TEMPLIERS : DEVENU TROP PUISSANT ET TROP INFLUENT, L’ORDRE FUT BRUTALEMENT BANNI ET ÉLIMINÉ

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Par Philippe Estrade-Conférencier

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Ordre religieux et militaire dont la mission essentielle fut de protéger les pèlerins sur la route de la Terre sainte, les Templiers devinrent extrêmement puissants et comptèrent au début du 14e siècle plus de 15 000 membres. Tout commence à la fin du 11e siècle lors de la première croisade qui permit non sans difficultés la prise de Jérusalem, malgré les menaces, les brigands locaux ou même certains pèlerins dont les objectifs pouvaient être peu louables. Il fallut donc assurer la protection des pèlerins issus de l’aristocratie et de la bourgeoisie mais aussi de tous les pauvres gens engagés sur la longue route des croisades. Pendant deux siècles, cette milice des croisés va accroître sa puissance pour enfin rentrer en Occident en 1291 à l’issue de la chute de Saint-Jean d’Acre en Terre sainte. Particulièrement agacé par leur puissance et leur richesse, le roi Philippe le Bel perçut aussi sûrement une menace possible sur l’ordre politique et religieux établi. Motivé par les trésors de l’Ordre et soucieux de remplir les caisses de l’État à bon compte, Philippe le Bel, sur des prétextes obscurs et contestables, s’attaqua alors aux Templiers pour se saisir de leur patrimoine et de leur richesse par ailleurs toute relative. Arrêté avec soixante autres membres de l’ordre, le grand maître Jacques de Molay périt le 11 mars 1314 sur le bûcher dressé dans l’Île de la cité à Paris après avoir lancé le célèbre anathème au roi de France et au pape Clément V « Clément, juge inique et cruel bourreau, je t’assigne à comparaître dans quarante jours devant le tribunal de Dieu, et toi aussi, roi Philippe ! » Les deux hommes perdirent la vie à leur tour respectivement en avril et novembre de la même année…

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DÈS LA CRÉATION DE L’ORDRE, LES TEMPLIERS ONT FIXÉ DES RÈGLES RIGOUREUSES ET AMBITIEUSES

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Prêchées par le pouvoir papal, ces expéditions militaires destinées à protéger les pèlerins qui se rendaient à Jérusalem pour se recueillir sur le tombeau du Christ, le Saint-Sépulcre, les croisades devinrent vite un outil armé pour pénétrer et s’installer durablement en Orient et chasser les occupants musulmans des lieux saints. À l’issue de la première croisade et la prise de Jérusalem en 1099, la création des états latins sur les terres conquises permit une présence religieuse et politique permanente en Terre sainte, indispensable pour protéger les nouveaux États latins et veiller scrupuleusement sur les lieux saints. Plusieurs ordres furent créés pour aboutir en 1118 à l’émancipation de l’Ordre des Chevalier du Temple qui parvint à s’imposer officiellement dans l’Église. Organisé et structuré selon des règles cisterciennes, l’ordre des Templiers se fixa des conventions et des cérémoniaux particulièrement rigoureux.

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De l’Ordre des Pauvres Chevaliers du Christ à l’Ordre des Chevaliers du Temple

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Des ordres furent créés à l’issue de la première croisade, notamment l’Ordre des chanoines du Saint-Sépulcre impulsé par l’avoué du Saint-Sépulcre Godefroy de Bouillon puis les Hospitaliers. Néanmoins, ni l’une ni l’autre de ces deux institutions ne présentait officiellement un statut d’ordre religieux et militaire. En revanche, vivant sous la règle des chanoines de saint-Augustin, Geoffroy de Saint-Omer et Hugues de Payens, issus de la maison des comtes de Champagne, prirent l’initiative de protéger un couloir étroit particulièrement dangereux et propice aux embuscades, en bord de mer, le défilé d’Atlit qui abritera plus tard une première forteresse croisée au nord de Césarée dans l’actuel État d’Israël. L’Ordre des Pauvres Chevaliers du Christ vit ainsi le jour alors que le roi de Jérusalem Baudoin II leur consentît une aile de son palais, précisément sur l’ancien Temple de Salomon. C’est ainsi que les Pauvres Chevaliers du Christ devinrent progressivement les Chevaliers du Temple, en référence à cet emplacement d’un fort symbole, celui de l’ancien temple du roi juif Salomon, définitivement détruit en 135 sous l’empereur romain Hadrien. Hugues de Payens et Geoffroy de Saint-Omer se firent assister par sept autres chevaliers français dont Godefroy, Payen de Montdésir et Archambaud de Saint-Agnan. Dès lors, l’Ordre des Chevaliers du Temple prit forme en 1129 sous l’autorité de ces neuf chevaliers avec la mission de protéger tous les pèlerins chrétiens en route vers la Terre sainte et Jérusalem. C’est sur cet ancien site d’Atlit d’origine phénicienne que les Croisés bâtirent dans le royaume franc de Jérusalem entre 1217 et 1220 le château-Pèlerin, une puissante et redoutable forteresse templière sur la côte. La chronique précise d’ailleurs que la garnison chrétienne particulièrement héroïque parvint à résister en 1220 aux assauts et au siège de l’armée du sultan de Damas, finalement mise en déroute.

