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Par Patricia MASTAIL
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En ce début d’année, nous avons rendez-vous avec Danielle René-Corail, auteure, compositrice, interprète, talentueuse martiniquaise. La rencontre se déroule dans un lieu surplombant la ville face à la mer.
C’est une femme resplendissante qui se présente pour cet entretien. Vêtue d’une longue robe turquoise, elle arbore un sourire radieux. Danielle René-Corail se caractérise par son type « chabine » avec ses magnifiques yeux verts, ses cheveux bouclés et ses taches de rousseur.
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Artiste martiniquaise, Danielle a grandi au coeur de Fort-de-France et très tôt baignera dans le milieu musical. Elle évoque, non sans nostalgie, cette tranche de vie à l’impasse Cité Clarac, une rue bordée d’artisans – dont son père, horloger – et de commerçants, perpendiculaire à la cour de la mairie où l’artiste aimait jouer.
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Artiste de talent, elle s’est fait une place dans le monde de la musique grâce à sa voix harmonieuse et mélodieuse. L’une des plus belles voix féminines de notre île. On ne compte pas non plus ses nombreuses productions et collaborations artistiques. Avec une capacité d’adaptation à toute épreuve, elle s’est ouverte à tous les styles ou influences musicales. Un style large qui oscille entre la musique martiniquaise, traditionnelle et caribéenne. Ce qui ressort de l’écriture et de l’univers musical de Danielle : une générosité et un partage avec le public.
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Elle œuvre également à la production de spectacles dédiés à la jeunesse. Le spectacle Ti Kréol, une vraie entreprise, en est un exemple qui, d’année en année, séduit des générations. Ses chansons Escarlameli, Blogodo, Pitim Pitim, Tinin volè…, n’ont plus de secret pour son jeune public. Elle continue à le surprendre avec, en ce mois de décembre 2018, son nouveau spectacle dans l’air du temps, Les Tutos de Ti Kréol.
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Danielle René Corail se livre au jeu de l’interview, malgré un emploi du temps chargé – actualité oblige –, avec la préparation du spectacle Ti Kréol. Découvrez cette artiste dont le talent et la voix ne laissent pas insensibles.
Une voix et un style.
Ma voix parlée est grave alors que la voix chantée est fluette, avec un vibrato difficile à maîtriser. Je suis une soprano. J’ai un style martiniquais à fond. Et j’y tiens ! Ma façon de poser la voix sur la mazurka est reconnue dans le milieu. La chanson Glycéria m’a permis d’ailleurs d’avoir cette reconnaissance du public et je dois en tenir compte. Maintenant, c’est vrai que j’adore mon zouk, j’aime tout ce qui bouge. Les chansons mélancoliques ne me ressemblent pas (rires).
Particularité. Ce qui vous démarque : une empreinte.
Le fait que dans ma démarche, je sois cohérente et fidèle à moi-même. La durée dans le métier et la fidélité sont aussi des atouts non négligeables.
La musique, la famille et vous.
Bien qu’ayant été élevée dans la musique, je suis la seule de ma fratrie à chanter. Mon père jouait du pipeau, mon grand-père et son frère, eux, de l’accordéon. Nous attendions le vendredi pour nous rendre à la campagne, au quartier la Renée à Rivière-Pilote, pour des après-midi festifs. Ce quartier est l’un de ceux considérés comme le fief de l’accordéon. Je suis celle qui résiste et persévère dans la chanson. Mes sœurs se lancent en même temps dans la chorale, mais elles décrochent.
La musique est mon essence. Petite, je chantais déjà, je crois que j’ai « saoulé » mes parents en chantant. Mon père ne voulait pas que j’évolue dans ce milieu, mais je le souhaitais vraiment. Il y a tellement de choses à dire. C’est ma manière de faire passer mes messages et de produire des déclics. Mes textes sont orientés pour les enfants de mon pays. Peut-être qu’on en fera « de meilleurs électeurs ». C’est aussi ma façon de donner du sens à ce que je fais et de faire de la politique (rires).
Les valeurs dans vos chansons.
Je chante pour les adultes et les enfants. À travers la musique, c’est tout d’abord le rythme, notamment dans notre musique traditionnelle, qui a tendance à disparaître.
