Comprendre l’indolence de notre société aujourd’hui

Par Georges Cocks

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La crise sanitaire mondiale que nous traversons depuis plus d’un an est devenue un laboratoire géant qui nous permet de lancer les bases d’une réflexion ou jusqu’alors certains paramètres pouvaient être jugés irrecevables, incohérents voire confus et exagérés… Mais le constat est sans appel. Il s’est instauré partout dans le monde une indolence, un baisser les bras face aux enjeux sociaux et environnementaux de notre époque qui menacent de rendre encore plus compliquée l’adaptation de l’homme dans un milieu qu’il corrompt volontairement. Alors pourquoi nous ne faisons rien ? Pourquoi nous acceptons tout ? Pourquoi nous regardons sans réagir ? Pourquoi ce climat se généralise-t-il ?

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Fin 201O apparaissait un petit manifeste qui se vendait comme un cadeau de Noël à offrir. Stephan Hessel, ancien résistant, sortait un ouvrage  « Indignez-vous ». À sa lecture, on comprenait pour qui le voulait, qu’il ne fallait plus s’éterniser en éternels palabres pour comprendre qu’il faut agir maintenant et vite. Sauf que la curiosité et l’inaction l’ont emporté. Les raisons de s’indigner sont multiples aujourd’hui. Il dit bien : je souhaite à tous  d’avoir votre motif d’indignation. C’est précieux. Ce qu’il veut dire c’est que, lorsque nous sommes indignés par quelque chose, on s’engage plus facilement, on devient militant fort et engagé car on ne souhaite plus laisser le contrôle à ceux qui nous donnent toutes les raisons d’indignation. Jean Paul Sartre disait que nous étions tous responsables en tant qu’individus. Porter une réflexion profonde sur cette pensée permet de comprendre que la responsabilité n’a pas de fin. Il y aura toujours des raisons de s’indigner. Il y aura forcément une résistance obligatoire qui se mettra en place. Le motif de la résistance sera l’indignation.

Résister n’est plus qualifié comme un acte héroïque mais plutôt comme avoir une nature propre à la rébellion. Les mots ont pris un sens premier dans l’esprit du peuple. Une façon de penser et de s’interroger universellement. Nous devons faire attention à cette éducation déformée des mots qui ne profite qu’à celui qu’Hessel appelle le Gouvernement provisoire de la République. C’est ainsi que la masse tombe dans piège de celui qu’il critique et pourtant il soutient tous ses projets sans même s’en rendre compte. C’est pour cela  que les raisons de s’indigner peuvent paraître aujourd’hui moins nettes ou le monde bien trop complexe.

On ne sait pas trop qui dirige, qui décide. Il n’est pas toujours facile de distinguer qui nous gouverne car nous n’avons plus affaire à une petite élite dont nous comprenons clairement les agissements. C’est un vaste système mondial interdépendant. L’indifférence est la pire des attitudes à avoir. Laisser tomber, laisser les autres décider pour nous, c’est comme ça je n’y peux rien… Ces attitudes favorisent l’indolence et inhibent la faculté d’indignation et d’engagement.

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Quand a-t-elle commencé ?

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L’indolence n’est pas arrivée comme cela tout d’un coup. C’est un long processus mis en place, bien intentionné, pour enrichir et qui se transmet comme un héritage génétique de parents à enfants, de génération en génération, sous l’influence de son entourage ou encore des médias et leurs dérivés du divertissement. Le confort de la vie est arrivé comme une libération. Nous avons été des affranchis volontaires et forcés en même temps des choses qui faisaient de nous des humains. Les composantes essentielles comme l’amour, le sens de la justice, l’altruisme… sont étouffées  comme des plants par l’argent et son système économique. Le pouvoir de l’argent n’a jamais été aussi grand, insolent, égoïste, avec ses propres serviteur jusque dans les plus hautes sphères de l’État (S H).

Nous avons franchi la singularité technologique comme dans  un saut quantique dans l’espace, un peu trop vite. La machine dieu a fait des humains ses serviteurs. Au nom de la facilité nous avons refusé de penser et de créer à l’échelle humaine de façon individuelle.  La léthargie n’était plus difficile à mettre en place.  L’école a été un vecteur idéal pour propager cette indolence. Elle a rempli non un rôle social comme on pourrait le croire, mais elle a plutôt contribué à un formatage pour penser d’une seule façon. Celle qui ne s’oppose à rien. L’indignation n’est pas permise ni même envisageable. L’école défend et enseigne un respect de la seule loi légiférée.  Même la loi de la nature ne compte pas. Seules quelques miettes sont lâchées dans un programme taillé sur mesure, trop insuffisantes pour satisfaire l’intellectualisation des petites fourmis qui pourraient les emporter. Noam Chomsky, professeur de langues américaindit que : l’éducation est un système d’ignorance imposée. Des centaines de millions de dollars sont dépensés chaque année pour contrôler l’opinion du public.

