ÉGLISE ET POUVOIR POLITIQUE: quatorze siècles de relations fusionnelles et cahotiques…

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Par Philippe Estrade

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De la liberté religieuse instaurant le christianisme, impulsée en 313 par l’empereur Constantin, aux lois de 1905 instituant une rigoureuse séparation du pouvoir politique et du pouvoir confessionnel, le chemin fut long et terrassé d’affrontements divers durant près de 14 siècles. La guerre civile et religieuse en France au 16e siècle sous les Valois, résultant du conflit avec le mouvement protestataire en pleine expansion, constitua un temps fort et tragique dans l’histoire de notre pays. Puis de nouvelles règles législatives sévères et intraitables impulsées sous la 3e République, voulant favoriser un nouveau « modernisme politique et institutionnel », virent le jour à l’aube du 20e siècle.

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L’OCCIDENT, RÉFÉRENCE GÉOPOLITIQUE DU CHRISTIANISME

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Dès le 2e siècle après J.-C. sous la domination romaine, théologiens et nouveaux adeptes du christianisme furent impitoyablement broyés et persécutés sans pitié. Sainte-Blandine, parmi les premiers martyrs de la religion nouvelle, périt en 177 lors d’un massacre collectif dans l’arène du théâtre des Trois Gaules, à Lyon. Elle incarnait à elle seule la terrible tragédie qu’eurent à subir les premiers chrétiens. Il fallut cependant attendre le ralliement de Constantin au christianisme en 312, plus géopolitique dans un premier temps qu’inspiré par la foi nouvelle, pour que le regard violent porté sur les adeptes du Christ puisse s’apaiser et disparaître progressivement en 313, après justement que Constantin eut imposé la liberté du culte chrétien qui devint religion de l’empire à partir de 381. Alors l’église puissante accompagna l’histoire de France de la féodalité aux temps modernes. Elle connut un premier coup d’arrêt brutal durant les évènements tragiques de la Révolution avant qu’elle eût à subir les résolutions radicales qui la marginalisèrent définitivement du pouvoir politique sous la présidence d’Émile Loubet et les dispositions législatives d’Émile Combes, au début du 20e siècle, deux personnalités redoutablement anticléricales de la 3e République.

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     Un clergé puissant allié des souverains du Moyen Âge

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Notre-Dame de Paris érigée aux 12ème et au 13ème siècle, cœur du Moyen-Âge.

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Vainqueur à Tolbiac en 496, Clovis 1er, le fameux Clovis de nos manuels scolaires puisque quatre Clovis eurent à siéger sur le trône des francs sous la dynastie mérovingienne, épousa la religion nouvelle à l’issue de la bataille gagnée contre les Alamans d’outre-Rhin. Depuis cette date, clergé et souverains qui se succédèrent sur le trône du royaume des francs puis du royaume de France durant des siècles furent alliés le plus souvent mais aussi régulièrement en conflit. Au Moyen Âge, la paroisse qui percevait la dîme, impôt payé par la paysannerie, dominait la vie quotidienne des familles. Les cloches des églises rythmaient les journées de travail et orientaient les règles de moralité et de prières. Les différents clergés étaient proches des souverains, et certains prélats, évêques ou moralistes, soucieux d’influencer l’autorité royale, affectionnaient de fréquenter les couloirs des palais. Si les rapports forts et privilégiés du clergé avec les rois de France furent une composante permanente jusqu’à la Révolution française, les crises régulières et les menaces d’excommunication des souverains affectèrent souvent la relation diplomatique. Les ruptures pouvaient avoir diverses raisons, d’intérêts politiques souvent, mais parfois aussi des motivations qui mettaient en cause la moralité et la sphère privée du roi. Ainsi le capétien Robert II, pourtant dit « le Pieux », fut excommunié pour avoir épousé sa cousine Berthe alors que son petit-fils Philippe 1er le fut à son tour pour bigamie. Influent et puissant, le clergé ne plaisantait pas avec les questions de mœurs, et d’autres souverains eurent aussi à subir les foudres de la papauté.

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     En rompant avec l’autorité papale, Philippe le Bel instaure une forme de « pré-laïcité » provisoire

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Le pape gascon Clément V installé en Avignon marque la rupture de Philippe le Bel avec le pape.