J’estime que l’on a un combat identitaire à mener. Je souhaite que nos enfants se sentent bien dans leur peau d’Antillais. À un moment où ma fille s’est identifiée à Blanche-Neige, Cendrillon…, Ti Kréol est née pour permettre à nos enfants justement de se reconnaître dans des personnages de chez nous. Nous sommes toutes des princesses avec cette particularité d’être riches de notre diversité, de notre culture. Nous avons hérité d’un métissage. Le fait d’être née avec mon type m’a fait prendre conscience de cela et d’en faire une force.
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Les collaborations avec les groupes.
Cela a d’abord été le Typique des sages. J’ai commencé avec le frère de mon père dans les bals an tan lontan et autour de l’accordéon. En parallèle, j’étais dans la chorale Mélodie. Puis est venu le groupe La Mafia. La rencontre avec Archipel a été un déclic pour ma participation dans le groupe TaxiKréol. Aujourd’hui, je chante dans le groupe Kwaxikolor. De très belles expériences musicales et artistiques. Dans ce monde de la musique, je crois que mon sérieux m’a aidée afin d’intégrer ces formations. Je n’oublie pas non plus l’une de mes plus mes belles collaborations, celle avec Jocelyne Béroard.
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Être en même temps administratrice de l’association qui porte Ti Kréol est un atout qui me permet également d’organiser des spectacles avec des partenaires publics et privés. Je possède une licence d’organisateur de spectacles. L’association aide à gérer les statuts d’intermittents du spectacle et de beaucoup d’artistes.
Flashback sur des moments marquants.
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Les tournées de TaxiKréol dans la Caraïbe et en Amérique centrale… Nous avons eu un très bon accueil du public. Les concerts organisés avec l’Alliance française au Vénézuéla, au Pérou, à Saint-Domingue, au Honduras… Chaque passage a été une vraie richesse. Nous partageons bien des similitudes dans notre culture, notre histoire, mais surtout nous avons le swing en commun. Et puis, il y a cette deuxième tournée où j’ai appris que j’attendais ma fille…
De belles rencontres.
L’une des plus belles, c’est à Paris avec Édith Lefel, une artiste de talent qui me manque énormément. Elle a été présente à mes débuts, m’a conseillée. Tout aussi importante, ma rencontre avec Jocelyne Béroard que je considère comme une grande sœur. Entre les deux, une rencontre déterminante, c’est celle avec Franck Donatien qui me permet d’intégrer Taxi Kréol. C’est à partir de cet instant, que tout change.
Personne clé dans votre parcours musical.
Dans mon parcours musical, c’est Gilles Voyer, bien sûr, que je rencontre au bon moment. Nous avons évolué musicalement et dans bien des domaines ensemble. Cela a été un tremplin. N’oublions pas que ce sont aussi les années Taxi Kréol, Ti Kréol, mais aussi l’arrivée de ma fille…
Votre fille Maurane Voyer artiste, un vrai bonheur.
Maurane nous renvoie et de la plus belle des manières, à nous ses parents, à nos carrières d’artistes. Elle a pris le relais et est en train de se construire en tant qu’artiste. Je souhaite qu’elle y parvienne et ce, malgré les difficultés de la conjoncture. C’est une femme de caractère qui compose. Parfois, son père l’aide pour les arrangements. Elle m’associe dans l’écoute de ses titres. Ses chansons me touchent, tout particulièrement le message de l’une d’entre elles, An ou alé. Je suis très famille. Je ne fais rien sans en en référer aux miens. J’ai élevé ma fille comme cela. Ce lien entre ma fille et moi est puissant. C’est dur de la voir grandir ! Pour ses études, je me suis préparée à l’idée de la séparation, puisqu’elle vit en France. Je la regarde évoluer. Mais Maurane a aussi la charge de supporter le poids d’être fille d’artistes. Comme tous les jeunes de son âge, elle vit les mêmes difficultés. J’ai envie de la protéger en ce sens. Beaucoup de bonheur et parfois l’angoisse naturelle d’une maman.
L’aventure Ti Kréol. Les tutos de Ti Kréol.
