GRANDES CIVILISATIONS : UNION EUROPÉENNE : DES GUERRES PERMANENTES À L’ESPACE DE PAIX ASSURÉ DEPUIS PRESQUE SOIXANTE-DIX ANS…

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Par Philippe Estrade Auteur-conférencier

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Par le redoutable jeu des alliances, notre vieux continent n’a jamais cessé de se déchirer dans l’Histoire. Mais déjà à l’origine, dès la fin du nomadisme, les conflits entre voisins ont déchiré tous les peuples où qu’ils se trouvent sur la planète, et les Européens comme les autres n’ont pas échappé à ce destin. Le jeu des frontières installées après le partage de l’empire de Charlemagne et les ambitions des uns et des autres ont aussi accéléré des guerres particulièrement meurtrières depuis mille ans. Enfin, après le terrible chaos de la Seconde Guerre mondiale, les hommes effondrés et épuisés sont enfin devenus peut-être plus sages et ont réfléchi à la mise en place d’un espace européen définitivement pacifié. Aujourd’hui, depuis désormais presque soixante-dix ans, notre vieux continent a trouvé un véritable enjeu de paix, un équilibre et une vitesse de croisière civilisationnelle de bon sens, de sagesse sous l’impulsion de l’Union européenne.

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PLUS DE MILLE ANS DE GUERRES EN EUROPE

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Les hommes sont ainsi fabriqués, ils ont évolué dans l’Histoire par la recherche d’un meilleur confort, lié à la conquête de terres nouvelles et d’espaces propices à leur installation et au développement de leur ethnie puis plus tard de leur civilisation. En fixant des frontières, ils ont établi malgré eux le rite du viol de l’espace de l’autre et donc de la guerre et des rivalités. Les frontières pour les séparer se sont appuyées le plus souvent sur les espaces naturels, massifs, rivières et fleuves. D’ailleurs, l’étymologie de rivalité puise aussi son origine sur le mot rive, c’est-à-dire rive du fleuve ou de la rivière, par définition une frontière naturelle.

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Des conflits majeurs apparaissent avec les premières dynasties monarchiques

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Bien avant les conflits francs, les querelles de voisinage ont toujours existé entre les tribus celtes ou gauloises selon l’appellation appliquée par l’occupant romain. À partir du 5e siècle après J.-C., les rois d’Austrasie, de Neustrie et de Bourgogne notamment s’affrontèrent régulièrement dans des guerres qui résultaient souvent du partage de territoires à la mort des souverains ou simplement de conflits entre les hommes, portés par des ambitions de contrôle de ce vaste espace franc de l’Europe de l’Ouest. Avec le nouveau dessein des nations porté désormais par des frontières issues du partage de l’empire de Charlemagne, la redoutable machine de l’affrontement entre États prit une nouvelle dimension et devint un véritable mécanisme de guerre. En Europe, et partout dans le monde, la guerre se fait d’abord avec son voisin immédiat.

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Le Moyen Âge marque l’arrivée des guerres mieux organisées et plus meurtrières

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Avec la mise en place de frontières et l’arrivée d’armes nouvelles et plus performantes, cette période de notre histoire inscrit la guerre dans les gènes, un état permanent de querelles entres les États. Le roi Philippe II, dit Philippe-Auguste, plaça le royaume de France au cœur du continent européen et en fit la puissance désormais incontournable dans l’Histoire, grâce notamment à sa victoire à Bouvines en 1214 contre déjà une alliance internationale opposée aux ambitions françaises, formée par les Flamands, l’empereur germanique et un contingent anglo-normand. La guerre de Cent Ans qui opposera Français du continent, les Capétiens, et Français d’outre-Manche, les Plantagenêt, a parfaitement illustré ces querelles de voisinage en déchirant ces deux nations très proches depuis l’installation des Français sur le trône d’Angleterre avec Guillaume le Conquérant à partir de 1066

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Angleterre, Espagne, Portugal, Prusse, Autriche, toutes les nations se sont affrontées pour dominer à tour de rôle

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À tour de rôle, les nations devinrent des puissances locales ou majeures sur le vieux continent. Si la France et l’Angleterre parvinrent à s’établir au sommet des puissances européennes de manière permanente depuis le Moyen Âge, d’autres États majeurs s’imposèrent à leur tour dans des périodes propices dans l’Histoire, comme les Espagnols ou les Portugais portés les premiers par leurs empires coloniaux, puis plus tard au cœur de l’Europe alpine et centrale avec l’ambitieuse Autriche. Par le jeu des alliances établies dans l’intérêt des uns et des autres, et souvent dans le but d’affaiblir ou de limiter la puissance d’une nation émergente, la guerre fut en permanence le dénominateur commun. Français et Anglais se sont affrontés « à perpétuité » dans l’Histoire, d’abord pour contrôler le vieux continent dans ses alliances, et enfin sur des théâtres de guerre extérieurs à l’Europe dans une compétition mondiale de la conquête coloniale. De ce point de vue, les conflits perpétuels et incessants entre les royaumes de France et d’Angleterre peuvent en effet être qualifiés de « guerre de mille ans » plutôt que de guerre de Cent Ans.