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L’Éloge de la Nouvelle Milice mise en place par les Templiers et validée au concile de Troyes

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C’est à la demande de Bernard de Clairvaux ou Saint-Bernard que le concile de Troyes a validé officiellement, le 14 janvier 1128, la création de l’Ordre du Temple ainsi que les différentes règles de son fonctionnement développées dans l’Éloge de la Nouvelle Milice. Robert de Crayon prit la tête de l’organisation à la disparition d’Hugues de Payens et favorisa une organisation sacerdotale qui permit à l’Ordre de disposer de ses propres prêtres qui dépendraient désormais directement des Templiers et non de l’autorité de l’évêque. D’ailleurs, le pape Innocent II leur accorda de réels privilèges traduits dans la bulle « Omne datum optimum » en 1139, que l’on traduit par « tout le meilleur donné » aux Templiers.

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Les commanderies templières installées partout en Europe

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Les donations diverses et l’exemption de la dîme vont permettre aux Templiers d’accélérer leur installation partout en Europe et favoriser leur notoriété. La noblesse et tous les grands ainsi que la bourgeoisie avaient tout intérêt à aider la nouvelle institution qui comptait déjà de nombreux chevaliers. Cette générosité ne pouvait être par ailleurs que bien vue par l’autorité papale et les évêques. Symbole de l’Ordre du Temple, la croix pattée de couleur rouge portée sur l’épaule gauche de la pèlerine blanche fut justement octroyée par le pape en 1147.

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Une organisation d’obéissance et de discipline militaire

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L’Ordre comptait trois catégories de moines militaires, ceux qui combattaient et ceux qui assuraient les fonctions matérielles, les chapelains et les frères en charge des tâches domestiques. Le maître de l’Ordre n’avait pas la possibilité de prendre des mesures autoritaires ou majeures sans consulter un haut conseil de dignitaires. Hiérarchisé et parfaitement structuré, l’Ordre nommait les commandeurs de province qui, à leur tour, désignaient les commandeurs des différentes maisons. Élu par le collège des Chevaliers du Temple de Jérusalem, le grand maître jouissait de réels pouvoirs mais dut néanmoins soumettre au vote à la majorité les orientations et décisions importantes. Les moines qui ne possédaient aucune fortune personnelle devaient obéissance et vivaient reclus en se consacrant à la prière, tout en se tenant prêts à mourir pour défendre Jésus et la chrétienté. Même les plaisirs et la présence de femmes n’étaient pas admis. Seuls les chevaliers revêtaient un habit blanc, les moines et les autres membres de l’Ordre étaient vêtus d’un manteau brun.

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DÉFENDRE LA TERRE SAINTE

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Les États latins d’Orient étaient donc sous la protection des Templiers mais aussi de la toute première institution créée avant lui, les Hospitaliers de Saint-Jean, toutefois plus modeste que l’Ordre des Templiers. Les différentes forteresses toujours dressées de nos jours comme le krak des Chevaliers en Syrie, le château Pèlerin également appelé forteresse d’Atlit en Israël ou encore le château croisé de Kerak en Jordanie illustrent l’héroïsme et la foi farouche des croisés et de la chevalerie latine qui protégeaient ces enceintes, ce qui n’empêcha pas le désastre de la bataille de Hattin en 1187 et la perte de Jérusalem.

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La prise d’Ascalon en 1153 pour effacer le siège de Damas

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Le siège d’Ascalon survint cinq ans après une humiliante défaite à Damas pour Baudoin III. Cette localité, dernière place forte musulmane échappant au contrôle des croisés, était ravitaillée par l’Égypte fatimide. Accompagné par les Templiers et les Hospitaliers, par ailleurs en conflits et rivaux, Baudoin III parvint à reprendre la ville après un siège de cinq mois alors que les évêques intervenaient pour dissuader l’armée franque d’envisager une retraite. Le clergé chrétien fut bien inspiré puisque les musulmans, contraints d’abandonner finalement la ville, vécurent un immense désastre en pertes humaines.

