GRANDES CIVILISATIONS : PÉTRA A DOMINÉ DURANT DEUX SIÈCLES LES CARREFOURS DE L’ARABIE…

Philippe Estrade Auteur Conférencier

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Puissant sous l’Antiquité et stratégiquement placé au centre des voies caravanières qui reliaient l’Orient à l’Occident, le royaume nabatéen a dominé les routes commerçantes de l’Arabie avant que Rome ne l’eût soumis au dessein de l’Empire. Fabuleusement riche, Pétra a rayonné sur les territoires de l’Asie occidentale du 1er siècle avant J.-C. jusqu’au 2e siècle de notre ère, qui marqua la fin de son âge d’or. Pourtant, cet immense territoire désertique, plutôt inhospitalier, ne disposait pas de ressources. Mais c’est la traversée des longues caravanes chargées de produits exotiques de toutes sortes venant de l’Orient lointain qui a impulsé le prodigieux destin de Pétra. Peuple arabe d’origine nomade, les nabatéens ont bâti leur richesse en contrôlant le commerce caravanier qui transitait obligatoirement sur ses terres, en y fixant des droits de passage qui assurèrent ainsi la prospérité du royaume

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Image par fsHH de Pixabay

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LA PRISE DE DAMAS SIGNE LA DOMINATION DES NABATÉENS

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Le nom de Pétra, rocher en grec, a précisément été attribué par les Grecs, puis repris par le colon romain jusqu’à nos jours. En logeant leur capitale dans une vallée étroite et encaissée, protégée par de hautes falaises de roches rouges ou orangées selon la lumière, les Nabatéens l’ont longtemps protégée des convoitises et des ambitions politiques, jusqu’à l’arrivée des Romains qui l’annexèrent en 106 après J.-C. Originaire de la péninsule arabique, le peuple intrépide des Nabatéens se fixa dans cette région désertique, entre le Wadi Araba à l’ouest qui s’ouvre sur le Jourdain, la rivière biblique, le Sinaï et les déserts du sud dont le Wadi-Rum, immortalisé par Lawrence d’Arabie dans sa quête d’unification des tribus arabes contre l’occupant ottoman en 1917.

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L’émergence de la future puissance nabatéenne avec la chute de Damas

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La guerre civile à Rome entre 59 et 30 avant J.-C. contraignit le roi nabatéen Malichos 1er à prendre parti entre Marc Antoine, associé à Cléopâtre, qui contrôlait une partie des terres nabatéennes, et Octavien, futur Auguste, qui était parvenu à soumettre son rival. La diplomatie dès lors devint un art à Pétra, soucieuse de toujours choisir le bon parti et de préserver son rang, son autonomie et son prestige. Puis la paix revint à Rome et les Nabatéens se reconcentrèrent sur leurs activités de commerce de toujours et cessèrent d’être menacés et inquiétés. L’âge d’or de la région de Pétra s’est accéléré au 1er siècle avant J.-C. autour de 80 par l’annexion de la cité de Damas, alors rayonnante et très convoitée. Le roi Arétas III qui venait de la soumettre marqua son succès en faisant frapper à son effigie les premières pièces de monnaie nabatéenne en argent. À cette occasion, Arétas III prit le titre suprême de « Philhellène », c’est-à-dire l’ami du peuple grec, bien qu’il fût d’une ascendance barbare et donc étrangère à la civilisation raffinée grecque. S’imposer dans ce carrefour désertique, au centre du désert du Néguev à l’ouest et du désert du Wadi-Rum à l’est, n’avait pas présenté de difficultés majeures pour Arétas. En effet, les forces voisines n’opposèrent aucune menace sérieuse, notamment le territoire séleucide, une dynastie hellénistique, et le royaume de Judée affaibli par de permanentes querelles de succession.

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Une fascinante empreinte de prospérité et de raffinement

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Pétra devint très vite une ville cosmopolite subissant toutes les influences, gréco-romaine, méditerranéenne et bien au-delà, des lointaines civilisations orientales véhiculées par les commerçants et toutes sortes de voyageurs comme les pèlerins et les ambassadeurs. Le luxe de cette cité raffinée était fascinant pour tous ces aventuriers divers avides de cette insolente prospérité traduite notamment dans l’architecture nabatéenne parfois déroutante mais aussi dans les jardins florissants où la fraîcheur des nombreuses fontaines qui poussaient dans cette cité du désert comme autant d’oasis miraculeuses offrait de délicieux répits. Par ailleurs, la ville qui fut admirablement gérée, disposait de tous les outils d’une capitale sûre dotée de tribunaux pour résoudre tous les contentieux. La vie y était douce et les loisirs nombreux pour les visiteurs et les étrangers. Le cosmopolitisme culturel et religieux résultait de toutes les influences subies par les Nabatéens, aussi les temples pouvaient offrir à la fois les divinités nabatéennes historiques conjuguées aux panthéons de dieux gréco-romains ou ceux issus de contrées plus exotiques et lointaines.