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Le choc et l’écœurement liés aux deux dernières guerres mondiales

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L’alliance stratégique entre Anglais et Français, les enfants terribles de l’Europe, a fini par se dessiner à la fin du 19e siècle face à une Prusse dominatrice et ambitieuse qui devint alors une cible commune pour les deux puissances historiques. Dès lors, les belligérances permanentes entre les « deux grands » disparurent au profit de la future « Entente cordiale » signée en 1904, qui allait enfin sceller définitivement la paix dans ce 20e siècle chaotique et meurtrier face à une Allemagne nationaliste et hégémonique. Véritable cataclysme pour les valeurs humaines et la démocratie, la Seconde Guerre mondiale a plongé l’Europe et le monde dans un abîme monstrueux et apocalyptique. Les hommes ont alors mesuré le degré de monstruosité que pouvaient générer les conflits à l’échelle mondiale. Comme ce fut le cas pour la SDN, la Société des Nations fondée au lendemain de la Première Guerre mondiale, l’ONU, l’Organisation des Nations Unies, naquit pendant la Seconde Guerre mondiale pour vitaliser une paix durable. Bien que l’ONU eût permis d’envisager un monde meilleur et pacifié, avec la mission fondamentale de neutraliser en amont par la discussion et la diplomatie les potentiels conflits entre les États, les Européens décidèrent d’impulser sur le vieux continent un nouvel espace de fraternité entre les hommes, inspiré dans un premier temps par une union économique.

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LA NAISSANCE D’UNE PREMIÈRE EUROPE BASÉE SUR DES ACCORDS ÉCONOMIQUES

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L’idée d’un espace de stabilité et de paix se répandit en Europe après la Seconde Guerre mondiale. Jean Monnet, l’un des principaux promoteurs de la Société des Nations, devint après la Seconde Guerre mondiale un vibrant partisan d’une Europe pacifiée par le rapprochement franco-allemand, puis par la création d’une première union sur le continent, économique dans un premier temps. Il devint alors le tout premier président de la Haute Autorité chargée d’administrer la première union entre les États européens, la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier, la CECA mise en place en 1951 par le traité de Paris, qui conduira inévitablement à un projet plus ambitieux encore, la Communauté économique européenne. Plusieurs personnalités sont associées à cet élan que prendra l’Europe, un groupe de sept promoteurs des traités qui ont bâti les fondations de la future « maison Europe ». Outre Jean Monnet et Robert Schuman, les Français, Konrad Adenauer pour l’Allemagne de l’Ouest s’impliqua sans réserve avec ses collègues français pour assurer la création d’une première Europe basée sur des accords économiques, future étape d’une ambition plus politique encore. Le Néerlandais Beyen, le Luxembourgeois Bech, le Belge Spaak et l’Italien De Gasperi ont constitué les personnalités qui complètent la photo de famille de cet immense projet de coopération et de paix en Europe, impulsé par ce que l’on appellera désormais le « couple franco-allemand ».

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La CEE, première intégration économique entre États européens

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Six nations européennes lancèrent la grande aventure de l’union à partir de 1957, l’Allemagne de l’ouest, la France, l’Italie, les Pays-Bas, la Belgique et le Luxembourg dans ce que l’on appellera le marché commun. Outre l’intérêt collectif de régulation économique, chacun comprit alors que le marché commun pouvait développer et pérenniser la paix sur ce continent déchiré depuis toujours. C’est en 1967 que la grande aventure européenne s’accéléra avec le traité de fusion de la CECA et de l’Euratom, désormais immergées au sein de la CEE, la Communauté économique européenne. Bien que De Gaulle utilisât dans un premier temps son droit de veto pour bloquer l’accès de l’Angleterre, se méfiant du Royaume-Uni comme de l’œil américain dans l’union, trois États intégrèrent l’institution européenne le 1er janvier 1973, l’Angleterre précisément, le Danemark et l’Irlande, alors que le veto fut levé par le nouveau président français Georges Pompidou. Le traité de Rome spécifiant que le Parlement européen devait faire l’objet d’une élection au suffrage universel, ce n’est qu’en 1976 que se tinrent les élections des députés européens dans tous les États membres. Le Parlement de l’Union proposa d’adopter le drapeau et l’hymne européen, ce qui fut validé par le Conseil européen en 1984.

