La collapsologie : un nouveau mythe ?

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Par Georges Cocks

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Comment peut-on croire qu’un effondrement de la civilisation est possible après les pas de géant que le monde a déjà faits depuis la révolution industrielle ? Nous ne cessons chaque jour de repousser nos limites et les choses qui paraissaient si difficiles sont d’une simplicité absolue même si derrière tout cela nous n’en maîtrisons pas les rouages. C’est peut-être un des facteurs parmi tant d’autres, et dont les experts pensent qu’il nous poussera vers le bord du précipice.

Ce nouveau courant de pensée, jeune de quelques dizaines d’années, vient se heurter à la nouvelle croyance universelle qui fait des adeptes par millions dans le monde. La croyance en la croissance infinie, la robotisation jusqu’à l’échelle humaine, l’I.A, la science salvatrice, et un futur qui saurait nous tirer de chaque trépas, grâce à des algorithmes et des ordinateurs super intelligents… cette croyance multiple est devenue l’éducation progressive de chaque génération. Nous sommes passés de la génération 1.0 à celle pour laquelle la valeur technique semble évoluer chaque jour.

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Les signes

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Avant chaque évènement majeur il y a des signes avant-coureurs. C’est le modèle même de la nature de prévenir. En dehors de toute phase d’alerte et de prévention, les dommages peuvent être irréversibles voire catastrophiques pour les espèces vivantes confrontées à ce phénomène. Or, aujourd’hui, les discours sur l’effondrement sont vus comme des annonces prophétiques par des disciples égarés, des charlatans qui veulent simplement pousser les gens à vivre une vie minable en leur faisant peur avec une fin du monde telle que la prédisent certaines religions. Le constat est que les signes d’un dérèglement dans la machine sont bien perceptibles. Les conséquences du dérèglement climatique en sont un. Bizarrement, tout le monde est d’accord là-dessus et même des sommets annuels y sont dédiés. Ces réunions sont dirigées par les représentants des pays industrialisés mais aucun d’eux n’a de ministère qui œuvre contre l’inéluctabilité qui est en train de se produire. Nous sommes face à un problème de consommation des ressources de la planète, qui entraîne le déclin de tout, car ces énergies sont dites renouvelables mais elles ne le sont pas à la vitesse à laquelle nous les extrayons. Les ministères de la transition écologique ne peuvent s’opérer sans avoir recours à ces matières premières. Nous tournons pour ainsi dire la roue d’un hamster dans sa cage en façonnant et en aveuglant l’esprit des individus pour minimiser l’impact de ces conséquences sur la vie de leur voisin dans le monde. La désertification qui entraîne la rareté des pluies, la famine dans certaines parties du globe qu’on met sous perfusion d’aide alimentaire nous égarent-ils à ce point au sujet du drame qui se passe ? La montée de la mer et son lot de refugiés climatiques, de terres devenues de véritables marais salants où plus rien ne pousse en réduisant l’équilibre alimentaire sont de vrais fléaux sans compter les autres phénomènes climatiques devenus plus fréquents et plus virulents.

La sonnette d’alarme est toujours tirée par quelqu’un d’extérieur au gouvernement, qui n’a pas les moyens de changer les choses. Si les gouvernements voulaient vraiment changer la donne un vrai ministère pourrait ainsi être créé mais le problème est la course que l’on ne veut pas arrêter : la croissance, celle qui mesure l’état de santé du pays, qui le hisse ou le tire vers le bas dans le classement mondial. La compétition mondiale est dans un jeu incessant de court et de moyen terme pour des résultats instantanés.

Instrumentaliser les consciences au point de les rendre insensibles à leur triste sort est un suicide collectif qui est sur le point de se produire. Si vous n’avez plus d’eau, comment espérez-vous maintenir vos plants en vie, alors comment continuer à croître à l’infini dans un monde où la ressource a ses limites ? Tout le monde comprend et sait que ce n’est pas possible mais mettre la tête dans le sable chaud semble sans douleur.

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Le prix de la décroissance

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Faut-il arrêter la croissance ? La réponse est non si on n’est pas convaincu et qu’on ne sait pas pourquoi il ne faut pas la continuer. Les enjeux de la croissance n’ont rien à voir avec la survie de l’espèce humaine. Le profit et le gaspillage sont le résultat de la surconsommation des ressources planétaires. Chaque année, nous nous endettons. En 2021, soit en 7 mois, l’humanité a dépensé l’ensemble des ressources que la Terre peut régénérer en un an. Cette date fatidique est appelée « jour du dépassement de la Terre ».  Nous sommes tous entraînés dans la courbe ascendante de cette consommation à outrance. La population mondiale a augmenté en entraînant l’augmentation de la production de la nourriture, de logements, de vêtements et des biens de consommation et de loisirs, tous dépendants de l’énergie fossile et des minerais. Pour prendre un exemple simple : pour qu’une poule ponde juste un œuf, ce sont des tonnes de minerais qui sont extraits du sol (fabrication de la machine qui procède à l’extraction, camions, outil, la ferme…) et de l’énergie (fossile : charbon ou pétrole…) utilisée pour faire fonctionner ces usines et machines jusqu’à l’équipement de la ferme d’élevage.