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Le « péage des méharées »

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Cette région désertique qui a porté le nom de nabatéenne et où était parlé un dialecte de l’araméen, la langue du Christ, s’est enrichie par le contrôle des nombreuses méharées de commerçants qui y cheminaient et y transitaient obligatoirement puisque Pétra se situe précisément au carrefour des grandes voies de communication au Moyen-Orient. Située sur la route nord-sud du Sinaï et de la péninsule arabique à Damas et vers l’Asie Mineure, mais aussi sur la route ouest-est, de la Méditerranée à la Perse puis en Asie centrale et au-delà vers Xian en Chine et la fameuse route de la soie, Pétra fut la perle arabe du commerce international.  Prélevant en quelque sorte l’impôt au passage, le « péage des méharées », les Nabatéens se sont ainsi enrichis et sont devenus à leur tour d’habiles commerçants.

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ARÉTAS IV, LE GRAND SOUVERAIN NABATÉEN

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À partir des années 60 avant J.-C., Pétra devint un royaume indépendant, toutefois qualifié de « client de Rome » alors que Pompée parvenait à établir dans la région une province romaine de Syrie sur le territoire séleucide. Dans cette période, les échanges commerciaux connurent un essor considérable qui permit à la capitale nabatéenne de renforcer ses infrastructures déjà jugées comme remarquables et de se doter de nouveaux temples et de tombes creusés dans les parois de la montagne. Mais c’est sous le règne du grand souverain Arétas IV que Pétra atteignit un nouveau prestige, le zénith de son rayonnement et de son éclat politique et culturel en Arabie. Le royaume nabatéen s’étendait alors de Damas au nord à Hégra dans l’actuelle Arabie Saoudite.

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La période la plus fastueuse avec Arétas IV

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Le règne d’Arétas IV fut long et prestigieux, presque un demi-siècle, de l’an 9 avant J.-C. à 40 après J.-C. Le royaume atteignit son apogée géographique et culturelle sous son autorité, et le grand roi fut appelé « Ami du peuple », mention qui apparaissait sur les pièces de monnaie de la grande époque nabatéenne. La célébrissime Khazneh, un temple aux colonnes hellénistiques délicieuses et aux proportions exceptionnelles, identifié comme possible tombe d’Arétas IV, jaillit soudainement à la sortie du Siq, l’étroit défilé de Pétra. Les travaux d’ingénierie n’étaient pas en reste dans la prestigieuse cité pour laquelle l’absence de précipitations ne fut pas un obstacle au développement. Bien que ceinturée par les déserts et totalement enclavée entre des falaises rougies et esseulées, Pétra disposait d’un système très élaboré de récupération des eaux dont le ruissellement pouvait être fougueux lors des violents orages. Alors la distribution vers les fontaines de la ville et les temples n’était qu’une formalité. Deux petits aqueducs à hauteur d’homme, taillés dans le rocher, couraient le long des parois du Siq et acheminaient l’eau provenant aussi des sources de la région.

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Une architecture religieuse et civile comme nulle part ailleurs

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Ici, à Pétra, les morts et les vivants se côtoyaient car les tombeaux creusés dans les parois jouxtaient les habitations de la vallée. Une grande allée à colonnades séparait les bâtiments officiels et les nombreux temples dès la sortie du Siq, l’étroit défilé de Pétra. Chaque période de l’histoire nabatéenne a été propice à l’édification de temples, de bâtiments civils et de tombes creusés dans le grès rouge de la montagne, et le règne d’Arétas IV fut exceptionnel aussi de ce point de vue.