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C’est une production très lourde que je coordonne. J’y arrive parce que je suis organisée et bien entourée. Je m’appuie sur la famille, avec cette chance d’avoir grandi dans une famille très solidaire. Je travaille avec ma sœur styliste qui, elle, s’occupe des costumes. J’ai un réseau de copains et d’amis qui sont également présents et collaborent. Je fais aussi appel à des professionnels pour l’écriture, comme Marguerite Vadeleux. La mise en scène est faite par Marilyn Ampigny, réadaptée par Widad Amra. Et puis l’on retrouve sur scène des artistes comme Jocelyne Béroard, Esy Kennengan, Gilles Saint-Louis, mais il y en a eu plein d’autres.
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Le concept Ti Kréol se bat pour continuer d’exister, les financements sont plus difficiles à trouver surtout dans ce contexte de crise, mais fort heureusement le public répond encore présent. Il faut savoir qu’un spectacle pour enfant coûte plus cher à produire qu’un spectacle pour adulte.
Cette année, le spectacle s’intitule Les tutos de Ti Kréol. On est tendance. Dans le scénario, on évoque l’influenceuse, la bloggeuse qui fait découvrir tour à tour les tableaux du spectacle. Pour le casting de cette année, j’ai gardé sept enfants interprètes du précédent spectacle. Le rôle principal de Ti Kréol est joué par une petite fille qui change régulièrement (Ti Kréol grandit)… Il faut préparer la relève. Le spectacle Ti Kréol aura 20 ans en 2019. Je pense déjà à l’organisation de cet événement. Cela se prépare très tôt !
Envie d’un duo.
Alors, cela serait à l’international avec Gloria Estefan. C’est une artiste, un bout de femme, que j’aimerais bien rencontrer. Elle est énergique, battante. Voilà une influence musicale. Elle chante des choses vraies, sa terre, son pays…
Des distinctions.
J’ai reçu le prix de la Sacem pour mes 30 ans de carrière et une distinction honorifique, la médaille du mérite.
Vos engagements.
Toujours mon combat identitaire. Il faut que nous soyons en phase avec notre couleur de peau et notre métissage. Mais aussi le combat pour le développement de la culture, des spectacles, des concerts. Les artistes, à travers les spectacles et concerts, font passer des émotions, apportent du rêve, contribuent à l’épanouissement de tout un chacun.
Et avec toutes ces casquettes, du temps pour vous. Et dans cinq ans…
En 2014, j’ai eu une prise de conscience. J’apprends à prendre soin de moi. Faire du sport m’apporte bien-être et forme. Je reviens d’ailleurs d’une séance sportive. J’apprends à avoir de la rigueur, à doser et à limiter les excès, surtout dans ce monde de la fête.
Vieillir est un passage obligé. Le jour où je ne serai plus active, il y aura sans doute lieu de prendre la bonne décision. Heureusement, j’ai de merveilleux exemples d’artistes femmes autour de moi qui m’inspirent.
Le mot de la fin.
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Malgré un contexte difficile et les conflits politiques, je reste optimiste pour le pays. Nous avons un beau pays en devenir et les artistes contribuent à sa richesse et à son rayonnement. Il y a tant à faire.
L’album : Marc Antony en live
La chanson qui vous touche : Le meilleur et le vrai de Esy Kennenga
Fan de : Jocelyne Béroard
Chanson écoutée du moment : Le roi Lion à Mogador – Version Française
Lieu merveilleux : J’ai la chance d’être à l’endroit où je veux être : la Martinique. J’aime profondément mon pays, alors je dirais un îlet du Cap Chevalier.
Citation : « Même la nuit la plus longue, ne peut empêcher au jour de se lever… ».
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Rédactrice Particia MASTAIL
Secrétaire de rédaction: Colette FOURNIER
Pluton-Magazine/Martinique/2019
Crédit photos: Benny René Charles
Photos Jocelyne Béroard, Micha, Rico Loza
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Lien clip : Tchè mazouk nou
Auteurs Danielle René-Corail – Gilbert Charles-Nicolas
https://www.youtube.com/watch?v=EzD7WNC1dOE
Albums : Ti Kréol
Superbe Danielle