Je vole… et le reste je le dirai aux ombres

Par Angelo Corda

27 mars 2002. Mairie de Nanterre. A l’issue du conseil municipal, Richard Dun se lève et use de son Smith and Wesson et de son Glock à 37 reprises. Il tue huit élus et en blesse quatorze. Le lendemain de la tuerie, il se défenestrera du 36 quai des Orfèvres, à la faveur d’une brève inattention des policiers qui l’interrogeaient.

 

 

De ce fait divers glaçant, Jean-christophe Dollé, s’attache surtout à détricoter la psyché d’un être qui passe à l’acte meurtrier. Véritable incursion dans les abysses du cerveau de Richard Dun, une enquête prodigieuse se tisse devant nous. Comment cet homme est devenu cet assassin ? Par quel cheminement ? Quelle architecture du malheur a-t-il élevée, pierre après pierre, afin d’accomplir cet acte nihiliste ? Par des questionnements philosophiques et drôles, une certaine gestuelle de la réminiscence, des indices effroyables émanent de cette cage trônant au centre de la scène, représentant très habilement le cerveau du monstre.

A cette seconde, tout se collisionne. Ses rencontres, les petites joies, peines et humiliations de sa vie. La mère qui l’a élevé et sa difficulté à transmettre l’essentiel, ébréchant le socle de l’amour-propre de Richard ; une amante

bosniaque solaire, son seul ami et disciple, un professeur d’art dramatique qui le pousse dans ses retranchements, des fantasmes cinématographiques au travers d’hilarants personnages de Robocop et Fight Club. Tout a sûrement participé à la claudication de son acte fou.

Jean-christophe Dollé signe un texte brillant, dense et ténébreux où il s’empare d’une seconde primordiale de la vie du terroriste. Cette seconde où il vole aux dessus des ombres.
Accompagné de Clothilde Morgiève, qui signe également la mise en scène avec l’auteur, la jeune femme est bluffante dans tous les rôles féminins. Elle incarne notamment une rescapée de la guerre de Bosnie-Herzégovine avec un réalisme et une émotion d’une rare beauté. Jean-christophe Dollé est également confondant. Sa partition d’une victime collatérale de Richard est d’une délicatesse folle.

 

 

Julien Derivaz jongle avec les personnages et offre également une multitude de moments émérites ! Ces trois comédiens protéiformes réussissent à découper une pléiade de personnages avec une précision de diamant.

 

Ils sont appuyés par une belle scénographie, foisonnante, très inventive. Les sons et la musique, composés par JC Dollé et Noé, magnifient la lancinante et inéluctable chute finale dans cette venelle sans issue.

Un spectacle puissant dont l’impérissable et sublime venin se répand en vous précieusement…

 

Je vole… et le reste je le dirai aux ombres
De Jean-Christophe Dollé
Mise en scène de Jean-Christophe Dollé et Clotilde Morgiève
Avec Jean-Christophe Dollé, Julien Derviaz, Clotilde Morgiève

Du 6 au 27 juillet 2018 à 18h25 (relâches 11 et 18)
Lieu : 11 • Gilgamesh Belleville, 11 bd Raspail – 84000 Avignon

©JC-Lemasson

About Angelo Corda

Angelo Corda est un auteur français. Scénariste, il écrit aussi pour le théâtre ainsi que pour plusieurs médias.

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