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Des grandes victoires à la chute de Saint-Jean d’Acre

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Ces soldats du Christ connurent de grandes victoires qui leur permirent en fait de s’installer sur les territoires de la Terre sainte et d’offrir aux barons croisés la fondation des États latins d’Orient. Parmi les grandes batailles entreprises par les Templiers et les Hospitaliers, Montgisard en 1177 et Arsouf en 1191 ont illustré un héroïsme et une foi sans précédent appuyés par un esprit de sacrifice, constaté au premier siège de Damiette en Égypte en 1218. Cependant les luttes d’influence entre Templiers et Hospitaliers n’ont guère facilité les relations entre les croisés et la cohésion des Francs sur la terre biblique. Véritable place forte au nord de la Terre sainte, Saint-Jean d’Acre constituait l’une des dernières places fortes des croisés. La ville qui tomba sous les assauts des mamelouks en 1291, marqua la chute des positions latines en Orient et la fin des croisades de la période médiévale.

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LA PUISSANCE DES TEMPLIERS A DÉROUTÉ LA MONARCHIE ET LE CLERGÉ

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Malgré la chute définitive des États chrétiens francs en Terre sainte et l’arrêt définitif des croisades après 1291, les Templiers demeuraient toujours puissants et jouissaient d’une autorité prestigieuse. L’Ordre prospéra grâce aux nombreux avantages consentis par le clergé et jouissait d’une redoutable autorité financière. Banquier et gardien de certains trésors royaux, l’Ordre fascinait et commençait même à susciter des jalousies, des manœuvres et la méfiance d’un pouvoir royal excédé par tant de prestige et d’éclat.

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Les Templiers, banquiers de l’Europe

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Les dons et les legs associés aux privilèges fiscaux encouragés au début de la création de l’Ordre, permirent aussi aux Templiers d’acquérir des fermes devenues des commanderies, réparties d’abord en Champagne, à l’origine du développement de l’institution. Puis ces commanderies commencèrent à jalonner la route des pèlerinages vers les lieux saints. Dotés d’une comptabilité fiable et rigoureuse, les Templiers étaient devenus de véritables banquiers qui géraient l’argent des puissants, des barons des croisades et même du pouvoir royal qui au départ mit toute sa confiance dans la sagesse et la fascination de l’Ordre. Les seigneurs et les monarques eux-mêmes empruntaient à l’Ordre et les papes n’hésitaient pas à faire assurer la protection des fonds et des trésors collectés en Europe vers Rome par les Templiers. En fait, l’essentiel des opérations financières liées au commerce avec l’Orient finit par passer par les mains expertes des opérateurs de l’Ordre. Cependant, les meilleures causes alimentaient souvent la nouvelle richesse templière comme la libération des chrétiens captifs. Hélas, dès lors que la Palestine fut définitivement perdue, les Templiers n’apparurent plus que comme des hommes d’argent qui en fait avaient échoué dans la protection franque de la Terre sainte.

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L’Ordre, une ombre sur le pouvoir royal

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Au fil du temps, donations, exonérations et privilèges divers, intérêts des prêts accordés et nombreuses acquisitions immobilières ont enrichi l’Ordre du temple. Ceux qui jalousaient et haïssaient les Templiers avaient tout intérêt à manœuvrer et intriguer contre l’institution. Le roi Philippe le Bel lui-même commença à prendre ombrage de la dimension et de la domination exceptionnelle des Templiers qui pouvaient apparaître désormais comme des intrigants capables de bouleverser l’organisation féodale et peut-être même de remettre en cause la monarchie capétienne.

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LA CHUTE DE L’ORDRE ET LE PROCÈS DES TEMPLIERS

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Irrité par l’hégémonie et l’emprise de l’Ordre, Philippe le Bel s’efforça dans un premier temps de domestiquer les Templiers en les associant au dessein du roi pour tenter plus tard de les dominer, et en essayant, en vain, d’en devenir le grand maître. Le roi et ses légistes se servirent alors beaucoup de l’opinion du peuple, lassé par la fortune et parfois les excès de certains membres arrogants de l’Ordre. En s’attaquant aux Templiers, Philippe le Bel pouvait aussi désormais envisager de s’emparer de leur richesse et ainsi remplir les caisses de l’État, bien qu’il ne récoltât somme toute qu’une fortune toute relative. Brutalement bannis, l’’arrestation des Templiers et leur procès devinrent alors inévitables. Désormais scellé, le destin de l’Ordre se jouera sur le bûcher.