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Le nationalisme

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Il apprend à soutenir corps et âme sans se poser de question. Qui oserait s’opposer à l’élaboration de la constitution ? Pourtant il se pourrait que cela soit nécessaire pour résoudre des problèmes jusqu’alors insolvables. Des problèmes souvent communs à plusieurs pays simultanément. Prenons le cas de l’immigration. C’est un sujet qui devrait susciter de l’indignation dit Hessel. S’adressant aux jeunes il dit : regardez autour de vous, vous y trouverez les thèmes qui justifient votre indignation : le traitement fait aux immigrés, aux sans-papiers, aux Roms. Vous trouverez des situations concrètes qui vous amènent à donner cours à une action citoyenne forte. Cherchez et vous trouverez.

Qu’est-ce qui maintient fortement en place la culture de la haine raciale ? Ce ne sont pas les différentes cultures mais la mentalité éduquée, sans quoi il  n’y aurait pas eu autant de personnes à voyager tout en voulant encore manger un hamburger avec un soda. Non, ils veulent trouver autre chose que ce qu’ils ont déjà chez eux. On peut aimer l’Afrique mais rester insensible à la situation misérable des Africains. On peut jusqu’à aller à approuver les mesures prises par son pays pour refuser assistance et refouler des humains dont on porte fièrement les diamants et l’or de leur sous-sol. Une attitude qui encourage l’indifférence totale à accepter et à continuer la mise à l’exploitation de ces pays. Avec plus d’indignation citoyenne d’autres mesures plus acceptables seraient envisagées avec une répercussion plus favorable pour une vision pluraliste pour le bien de la société.

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La peur

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Maintenue par la sanction, elle vient renforcer le pouvoir du législateur. Il n’est toujours pas trop tard pour s’indigner mais seule une petite minorité ose le faire. Elle est étiquetée par la loi et considérée comme une masse de rebelles, d’opposants à l’ordre. Cette minorité se trouve en perpétuel conflit avec la majorité qu’elle qualifie de moutons, accuse de suivre sans réfléchir. De ne plus user de leur capacité à réfléchir par eux-mêmes. La majorité pense le faire mais la réflexion n’est jamais contradictoire. Or la contradiction permet de jeter d’autres bases, de requalifier les opinions. La pensée unique portée par la grande majorité fait office de raison. La peur, l’ingénierie sociale qu’on appelle aussi la manipulation de masse. De l’autre côté on qualifie de complotistes ceux qui  rejettent et critiquent avec virulence les décisions du pouvoir établi. La peur étant liée à l’individu il est impossible de condamner l’influenceur car il ne déclenche pas le processus.

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Les divertissements

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Le plus souvent passifs, il n’est point besoin de réfléchir ni d’avoir un quelconque QI ou une quelconque expertise pour s’y livrer pour peu qu’on le fasse bien ou pas. Pour compléter tout cela, l’arrivée des réseaux sociaux a amplifié cette passivité. Même si les propres fondateurs de ces applications chronophages ont ouvertement dévoilés les conséquences et les impacts néfastes sur l’homme, au lieu d’avoir une baisse de fréquentation et un boycott généralisé, on se retrouve avec encore plus de connectivité. Comment pouvons-nous continuer comme si nous ne savions rien ? Nous consacrons du temps utile à des fins inutiles. L’attention est détournée des problèmes importants de la société et des prises de décisions politiques prises en notre défaveur par un flot de plus en plus important de médias abrutissants. Ainsi hypnotisés, les individus se déchirent entre eux sur ces mêmes réseaux au lieu de procéder à une analyse différente, sans aucun sens critique. Ils partagent des informations parfois erronées et font le job d’influenceurs pour ceux qui tirent les ficelles. Mais comme ceux-là sont nombreux et qu’on ne peut pas les identifier, aucun effort n’est fait de la part de la masse pour remettre en question certains divertissements même s’ils sont néfaste voire dangereuse. Nous savons tous qu’il y a un certains nombres d’aliments qui sont à proscrire pour la santé pourtant ils se vendent bien plus même s’ils sont nuisibles. On pourrait s’attendre à voir les gens rechercher et réclamer ce qui est bon mais ce n’est pas le cas. Il en va de même pour ces divertissements.

Jim Morrison, chanteur et poète américain avait déclaré : qui contrôle les médias contrôle les esprits.