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La fin de l’âge d’or de Pétra

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Après la mort d’Arétas IV et jusqu’aux derniers règnes des rois nabatéens, la prospérité de Pétra ne déclina pas, et le tout dernier souverain Rabbel II se fit même appelé « celui qui donne vie et prospérité à son peuple ». Les ambitions de la puissante Rome firent cependant fi du statut particulier et indépendant du royaume commerçant nabatéen, et en 106 après J.-C., Trajan annexa d’autorité les possessions nabatéennes, signant ainsi la fin de l’âge d’or de Pétra. Le royaume nabatéen devint ainsi la province romaine d’Arabie en continuant tout de même de perpétrer l’image impérissable de la ville, de son luxe et de sa grandeur. La chronique précise qu’un légionnaire romain qui avait participé à la conquête de la cité, annonça à sa mère dans un courrier qu’il allait lui faire parvenir un cadeau issu des nombreuses merveilles qui jonchent les marchés de la ville, parfums, perles ou soies de luxe…

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UNE CITÉ IMMENSÉMENT PROSPÈRE À L’ABRI DE LA MONTAGNE

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C’est habillé en arabe et en adoptant les coutumes orientales que l’explorateur suisse Johann Ludwig Burckhardt pénétra dans cette vallée écrasée de montagnes de grès qui varie du rouge au rose selon l’heure de la journée, le 22 août 1812. Il fut frappé par la déroutante beauté du site et le spectacle de centaines de tombes creusées dans les parois. L’arrivée à Pétra par le Siq, le célébrissime défilé sinueux de deux kilomètres qui se fraye un chemin entre les gigantesques falaises de grès rougi, est un enchantement pour le visiteur, un fantastique chaos minéral. En effet,Isolée dans son désert et ses massifs arides qui furent son écrin et sa protection, et qui la maintinrent dans un état de conservation remarquable après deux mille ans, Pétra se trouve dans l’affaissement du Grand Rift qui s’étend de l’Afrique de l’Est jusqu’au massif du Taurus en Asie Mineure. Cet immense accident sismique et géologique a fait aussi de la cité aux parois par endroit bleutées, une référence minérale exceptionnelle. Pétra, c’est bien le voyage d’une vie. À la sortie du Siq, ce corridor rocheux et désolé formé par un déplacement sismique qui coupa la montagne en deux, l’éblouissante Khazneh jaillit, creusée et encastrée dans la roche, ce qui lui a finalement épargné les fléaux de l’érosion. La Khazneh, c’est bien l’icône de Pétra, temple hellénistique taillé dans la falaise rouge. Mais les monuments sont nombreux dans la ville : tombeaux divers dont celui des obélisques, bétyles ou la façon originale de représenter les dieux sur une pierre, mausolées rupestres sous forme de fosses ou creusés dans les parois offrant une entrée dite « en arc » ou de type « temple ». Puis le Deir, encore appelé le « Monastère » creusé dans la montagne sur les hauteurs de la ville, le Tombeau-Palais et enfin les vestiges romains, dont le Grand théâtre, constituent également les lieux incontournables de cette prodigieuse adresse de l’histoire antique. La vallée de Pétra présente des parois épuisées par la morsure d’un soleil implacable, creusées d’immenses tombeaux royaux corinthiens à divers étages et de dizaines de sépultures troglodytes d’influence architecturale funéraire assyrienne ou égyptienne qui jouxtent les bétyles, stèles représentant les divinités du panthéon nabatéen.

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Au bout du défilé, la récompense avec l’éblouissante Khazneh

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Pétra est un site d’une extraordinaire magie, baigné par des couleurs qui varient du rouge à l’orangé et au jaune, le tout imprégné de teintes bleutées qui zigzaguent dans la roche érodée. Thomas Edouard Lawrence en personne, « Lawrence d’Arabie », était lui-même tombé sous le charme enchanteur de la cité nabatéenne, assurant que nulle part au monde, il avait trouvé un lieu aussi spectaculaire et étourdissant. Pour parvenir au temple de la Khazneh et pénétrer dans la cité, il faut donc emprunter le Siq, cet étroit et somptueux couloir minéral de deux kilomètres qui chemine avec paresse à travers la montagne désolée, jaunâtre et parfois rose selon l’heure de la journée et la complicité du soleil. La Khazneh que l’on traduira par « trésor des Pharaons » en raison d’une tenace légende qui l’accompagne depuis la nuit des temps où un puissant pharaon aurait fait édifier ce temple pour abriter ses richesses, fut creusée dans la paroi probablement sous le règne du grand Arétas III vers 70 avant J.-C. ou peut-être dans la première moitié du 1er siècle dans la période du grand souverain Arétas IV. Mais le « trésor des Pharaons » est bien une légende tenace qui accompagne le temple depuis la nuit des temps. D’inspiration hellénistique, il présente une façade à deux étages de quarante mètres, fixée par six gracieuses colonnes à chapiteaux corinthiens formant un délicieux péristyle et offre des sculptures de lions, d’amazones et de divinités nabatéennes.