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Accusations d’idolâtrie et calomnies diverses ont définitivement abattu les Templiers

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Les rumeurs de société secrète, parfaitement bien orchestrées, pouvaient ainsi rendre crédibles et plausibles toutes les calomnies contre l’Ordre. Les Templiers devinrent la cible du pouvoir royal et de ses relais qui alimentaient à leur tour toutes les rumeurs médisantes et infamantes comme l’idolâtrie, la sodomie et les profanations. Le 13 octobre 1307, soixante Templiers accompagnés de leur grand maître, Jacques de Molay, furent interpellés et jetés en prison sous l’inculpation d’hérésie. La torture fit le reste et les malheureux avouèrent ce que souhaitaient leurs bourreaux. Ému et ébranlé par de tels aveux, Clément V, premier pape installé à Avignon, à l’issue du bras de fer entre le pouvoir papal à Rome et Philippe le Bel, ordonna l’arrestation des Templiers dans leurs États respectifs puis se ravisa dans sa lecture des évènements et le doute sur leur authenticité. Devant les commissions ecclésiastiques, les Templiers se rétractèrent mais le pape Clément V ne put guère les soutenir avec conviction et force face à l’imperturbable et puissant roi de France Philippe le Bel, et se résolut même à dissoudre sous la pression du roi, l’Ordre des Templiers sans pour autant les condamner. Leurs biens furent pour une part transférés aux Hospitaliers, les éternels rivaux discrets.

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Le destin de l’Ordre scellé par le bûcher

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Les Templiers qui maintinrent leurs aveux purent être libérés après que le grand maître Jacques de Molay et Geoffroi de Chamay, responsable de la province de Normandie, aient péri sur le bûcher dressé au centre du parvis de Notre-Dame de Paris, le 13 mars 1314 au soir. Quelques heures auparavant, Ils avaient tous deux rendu furieux le roi de France en refusant de déclarer devant la foule le récit de leurs crimes, accusations qu’ils jugèrent courageusement absurdes, tout en soulignant la pureté, la justesse et la sainteté de l’institution. D’ailleurs, l’innocence de l’Ordre du temple est globalement admise par les historiens de nos jours.

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Le trésor de l’Ordre et la légende de la malédiction

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Les légendes survivent aux grands évènements et les Templiers n’y échappent pas, bien-sûr. Avant que les flammes eussent commencé à le lécher, Jacques de Molay lança son célèbre anathème « Clément, juge inique et cruel bourreau, je t’assigne à comparaître dans les quarante jours devant le tribunal de Dieu ! et toi aussi roi Philippe ! » Le pape Clément V et le roi Philippe le Bel disparurent la même année, respectivement le 20 avril et le 29 novembre 1314, ce qui alimenta la malédiction qui se développera surtout à partir du 16e siècle. S’agissant de la légende toujours véhiculée de nos jours du trésor des Templiers et des thèses parfois ésotériques pour les éternels chercheurs de trésors, il semble que la richesse des Templiers ne soit pour l’essentiel constituée que par les commanderies, c’est-à-dire un patrimoine immobilier, des reliques et des vestiges divers comme des archives. En effet, s’ils furent pourvoyeurs de fonds, ils dépensaient beaucoup d’argent pour la défense de la Terre sainte, en particulier dans les constructions de forteresses, la fourniture d’armes ou encore l’équipement des hommes, et il semble peu probable qu’ils aient pu amasser un trésor colossal.

Trop influents et trop puissants, les Templiers ne pouvaient échapper à leur destin. L’histoire nous a souvent montré que les sociétés parallèles, les institutions plus ou moins secrètes ou concurrentes, bref tous ceux qui se heurtaient au pouvoir établi ou simplement lui faisaient ombrage ne pouvaient qu’être broyés et éliminés. Ce fut le cas pour les Cathares, les protestants et d’autres. Les templiers sont parvenus à dominer l’Occident et ses rouages financiers au point d’affaiblir le prestige du roi. C’était trop pour Philippe le Bel qui a habilement manœuvré avec le soutien toutefois limité du pape, pour faire disparaître une menace potentielle sur l’équilibre monarchique et féodal du Moyen Âge.        

Philippe Estrade.

Philippe Estrade Auteur-conférencier

Pluton-Magazine/Paris 16eme/2021

Journaliste en début de carrière, Philippe Estrade a vite troqué sa plume pour un ordinateur et une trajectoire dans le privé et le milieu des entreprises où il exerça dans la prestation de service. Directeur Général de longues années, il acheva son parcours dans le milieu de l’handicap et des entreprises adaptées. Ses nombreux engagements à servir le conduisirent tout naturellement à la mairie de La Brède, la ville où naquit Montesquieu aux portes de Bordeaux. Auteur de « 21 Merveilles au 21ᵉ siècle » et de « Un dimanche, une église » il est un fin gourmet du voyage culturel et de l’art architectural conjugués à l’histoire des nations. Les anciennes civilisations et les cultures du monde constituent bien la ligne éditoriale de vie de ce conférencier « pèlerin de la connaissance et de l’ouverture aux autres » comme il se définit lui-même. Ce fin connaisseur des grands monuments issus du poids de l’histoire a posé son sac sur tous les continents

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