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Par Dominique Lancastre
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Dans Coucou !, pièce de théâtre en quatre actes, Céline Bernabé nous entraîne dans la tête de L., une femme bipolaire. La bipolarité est souvent moquée dans notre entourage mais lorsque nous nous y attardons de plus près, nous constatons que c’est une maladie qui touche souvent de jeunes adultes. En parcourant le site Amélie de l’assurance, nous observons que c’est beaucoup plus courant que nous le pensons.
« Le trouble bipolaire est une maladie psychique chronique responsable de dérèglements de l’humeur avec le plus souvent une alternance d’états d’exaltation et de dépression. Favorisée par des facteurs biologiques et génétiques, cette maladie apparaît le plus souvent chez l’adulte jeune. » (Site Amelie.fr)
L. devient très attachante au fur et à mesure que nous comprenons sa souffrance. L. se croit hospitalisée et discute avec des visiteurs et avec le personnel hospitalier. Dans ce dédoublement de la personnalité à la limite de la folie elle conserve néanmoins sa raison, car même si L. déraille, elle appréhende de vrais sujets comme la garde de sa fille que son ex-compagnon veut récupérer. Comment vivre avec un tel fardeau génétique quand on essaie de survivre dans une société qui juge très vite l’autre ?
Céline Bernabé met l’accent sur tout ce que peuvent endurer les personnes qui souffrent de cette maladie car c’est une maladie. Sa pièce est d’une grande intensité car L. a perdu sa mère il y a des années, et elle a sa fille à élever. Dans une société où les railleries sont monnaie courante face aux comportements incompris, Coucou nous pousse à des questionnements. En faisant de L. une artiste peintre et poétesse, ce questionnement inclut aussi les artistes. Les artistes ne seraient-ils pas tous et toutes un peu dérangés ?
Coucou est une pièce d’une grande originalité par la façon dont l’auteur aborde ce sujet et bien entendu il serait fâcheux de vous livrer tout le contenu de la pièce, que nous vous invitons donc à découvrir. Coucou est publié aux Éditions Jets d’Encre.
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Interview
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Vous êtes artiste peintre, L. ne serait-elle pas l’une de vous ?
En réalité, L. désigne toutes celles (tous ceux) qui vivent dans cette société. Parce que cette maladie peut toucher n’importe qui, peu importe la situation sociale et professionnelle, peu importent l’âge et la couleur de peau… Voilà pourquoi dans ce premier tome, nous ne connaissons pas le véritable prénom de l’héroïne. À travers cette histoire, finalement, beaucoup de femmes pourront se reconnaître en L. Il ne s’agit pas de moi réellement, parce que cette histoire est une fiction mais je me suis effectivement inspirée de ma vie, car tout comme L., je suis artiste peintre, poétesse et mère, mais je me suis également inspirée de la vie d’autres femmes.
Pourquoi avoir traité ce sujet de bipolarité ?
Il est important pour moi à travers mon travail artistique multidisciplinaire (art plastique, poésie, photographie, performance…) d’aborder des thématiques, des problématiques de société. Je suis une artiste engagée, donc à chaque fois que cela me semble nécessaire, j’essaie de sensibiliser, de questionner, d’interpeller l’autre, les visiteurs, le public, les lecteurs…
J’ai voulu à travers cette pièce de théâtre parler d’une maladie psychique, la bipolarité, justement parce qu’il y a beaucoup trop de méconnaissances à ce sujet, de préjugés voire de craintes non fondées. Finalement, c’est l’être humain qui est oublié et ses émotions, on en vient simplement à ne se focaliser que sur les troubles associés à la maladie, ce qui peut engendrer de la douleur psychologique (supplémentaire) chez la personne concernée. En effet, depuis l’adolescence, j’ai pu observer cela, ayant eu autour de moi des personnes malades et encore aujourd’hui, mais aussi par ma position d’assistante de service social. Je ressens ces émotions, cette douleur très forte de proches ou de personnes que j’accompagne, j’entends leur désarroi, celui de leurs familles, et leurs appels à l’aide… face à cette société qui ne les comprend pas.