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Les élargissements successifs vers l’Europe du Sud

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Après qu’elle eut restauré la démocratie, la Grèce intégra le concert européen en 1981. Le schéma d’adhésion et d’intégration fut le même pour l’Europe du Sud occidentale avec l’Espagne et le Portugal qui déposèrent à leur tour une demande d’adhésion en 1977. Après que furent constatés la solidité et la permanence d’un système démocratique dans ces deux États qui avaient également mis fin à leurs dictatures respectives, l’Espagne et le Portugal purent enfin siéger au sein de ce qui deviendra plus tard avec les traités de Maastricht en 1992 et Lisbonne en 2007, l’Union européenne. Les rapides progrès économiques et sociaux de la péninsule ibérique furent saisissants. La Turquie n’a pas manqué de déposer une demande d’adhésion en 1987 mais depuis 35 ans, ce dossier épineux est devenu un serpent de mer et pour certains une bombe à retardement. Les raisons objectives d’un rejet sont nombreuses. La première et la plus fondamentale car elle écarte de facto les autres raisons civilisationnelles mises en relief, c’est que la Turquie n’est géographiquement pas en Europe. La Turquie est un État d’Asie occidentale que les Anciens appelaient l’Asie Mineure, malgré les 3 % de son territoire situés dans les Balkans et issus de l’ancien empire ottoman. En effet, l’Union européenne ne peut pas se contenter d’être un marché économique et financier ouvert car dans cette hypothèse, il n’y aurait aucune raison que le Maroc par exemple ne fasse pas une demande d’adhésion…

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La chute du mur de Berlin ouvre l’Europe vers l’est

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Date majeure dans l’Histoire, le 9 novembre 1989 a permis à l’Europe de l’Est de s’ouvrir progressivement à la démocratie après la chute du mur de Berlin, symbole du joug et de la dictature communistes imposés par la Russie en 1945. Très vite, ces nouveaux États indépendants ont orienté leurs regards vers l’Europe de l’Ouest et la liberté politique, et l’Union n’a pas raté l’occasion de les arrimer à son grand projet européen. Depuis, la Pologne, la Hongrie, l’est de l’Allemagne désormais unifiée avec l’Allemagne de l’Ouest depuis 1990, la Bulgarie, la Croatie, l’Estonie, la Lituanie, la Lettonie, la république Tchèque, la Roumanie, la Slovaquie et la Slovénie complètent l’Union et l’équilibrent géographiquement à l’est, comme cela fut le cas plus tôt par le rééquilibrage méditerranéen avec la Grèce d’abord, puis avec l’Espagne et le Portugal, pour faire aujourd’hui un espace européen à 27 membres.

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Les institutions de l’Union aujourd’hui

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Trois institutions majeures animent l’Europe de nos jours. D’abord le Conseil de l’Union européenne qui défend les intérêts des nations et qui est représenté par les chefs d’État et de gouvernement. La Commission européenne, elle, travaille sur les intérêts généraux de l’Union alors que le Parlement européen illustre la voix des citoyens européens. C’est cette trilogie d’assemblées qui fait vivre l’Europe au quotidien par les directives et les lois qui s’appliquent à tous les membres. Enfin la Cour de justice de l’Union européenne veille au respect du droit dans l’application et l’interprétation des traités par les États membres.

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L’Union européenne, première puissance économique mondiale

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On ne le mesure pas encore assez, mais l’alliance de toutes ces nations européennes fait de l’Union la première puissance économique du monde, la seconde selon d’autres   sources, surtout alimentée par les économies des grandes nations, derrière les États-Unis mais devant la Chine et le Japon. Avec un PIB (produit intérieur brut) qui représente presque 18 % de la richesse mondiale, l’économie européenne est surtout dynamisée par les puissances historiques, Allemagne, France ou encore Italie, respectivement 4e, 5e et 8e puissances économiques mondiales. Avec sa politique de solidarité et d’aide aux pays européens faiblement industrialisés, l’Union a permis à des nations comme le Portugal ou la Grèce mais plus récemment aux Européens de l’est de se hisser à un niveau qui désormais n’a plus grand-chose à envier aux grands États fondateurs historiques.