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La presse

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Pour certains, c’est la vérité absolue.  L’influence de la presse joue avec l’émotionnel. Elle ne contredit pas, elle n’investigue pas. Elle ne pose pas de critiques, les invités sont triés et les discours sont unidirectionnels, verticaux. Hessel dit qu’une véritable démocratie a besoin d’une presse indépendante ; la résistance le sait, l’exige, en défendant la liberté de presse, son honneur, et son indépendance à l’égard de l’État, des puissances d’argent et des influences étrangères.

La citation de Jim Morrison se vérifie. L’information est comme un morceau de steak que l’on achète. On ne sait rien de l’animal, sa couleur, son poids, son âge… On nous dit seulement ce que l’on veut que l’on entende. Il suffit de rabâcher l’information jusqu’à ce que l’individu la recrache sans réfléchir et se mette à agir comme il a été programmé pour le faire. Cette lobotomisation est perverse. L’information modifie le comportement et finit par faire prendre des décisions que jusqu’alors on n’aurait jamais prises. Celui qui serait contre, par exemple, la vaccination par ces temps de crise sanitaire finirait par capituler non par décision personnelle mais juste parce qu’il a fait une overdose de l’information. À force de marteler l’augmentation du nombre de cas, le nombre de vaccinations, le nombre d’admissions, le risque d’une mort infantile surtout si on est parents… et en ajoutant à cela la menace d’être un marginal demain, on pousse l’individu à par prendre une décision alors qu’il n’est pas toujours d’accord avec les mesures sanitaires prises.

L’information, quant à elle, ne nourrit pas, elle pourrit.

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Conséquences

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Si pour certains cette indolence est fortement exploitée à des fins commerciales et qu’ils s’en frottent les mains, elle fait aussi émerger une précarité intellectuelle dans un monde paradoxal où la technologie est une preuve de l’ingéniosité humaine. Mais ne nous emballons pas trop vite. Cette intelligence n’est pas donnée à tout le monde. Sauf une élite s’en est emparée pour donner la becquée à des oisillons qui n’ont aucune envie de quitter le nid douillet. La structure organisationnelle du pouvoir à notre époque est controversante puisqu’elle agit comme une structure familiale (de parent à enfant) et ne se comporte pas comme telle. Elle ne franchit pas toutes les étapes de la nature et la raison même de la famille. Nous sommes de perpétuels enfants toute notre vie. Nous changeons de familles d’accueil sans cesse et chaque succession de gouvernement traite comme des enfants les citoyens qui ne se révoltent plus. Même le non que fustigent les petits dès leur plus jeune âge nous a été ôté silencieusement. Notre oui a été volé aux forceps en légiférant des lois successives qui nous privent même de certaines libertés jusque-là individuelles inaliénables. Les parents accompagnent et soutiennent leur enfant. Ils laissent de l’indépendance, assurent ce qu’il y a de mieux pour lui jusqu’à l’épauler en cas de difficultés. L’infantilisation du peuple demeure une stratégie pour mieux le contrôler.

Les révolutionnaires ont disparu. Ils étaient gênants. Hessel soutient l’idée selon laquelle naturellement ils cherchent à rétablir une équité et une justice plus noble que la démocratie actuelle. Il n’y a pas de laissé pour compte dans ce genre d’administration. Les révolutionnaires sont souvent en désaccord avec le régime en place. Aujourd’hui, partout, les gens sont en désaccord avec les régimes en place. Cela veut dire qu’il y a une révolution latente qui se met en place depuis des années. Chaque citoyen est un révolutionnaire potentiel. Plus l’injustice sera forte plus le citoyen aura de chance à se révolter. La situation du monde à l’échelle planétaire est un échec cuisant de notre inaction. Martin Luther King disait : ce qui m’effraie ce n’est pas l’oppression des méchants mais l’indifférence des bons. Et des bons il y en a, sauf que le pouvoir viral des méchants infecte aussi le comportement de bons qui penchent du côté obscur parce que cela devient le comportement le plus facile et le plus rentable.

Il serait peut-être temps de quitter notre zone de confort, ce matelas où il fait bon dormir. Nous vivons en perpétuelle contradiction  avec notre environnement et notre façon de penser. Nous connaissons la conséquence directe ou indirecte pourtant Médusa semble nous avoir pétrifiés. Mais qui de Danton ou de Mirabeau s’attaquera à la Bastille du monde ? Les révolutions ont toujours participé à la réécriture de l’histoire. L’appel de Hessel finira sans doute par s’entendre un jour, qui sait.

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 Rédacteur Georges Cocks

©Pluton-Magazine/2021/Paris 16eme

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Par Georges COCKS
Écrivain- Éditeur-Poète-Romancier

Sources :

Rédaction sur la base du petit livre « Indignez-vous » de  Stephan Hessel.

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