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Tombeaux royaux et temple du Deir

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Le tombeau aux Obélisques doté de quatre obélisques qui ornent sa façade est le tout premier monument majeur que le visiteur peut découvrir en cheminant dans le surréaliste défilé du Siq, mais ce sont les mausolées rupestres dans la cité même qui frappent par leur grandeur et la beauté de leurs façades dont les sculptures sont toujours soulignées dans la roche friable. Si les citoyens ordinaires étaient enterrés dans de simples tombes creusées dans la roche, l’aristocratie et les marchands aisés disposaient de tombes aux façades richement sculptées qui contrastaient par ailleurs avec l’austérité des pièces intérieures. En revanche, le Tombeau-Palais est un monument qui rappelle un immeuble de plusieurs étages. Il ressemble à s’y méprendre aux résidences des rois grecs, et en tout état de cause, il constitue le complexe funéraire le plus impressionnant des tombeaux royaux. Enfin, s’affranchir d’un dénivelé pas trop sévère à travers la montagne conduit au Deir, « le Monastère », l’un des plus remarquables édifices de Pétra, du haut duquel une vue étourdissante embrasse le désert et le Wadi Araba meurtri par la rudesse du climat. Creusé dans la paroi de la montagne sur une quinzaine de mètres, ce qui l’a protégé de l’érosion, le Deir est un temple probablement dédié au culte du roi nabatéen divinisé Obodas. En effet, une inscription, qualifiant Obodas apparaît tout près du colossal bâtiment. Le style architectural du Deir rappelle la Khazneh, et bien que moins raffiné et plus sobre, il présente tout de même de délicieuses proportions hellénistiques avec ses colonnes ioniques massives et une tholos surmontée d’une urne monumentale de neuf mètres ainsi que d’une frise raffinée.

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Le nabatéen, dialecte de l’araméen

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Le nabatéen fut une variante de l’araméen, la langue véhiculaire des empires voisins, assyriens, néo-babyloniens notamment et d’une manière générale de l’ensemble des civilisations du Proche-Orient. Le tombeau de Turcoman est un chef-d’œuvre de ce point de vue, car il supporte l’une des rares inscriptions en nabatéen retrouvées sur le site tout comme le socle de la déesse de Hayvan dans le temple des Lions. En s’écrivant sous une forme normale et une autre oblique, qui elle s’est finalement imposée dans l’alphabet de Pétra, l’écriture nabatéenne a préfiguré la future langue arabe archaïque.

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Pétra, c’est un choc minéral qui fusionne avec le choc de l’histoire. Il s’agit bien là de l’une des premières adresses culturelles mondiales, à l’évidence au tout premier rang des plus belles merveilles du monde. Pétra qui se confond avec un environnement époustouflant conjugue avec subtilité et raffinement une dimension minérale chaotique à couper le souffle avec l’architecture antique.

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Philippe Estrade

Philippe Estrade Auteur-conférencier

Pluton-Magazine/Paris 16eme/2021

Image couverture par ChiemSeherin de Pixabay

Journaliste en début de carrière, Philippe Estrade a vite troqué sa plume pour un ordinateur et une trajectoire dans le privé et le milieu des entreprises où il exerça dans la prestation de service. Directeur Général de longues années, il acheva son parcours dans le milieu de l’handicap et des entreprises adaptées. Ses nombreux engagements à servir le conduisirent tout naturellement à la mairie de La Brède, la ville où naquit Montesquieu aux portes de Bordeaux. Auteur de « 21 Merveilles au 21ème siècle » et de « Un dimanche, une église » il est un fin gourmet du voyage culturel et de l’art architectural conjugués à l’histoire des nations. Les anciennes civilisations et les cultures du monde constituent bien la ligne éditoriale de vie de ce conférencier « pèlerin de la connaissance et de l’ouverture aux autres » comme il se définit lui-même. Ce fin connaisseur des grands monuments issus du poids de l’histoire a posé son sac sur tous les continents

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