Arrêter la croissance entraînerait un effondrement économique. Chômages, révoltes, émeutes… engendreraient un effondrement de la civilisation. Dans tous les cas, il y aura toujours un effondrement. Alors, faut-il attendre un effondrement naturel insensé provoqué par la force des choses ou convient-il de l’anticiper et de mieux s’y préparer et s’y adapter ?

Si on arrêtait tout, comment expliquer à toutes ces personnes qu’on leur a vendu du rêve ? Que travailler dur, aller à l’école avait un but : prospérer et aujourd’hui on leur demanderait de rétrograder. Cette vision n’était pas la bonne car elle était source d’inégalités, et était déjà responsable de l’effondrement de la classe sociale.

La croissance nous a propulsés hors des limites de notre temps. Nous ne savons plus nous arrêter. Nous n’avons plus de freins, et nos échecs n’ont pas mis un terme mais au contraire plus d’ardeur à notre soif d’expansion. Or, nos limites étaient nos garants pour notre survie.

Nous ne savons pas faire grand-chose sans notre énergie. Notre créativité et notre inventivité ont été atrophiées, si bien que sans notre élite d’inventeurs et de scientifiques nous sommes voués à l’échec. Nous ne savons pas vivre ni nous défendre en milieu hostile. Les survivalistes sont considérés comme des héros, pourtant en chacun de nous existe ce brin que les industriels ne cessent de nous voler chaque jour, chaque fois que nous plébiscitons leurs gadgets et que nous les autorisons à supplanter notre intelligence.

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Possible mais…

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Qui est prêt à oublier la salle de gym définitivement, le théâtre, le restaurant, le voyage, le cinéma… ? La pandémie a prouvé que nous en étions capables. Quand nous sommes face à un cataclysme, l’homme étonnamment sait reprendre son instinct de survie au profit des banalités de la vie. Il sait les bienfaits de l’entraide, il en a les capacités et aucune machine ne pourra le remplacer dans ce rôle. Pablo Servigne dans un puissant documentaire choc, Une fois que tu le sais, montre que l’urgence d’agir est non pas ce demain lointain qui n’arrive jamais mais c’est demain matin qu’il faut agir. Ce titre veut dire «  maintenant que tu as pris conscience, que tu sais où nous allons, que fais-tu ? Vas-tu agir ou rester les bras croisés ? » Il ne s’agit pas de  partir chacun de son côté en mode survivor comme un trappeur au fin fond de l’Alaska, non !

C’est collectivement qu’il faudra faire les choses. Prendre tous les hommes par la main et les réunifier dans le même but en créant un modèle sans la technologie telle que nous la connaissons aujourd’hui.

Nous pouvons vivre des siècles avec tout ce que nous avons déjà inventé. Une grande pause ferait du bien à tout le monde. Certains obstacles économiques majeurs ne sont que des chiffres et des calculs qui régissent un système en perdition. Nous pouvons de façon plus intelligente donner de la contrevaleur à ces données et remettre l’avenir et la survie au centre. Nous sommes dans une ruche et notre travail pour la reine ne sert aucun intérêt biologique. Nous sommes une grande armée de destructeurs aveugles, assoiffés de désirs insatiables, égoïstes, dont l’abandon n’aurait comme seul danger de nous sortir de notre zone de confort.

Il y a toujours une fin à tout et un recommencement. Les fins ne sont pas toujours heureuses et les recommencements qui les suivent ne sont pas non plus les plus faciles.  Si cet effondrement prédit devait arriver avec une population mondiale telle qu’aujourd’hui, le chaos serait sans précédent. Les signes pressent l’urgence, le sacrifice vaut toujours un prix quand l’enjeu est sans équivalent. Aucun système gouvernemental ne serait préparé à un tel scénario. Il est difficile d’entrevoir de quel côté la lueur d’espoir pourrait briller. Le monde a tracé sa route, le déni est une colle qui a bien pris parce que l’optimisme en lieu et place du réalisme en cimente le socle.

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Rédacteur Georges Cocks

©Pluton-Magazine/2022/Paris 16eme

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Par Georges COCKS
Écrivain- Éditeur-Poète-Romancier

Bande Annonce : Une fois que tu sais

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