À noter que Coucou ! , le titre de cette pièce, c’est une interpellation avant un appel à l’aide : « Coucou, je suis là, j’existe ! » . De plus, « Coucou » en argot américain s’écrit « cuckoo » et signifie aussi « fou, Déjanté ».
C’est votre première pièce de théâtre, comptez-vous la faire jouer sur scène ?
C’est la première pièce de théâtre éditée effectivement mais pas la première que j’écris. En 2013, j’avais écrit et mis en scène une comédie musicale, Le voyage de Camille, pour l’école de musique la Clé des Arts de Baie-Mahault. Nous l’avions interprétée avec de nombreux chanteurs et figurants à la salle Georges TARER, à Pointe-à-Pitre.
Pour ce monologue, Coucou !, je ne souhaite pas, pour l’heure, l’interpréter sur scène mais peut-être dans quelques années, qui sait… Pour l’instant, ce n’est pas dans mes projets en tout cas. Monter une pièce de théâtre demande beaucoup d’investissement, de travail et de disponibilité que je n’ai pas forcément pour le moment. Je réaliserai probablement des lectures mais rien n’est encore bien programmé compte tenu du contexte de crise que nous subissons actuellement.
Parlez-nous un peu de la photo de couverture
Sur l’illustration de couverture (couleur noire), il y a un personnage vêtu intégralement de noir, assis en tailleur, portant précieusement entre ses mains, mais presque de manière dissimulée, une petite boîte rouge. Le personnage a des ailes blanches qui marquent un rappel avec le titre de la même couleur, interpellant et illuminant finalement cette illustration de couverture quelque peu sombre.
Ce visuel tout comme cette pièce de théâtre s’inscrivent dans le cadre d’un travail artistique interdisciplinaire que je réalise depuis quelques années sur la thématique de la douleur (physique ou psychologique). L’illustration rappelle ma série picturale « Corps et Esprit » où la douleur est représentée par une forme géométrique rouge (série visible et présentée sur mon site internet http://celine-bernabe.e-monsite.com/ ). Les ailes représentent le sentiment de liberté, que L. aura l’impression de perdre en tombant dans ce « nid de coucou » (Hôpital psychiatrique, en référence au célèbre roman Vol au-dessus d’un nid de Coucou de Ken Kesey). Le personnage est assis en tailleur car L. se retrouve souvent dans cette position et au sol « …je reste à terre car je me suis brûlé les ailes et je ne peux plus m’envoler. ». C’est un personnage noir, dont on ne distingue pas les traits et qui finalement peut se révéler être n’importe qui, car la douleur est un ressenti universel qui touche tout le monde.
À noter que l’illustration a été réalisée à partir d’une photo de moi, avec une combinaison que j’utilise dans le cadre de mes performances.
Vous êtes née en France mais vivez aux Antilles depuis des années. Quel regard portez-vous sur la société antillaise ?
Je suis née effectivement en France à Argenteuil, en région parisienne, de parents martiniquais. J’ai donc grandi avec des références et une culture antillaises.
Je me sens aujourd’hui autant martiniquaise que guadeloupéenne car cela fait maintenant 13 ans que je vis et que je m’épanouis en Guadeloupe. Je pense que dans chaque société, il y a des richesses, des potentialités et des freins. Nous avons, en plus aux Antilles, une histoire particulière, douloureuse, des traumatismes gravés dans la mémoire collective, des freins imposés par ceux qui nous dirigent. Cependant, nous avons aussi un puissant héritage dans tous les domaines (sciences, art, sport, et des valeurs,…) ainsi que des patrimoines qu’il nous faut préserver. Il nous faut donc avancer avec tout cela. L’innovation est pour moi une clef. Développons nos stratégies en fonction de nos freins et de nos capacités, et nous pourrons davantage nous affirmer, peut-être que c’est utopique pour certains, mais je crois qu’on y arrive petit à petit.
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L’ Auteure
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Céline Bernabé est une artiste peintre, poétesse, performeuse et photographe auto-portraitiste originaire de la Martinique, mais elle vit en Guadeloupe depuis une dizaine d’années.
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Par Dominique LANCASTRE (CEO Pluton-Magazine)
Pluton-Magazine/ 2021/ Paris16.