Entre les lignes (31) : Le pays d’où l’on ne vient pas de Mérine Céco.

Par Dominique LANCASTRE

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Le pays d’où l’on ne vient pas, un roman particulier qui nous interpelle dès les premières pages.  Femi est mixed race, j’emploie le terme mixed race car en anglais le terme ne prête pas à confusion. Fèmi est béninoise par sa mère mais martiniquaise par son père.  Le pays d’où l’on ne vient pas est l’histoire d’une rencontre mais pas au sens que l’on peut imaginer mais il s’agit d’une rencontre mémorielle.

Journaliste, Fémi est invitée par Frida et Sonia à venir enquêter sur une certaine délégation qui se serait installée dans l’île et chercherait à vider les îliens de leur mémoire collective pour la remplacer par une mémoire dictée et contrôler les habitants, en leur administrant des petits comprimés rose pâle.

Frida et Sonia sont rentrées en « néodissidence », comme elles disent et ont le projet d’écrire une histoire à deux voix et à l’unisson. Le roman prend forme autour de ce projet d’écriture. Si Fèmi semble prêter attention à ce qu’elles racontent ce n’est qu’une impression, car elle profite de cette invitation pour se lancer sur les traces de la famille de son père, une certaine famille Flavila.

Au début, le lecteur se demande où Merine Ceco veut l’emmener mais au fur et à mesure que Sonia et Frida se mettent à raconter leur histoire, le lecteur comprend l’ingéniosité de l’auteure. Il sagit de brosser un portrait minutieux de la société martiniquaise.

La structure du roman est indéfinissable et c’est cela qui le rend encore plus attrayant, car Mérine Ceco joue avec le lecteur et à chaque récit nous découvrons des choses. Bien sûr, nous sommes dans le domaine de la fiction mais l’auteure rend cette fiction très réelle, si bien que par moment le lecteur peut se demander si cette délégation n’existe pas vraiment.

Le pays d’où l’on ne vient pas est un roman qui porte le lecteur très vite à l’introspection, en particulier si le lecteur est antillais car d’une certaine manière Merine Céco s’adresse à la société antillaise. Plus on avance dans le roman, plus il apparaît que cette société se désagrège, se déstructure et perd petit à petit de sa fondation, un peu comme un arbre qui est rongé de l’’intérieur mais qui aux yeux de tous se porte bien.

Ce que racontent Sonia et Frida est en réalité ce qui se passe mais les gens ne se rendent pas compte ou du moins ils se complaisent dans le déni et refusent de croire à toute manipulation extérieure de leur histoire.

Le pays d’où ne vient pas est un roman avec plusieurs facettes où tout s’emboîte à merveille. Et c’est l’une des forces de l’écriture de Merine Céco que de distiller des informations à travers une histoire qui peut paraître en dehors du temps mais qui est tout à fait claire pour un lecteur averti.

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Le pays d’où on ne vient pas

Interview Mérine Céco

ISBN 9-78-2-3590-533-40 Editions Ecriture

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1/ Pourquoi avoir adopté ce style si difficile à définir ?

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C’est un style qui m’est venu spontanément en raison du sujet que je traitais. Je voulais faire résonner des voix de femmes, de femmes différentes, en renouant avec la tradition de la conversation, tout en conservant de la narration. Je crois que les personnes se caractérisent par leur manière de parler, de dire les choses Je me suis demandé : comment des femmes antillaises de générations diverses, parleraient-elles des problématiques qui les préoccupent : l’histoire, la mémoire, l’identité, le rapport aux hommes, à leur culture, etc. ? Comment entreraient-elles en contact avec une femme béninoise ? Comment une Béninoise se comporterait-elle et parlerait-elle face à une femme antillaise qui a grandi à Paris ? Et de fil en aiguille… la vraisemblance m’importe davantage que la « vérité ».

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2/ Le personnage de Fèmi en métis béninoise-martiniquaise a-t-il été un déclic pour vous ?  Pourquoi ?

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En réalité, quand je suis allée au Bénin, j’ai trouvé beaucoup de proximité entre les Béninois et nous. À mes yeux, Fèmi n’est pas à proprement parler une métisse mais un personnage qui symbolise l’Afrique, la Caraïbe et ce petit bout d’Europe que tout Antillais porte en lui, sans nécessairement vouloir le reconnaître. Nous sommes trop souvent dans le déni de ce que nous sommes et nous nous fabriquons des identités factices en rejetant telle ou telle autre part de nous, alors que ces parts nous sont constitutives. Ce qui m’intéressait avec ce personnage de Fèmi, c’est qu’il nous oblige à nous poser les questions suivantes : celle du pays d’où l’on vient, celle des pays où on vit et qui déposent en nous quelque chose, et celle de comment on se construit à travers ses diverses identifications. Fèmi ne vient pas seulement d’Afrique, ni de la Martinique. Son séjour à Paris l’a transformée parce que l’on est aussi au moins en partie ce que les autres voient et font de nous. Les assignations identitaires qui nous sont faites nous concernent et nous transforment autant que les identités que nous nous reconnaissons. Aux Antilles, Fèmi est « l’Africaine » qui vient du continent d’Afrique. À Paris, elle est « l’Africaine » issue de la banlieue parisienne. Au Bénin, elle est sans doute la Martiniquaise. Mais pour Fèmi, qui est Fèmi ? D’où vient-elle vraiment ? Sans doute d’un pays qui est à l’intersection de tous ces lieux et qui vient à elle, plus qu’elle ne vient de lui.

