de banquets de la contestation, appelés banquets républicains. Les réformateurs en profitèrent pour exiger un élargissement du corps électoral et s’opposer à la politique conduite par Guizot. Ces banquets républicains furent surtout l’occasion de contourner la loi répressive qui empêchait les réunions politiques. En voulant interdire un grand rassemblement républicain à Paris le 22 février 1848, le gouvernement provoqua la révolution de février 1848 qui entraîna la chute de la monarchie de Juillet et le départ précipité de Louis-Philippe. Renonçant à réprimer les manifestations dans la violence et refusant de faire couler le sang, le roi Louis-Philippe 1er abdiqua le 24 février 1848 au profit de son petit-fils le comte de Paris, qui ne parviendra pas à imposer son autorité légitime. Comme Louis XVI, et craignant un sort fâcheux, le roi préféra s’enfuir, déguisé en simple bourgeois, vers l’incontournable Angleterre. Grande figure du romantisme français, le célébrissime Lamartine, à la fois dramaturge, poète, romancier et homme politique, proclama le premier l’avènement de la Deuxième République après qu’il eut activement participé à cette révolution de 1848.

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La loi Guizot, pionnière pour l’instruction du peuple

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À l’actif de Guizot, une grande loi scolaire annonciatrice des futurs textes de Ferry et de l’ambitieuse politique de l’école soutenue sous la Troisième République. Alors ministre de l’Instruction publique, Guizot fit adopter dès 1833 une loi qui imposa à l’État la mission d’assurer l’instruction à l’école primaire. Soucieux de relever le niveau des futurs enseignants, l’ancêtre de l’école normale fut ainsi créé dans tous les départements. Il faut souligner que presque la moitié de la population signait encore d’une croix à cette époque. En 1834, Guizot a été également à l’origine des premiers textes de protection des monuments historiques dont l’inspection fut confiée à Prosper Mérimée.

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DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE ET EXPANSIONNISME

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Le règne de Louis-Philippe a été marqué par un développement économique sans précédent qui a plus profité au milieu des affaires qu’à celui des ouvriers, de plus en plus paupérisés. La politique de colonisation prit un virage nouveau et la pénétration en Afrique du nord fut accélérée dans cette première moitié du 19e siècle. Par ailleurs, Louis-Philippe a tout de même réussi aussi une prouesse, celle de concilier et d’unir les acquis de la Révolution avec ce qui lui semblait le meilleur de l’Ancien Régime pour établir un régime somme toute progressiste et doté des libertés fondamentales.

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La révolution industrielle

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Incontestablement la période 1830-1848 fut un âge d’or du libéralisme et de l’industrialisation de la France. Mais la richesse des uns a généré la pauvreté et parfois l’extrême misère des autres. D’ailleurs, c’est dans la période des rois Charles X et Louis-Philippe que Victor Hugo fixe le cadre de son chef-d’œuvre planétaire « Les Misérables », sorti en 1862. Pourtant, la productivité et l’essor industriel selon Jean-Baptiste Noé, chercheur en histoire économique à la Sorbonne, « a fait reculer la misère et amené davantage de richesse et un accès plus grand aux biens matériels ». Le chercheur précise par ailleurs « à cette époque, la mortalité recule, la nourriture est plus abondante et les conditions de travail à l’usine sont moins éprouvantes que les travaux des champs. »

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Le colonialisme s’accélère en Afrique

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Déjà sous Louis XIV, des expéditions punitives étaient organisées pour mettre un terme aux arraisonnements répétés en Méditerranée des bateaux de commerce européens par les colonies arabo-musulmanes installées sur la côte nord-africaine, et à la mise en esclavage des marins européens capturés. Pour y mettre un terme et sécuriser le commerce en Méditerranée mais aussi réagir à la décapitation du consul de France en 1811, première étape d’un long contentieux, un corps expéditionnaire français attaqua la régence d’Alger, territoire qui appartenait à l’empire Ottoman. La ville tomba en juin 1830. Tous les grands espaces du sud suscitèrent plus tard l’appétit des Français. Engagé sur ces nouvelles terres, le duc d’Aumale, un des fils du roi Louis-Philippe, parvint à prendre « la capitale itinérante » constituée par la smala du grand chef arable Abd el-Kader qui sera délogé de sa cachette marocaine en 1844 par le général Bugeaud. La chronique précise que cette grande figure de la lutte arabe, libérée plus tard par Napoléon III, manifestera alors une loyauté insoupçonnable envers la France après qu’il l’eut âprement combattue. Outre l’Afrique du Nord, la volonté expansionniste française se développa à partir de la Gambie puis du Sénégal vers le reste du continent noir mais aussi dans le Pacifique, en Polynésie.

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Dumont d’Urville en Antarctique

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C’est à partir de 1826, alors que Charles X était encore au pouvoir, que l’explorateur Jules Dumont d’Urville, déjà à l’origine de la découverte de la Vénus de Milo dans les eaux grecques, explora l’Océanie et le Pacifique à bord de L’Astrolabe. Il découvrit alors les grands archipels auxquels il donna les noms de Polynésie et Micronésie notamment. Sous Louis-Philippe, Dumont d’Urville parvint à atteindre le grand sud impossible, l’Antarctique. Le nom de Terre Adélie de ces territoires français de l’extrême s’imposa pour les autorités, dès lors qu’il disparût tragiquement avec sa femme Adélie en 1842 dans la toute première grande catastrophe ferroviaire à Meudon.

Porté par un véritable espoir et soutenu par les chambres, Louis-Philippe 1er, roi au ton progressiste et ouvert, a été emporté comme Charles X son cousin par une énième révolution en 1848 après qu’il eut ouvert le pays au développement économique et favorisé l’épanouissement d’une classe moyenne et bourgeoise. Mais l’accélération du mouvement industriel de cette première partie du 19esiècle a accru la misère ouvrière. Une soif légitime de justice sociale alimentée par les banquets républicains s’est alors amplifiée pour faire chanceler le régime. Plutôt aimé et appelé le « Roi Citoyen » au début de son règne, Louis-Philippe a perdu sa popularité et son prestige lors du virage conservateur du gouvernement Guizot sous lequel les conditions ouvrières se sont considérablement détériorées. Souverain de bonne foi, Louis-Philippe disait « Nous cherchons à nous tenir dans un juste milieu, également éloigné des excès du pouvoir populaire et des abus du pouvoir royal ». Malgré toute la bonne volonté dont il put faire preuve, son règne demeure une énigme et en quelque sorte un échec politique. L’histoire se répète inlassablement, et l’oubli, la négligence, voire le mépris du peuple conduit toujours à la chute des régimes qui ignorent sa souffrance. 

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Philippe Estrade.

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Journaliste en début de carrière, Philippe Estrade a vite troqué sa plume pour un ordinateur et une trajectoire dans le privé et le milieu des entreprises où il exerça dans la prestation de service. Directeur Général de longues années, il acheva son parcours dans le milieu de l’handicap et des entreprises adaptées. Ses nombreux engagements à servir le conduisirent tout naturellement à la mairie de La Brède, la ville où naquit Montesquieu aux portes de Bordeaux. Auteur de « 21 Merveilles au 21ème siècle » et de « Un dimanche, une église » il est un fin gourmet du voyage culturel et de l’art architectural conjugués à l’histoire des nations. Les anciennes civilisations et les cultures du monde constituent bien la ligne éditoriale de vie de ce conférencier « pèlerin de la connaissance et de l’ouverture aux autres » comme il se définit lui-même. Ce fin connaisseur des grands monuments issus du poids de l’histoire a posé son sac sur tous les continents

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