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QUELLE EUROPE POUR DEMAIN?

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L’Union européenne n’a pas cessé de grandir, et l’arrivée de la monnaie unique fut en 2002 un ciment et une valeur ajoutée incontournables. La question fondamentale que les Européens devront désormais se poser oriente vers le modèle à définir dans les décennies à venir. Un fédéralisme à l’américaine avec une autorité centrale dépositaire de tous les pouvoirs régaliens ? Une Europe des nations unies, comme le modèle que nous connaissons aujourd’hui, qui a accepté toutefois de renoncer à certaines compétences nationales pour les mettre en commun mais qui souhaite conserver la maîtrise de son destin intérieur ?

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L’Euro pour renforcer le destin européen

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Outre la standardisation financière et les intérêts économiques de l’Union, l’arrivée de la monnaie unique le 1er janvier 2002 fut un immense pas vers un nouvel espace dans la solidarité et la solidité du vieux continent. À l’évidence, adopter une monnaie unique traduit la volonté d’inspirer l’espace européen par une régulation financière commune mais surtout renforce le symbole du rapprochement encore plus fort entre les Européens. Sur les 27 membres, aujourd’hui, 19 États accompagnés de certaines petites nations comme Andorre, Monaco en encore le Vatican utilisent également l’euro sans être membres de l’Union.

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La paix inscrite désormais dans « l’ADN européen »

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Il s’agit bien là du premier et immense succès de l’Union, la paix permanente, une valeur désormais inscrite dans « l’ADN du continent ». Jean Monnet avait compris le premier que les alliances économiques encourageant le lancement du grand projet européen après-guerre constitueraient aussi le vecteur de la recherche de la paix permanente du vieux continent, entre nations membres, trop souvent déchirées et épuisées par les guerres dans l’Histoire. L’espace européen de paix entre les hommes de même nature, de même culture et de même civilisation est désormais inéluctable pour peu que les Européens demeurent vigilants face aux nationalismes et au repli sur soi. Pour éviter ces nouveaux pièges, l’Europe doit s’arrimer dans un projet encore plus ambitieux, civilisationnel, ouvert et tolérant en évitant absolument de faire de l’Europe uniquement un vaste espace de la finance et des prédateurs de tous poils.  

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À la relecture de mon texte, le conflit russo-ukrainien s’est invité sur la scène européenne. Il ne remet pas en cause la stabilité et la paix depuis soixante-dix ans sur le vieux continent. Le succès de la construction européenne a surpris le monde entier. Au premier rang, les États-Unis qui ont longtemps œuvré et souvent même torpillé l’ambition de l’Union, en la divisant pour en limiter ses ambitions et ne pas perdre ainsi son influence sur le vieux continent. De ce point de vue, l’OTAN qui par ailleurs a perdu sa finalité historique face au Pacte de Varsovie aujourd’hui disparu, constitue toujours un frein, un outil de contrôle empêchant l’ambition européenne de s’émanciper du parapluie américain, pour peu que cette aspiration existe. Il faudra tôt au tard que l’Union s’émancipe par la création d’une armée digne de ce nom et de nouvelles alliances géostratégiques sans tourner le dos naturellement aux États-Unis, allié historique. Mais c’était sans compter sur la détermination de ce peuple européen de l’Union qui désormais avance dans la paix, voulue permanente et inébranlable. Le dessein européen se poursuit pour l’Europe, avec intelligence et détermination.

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Philippe Estrade

Philippe Estrade Auteur-conférencie

Pluton-Magazine/Paris 16eme/2022

Journaliste en début de carrière, Philippe Estrade a vite troqué sa plume pour un ordinateur et une trajectoire dans le privé et le milieu des entreprises où il exerça dans la prestation de service. Directeur Général de longues années, il acheva son parcours dans le milieu de l’handicap et des entreprises adaptées. Ses nombreux engagements à servir le conduisirent tout naturellement à la mairie de La Brède, la ville où naquit Montesquieu aux portes de Bordeaux. Auteur de « 21 Merveilles au 21ème siècle » et de « Un dimanche, une église » il est un fin gourmet du voyage culturel et de l’art architectural conjugués à l’histoire des nations. Les anciennes civilisations et les cultures du monde constituent bien la ligne éditoriale de vie de ce conférencier « pèlerin de la connaissance et de l’ouverture aux autres » comme il se définit lui-même. Ce fin connaisseur des grands monuments issus du poids de l’histoire a posé son sac sur tous les continents.

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