On cherche toujours à nous assigner un lieu d’origine et on ne s’interroge guère sur la manière dont les lieux d’où l’on n’est pas originaire, fabriquent nos identités. Ainsi, au lieu de poser la question du pays d’où l’on vient, je me suis posé celle du/des pays d’où l’on ne vient pas mais qui participe(nt) de la construction de nos identités et de nos identifications.

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3/ Quel est l’intérêt pour vous d’écrire une telle histoire ?

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Ce qui m’a guidée avant tout, c’est de penser nos impossibilités car cela nous permet de penser nos impostures et de repenser nos postures. Que ferions-nous si une Délégation, venue d’ailleurs, cherchait à effacer notre mémoire, c’est-à-dire ce qui nous relie à ceux qui nous ressemblent, ce qui a façonné nos imaginaires et notre langue ? Comment organiser le dialogue entre personnes qui ne pensent pas de la même façon sans que cela ne dérive en conflits graves et en guerres intestines ? Comment relier la différence et faire de nos divergences une force ?

Je crois sincèrement que les femmes ont des réponses pertinentes à ces questions parce qu’elles jouent souvent le rôle de « médiateurs » mais personne ne les entend. J’ai voulu mettre en scène une situation de péril qui exige des réponses nouvelles portées par des femmes de générations et d’aires géographiques différentes, femmes qui ont pour seul objectif de créer de la concorde, sans pour autant être dans la compromission.

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4/ Je dis dans ma présentation que le roman brosse un portrait socio-psychologique de la société antillaise. Êtes-vous d’accord avec moi ?

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Je n’ai pas une telle prétention mais l’idée y est. Il s’agissait pour moi d’explorer sans me mettre d’œillères nos manières d’être, de dire et de faire. Et quand je dis « nous », je ne m’en exclus pas. Notre passé de colonisation, les trous de notre histoire, notre existence entre au moins deux lieux, deux cultures, deux langues, inscrivent l’ambivalence et l’oscillation au cœur de notre être. Par ailleurs, nous avons été pendant longtemps tellement « peu » que nous voulons « paraître ». De même, il y a eu une telle intransigeance à notre égard que nous pouvons être mus par le désir de ressembler à nos agresseurs. L’intolérance est à nos portes…

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5/ Beaucoup de références à des auteurs connus. Est-ce une façon de leur rendre hommage ?

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C’est d’abord une façon de leur dire merci d’avoir écrit, de nous avoir montré qu’il était possible d’écrire, quels que soient notre condition et notre sentiment d’infériorité ou non. Quand j’ai commencé à m’intéresser à notre histoire collective, ce sont leurs livres que j’ai rencontrés, ce sont leurs textes qui m’ont permis de combler le vide que je ressentais, de savoir que nos pays avaient une histoire que nos parents et aïeux refusaient trop souvent de nous raconter. Alors, oui, c’est facile aujourd’hui de leur jeter la pierre, de leur reprocher toutes sortes de choses, mais s’ils n’avaient pas tracé la voie, nous serions encore à nous demander comment et quoi faire…

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6/ Que diriez-vous à certains qui recevraient Le pays d’où l’on ne vient pas comme un règlement de compte ? (Sourire)

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(Sourire) J’essaie d’être lucide et non-complaisante, de rassembler la multiplicité de nos points de vue ; mon intention est de réussir à faire entendre qu’on peut construire ensemble un pays sans être d’accord sur tout, à condition qu’on ait une vraie ambition pour ce pays et qu’on soit déterminés à bâtir un avenir digne de ce nom aux futures générations. Pour cela, il faut avoir le courage de se regarder en face au lieu de reproduire nos sempiternelles erreurs.

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7/ Que n’avez-vous pas traité dans ce roman que vous auriez aimé traiter ?

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Le rire… j’aurais voulu que mes personnages rient et fassent rire davantage car, comme on sait, le rire évite que l’on ne se prenne trop au sérieux.

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8/ Quel passage aimeriez-vous mettre en avant et pourquoi ?

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« On voulait jouir de la même égalité que les Français mais on ne voulait pas vraiment être français. On voulait plus de responsabilité mais on refusait de voter en faveur de l’article 74 de la Constitution du pays de froidure qui nous aurait permis d’acquérir un brin d’autonomie. On réclamait des réparations mais on n’était pas clairs sur le statut politique que l’on souhaitait. On rêvait de construire notre pays mais on était fiers que nos enfants réussissent en s’expatriant à l’étranger. On s’estimait lésés par les Békés mais on n’aimait pas trop que des Nègres nous commandent. On feignait de mépriser les Blancs mais on vénérait la moindre goutte de sang blanc qui coulait dans nos veines. On se savait d’origine africaine mais on n’aimait pas que l’on nous traite d’Africains. On préférait s’exprimer en français mais on militait avec rage pour la pérennité du créole, etc. » (p. 253)

J’ai choisi ce passage qui met en exergue nos ambivalences, ambivalences dont nous n’avons pas toujours conscience alors qu’elles structurent bon nombre de nos comportements et de nos non-choix.

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Née en 1970 en Martinique, Mérine Céco suit en parallèle des études de philosophie et de littérature. À 22 ans, elle est agrégée d’espagnol puis docteur en sciences du langage. Élue en janvier 2012 présidente de l’Université Antilles-Guyane, elle en a démissionné en août 2016 pour rejoindre la Sorbonne, à Paris. Les éditions Écriture ont publié La Mazurka perdue des femmes-couresse (2013, prix Gilbert Gratiant), Au revoir Man Tine (2016) et Le Talisman de la présidente (2018). (Document Écriture éditions)


Dominique LANCASTRE
(Ceo Pluton–Magazine)

Pluton-Magazine/ Paris 16/2021

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