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Ce grand roi capétien a renforcé le pouvoir royal et développé une grande administration qu’il organisa pour traduire aussi une indépendance politique face au clergé omniprésent. Avec autorité, il se heurta violement au souverain pontife et lui imposa le principe selon lequel le roi est seul maître de la politique française. Une forme de « pré-laïcité » avant l’heure qui irrita le pape Boniface VIII, surtout après que Philippe le Bel eut décidé de lever un impôt sur le clergé français. Avec ces questions d’argent, le divorce fut consommé illico. Puissant et habile, Philippe le Bel retint alors le chef suprême de l’église en captivité dans sa résidence d’Anagni en Italie centrale. La crise trouva une issue dans l’établissement en Avignon du nouveau pape Clément V, un gascon évêque de Bordeaux, ce qui signifia en quelque sorte la soumission, toutefois provisoire, du clergé au roi de France et l’indépendance du royaume sur l’autorité religieuse.

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     L’implication des souverains sur la route des croisades

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Louis IX entreprit les 7ème et 8ème Croisades pour libérer Jérusalem de l’occupation musulmane

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Les croisades illustrent parfaitement la fusion politique avec la foi et l’engagement chrétien des rois de France. Soumis par les arabes et le rite musulman puis par les Turcs au 11e siècle, Jérusalem et les chrétiens d’Orient devinrent la cible d’une reconquête pour le clergé papal et les grands rois du continent européen, français pour l’essentiel. Les terribles affrontements de la première croisade à la fin du 11e siècle permirent aux croisés de reprendre Jérusalem et firent de Godefroy de Bouillon le premier souverain du royaume de Jérusalem, doté du titre d’avoué du Saint-Sépulcre, en d’autres termes protecteur du tombeau du Christ. D’autres croisades eurent lieu pendant deux siècles environ jusqu’en 1270, la huitième, où Louis IX qui devint Saint-Louis 27 ans plus tard, perdit la vie vers Carthage aux portes de Tunis. Entre-temps, des ennemis permanents pouvaient faire une trêve et ainsi répondre aux appels du pape en se lançant ensemble vers une croisade, comme le firent Philippe II, le grand Philippe-Auguste, et son rival anglo-normand Richard Cœur de Lion, en 1189. Ces différentes campagnes de reconquête de la Terre Sainte fournirent l’opportunité de la création des États latins d’Orient, mais n’ont que temporairement permis de reprendre Jérusalem et de repousser la menace musulmane.

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LES GUERRES DE RELIGION, PARFAITE ILLUSTRATION DE LA COLLUSION DU POUVOIR POLITIQUE ET DES COURANTS RELIGIEUX

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D’origine picarde et installé à Genève, Jean Calvin inspira un mouvement protestataire dans le prolongement de la ligne luthérienne et initia une réforme protestante qui obtint un fort écho mais divisa profondément les fidèles, désormais séparés entre catholiques et protestants. Les premières initiatives résultèrent notamment de l’irritation liée à la généralisation des lettres d’indulgence qui permirent d’absoudre le pêcheur aisé ou fortuné et qui enrichirent le clergé. Le luxe insolent de l’église et à l’évidence son éloignement du message originel de Jésus, basé sur la simplicité et le soutien permanent aux plus pauvres, ont contribué à heurter les protestants attachés aux valeurs fondamentales de la Bible. Ce long conflit civil et religieux qui durera une trentaine d’années, fut déclenché en 1562 après que des huguenots eurent été massacrés à Wassy par les troupes catholiques du duc de Guise. Cette terrible période de l’histoire a divisé la noblesse de France et affaibli considérablement le prestige du pays.

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     Au cœur du conflit civil et religieux, Charles IX et Henri III sous l’influence de Catherine de Médicis

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En 1572 la Saint-Barthélémy illustre le début d’un chaos généralisé.

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Mariée à Henri II, Valois de la maison d’Angoulême, Catherine de Médicis eut quatre enfants, Marguerite, future reine Margot et épouse du protestant Henri de Navarre, et trois garçons qui se succédèrent sur le trône de France, François II, Charles IX et Henri III, le dernier Valois. La guerre civile et religieuse impliqua surtout les règnes de Charles IX et d’Henri III. En 1572, inquiète de la puissance grandissante des protestants et de leur influence sur son fils le roi Charles IX, par ailleurs se sentant menacée, Catherine de Médicis convainc son fils de faire réprimer la révolte protestante par les catholiques du duc de Guise, après qu’elle eut tenté de faire assassiner Coligny, chef des protestants. C’est dans la nuit du 23 au 24 août 1572, fameuse Saint-Barthélemy, que le signal de la répression sanglante fut donné, ouvrant la voie à un retentissant chaos intérieur. Le futur Henri IV sauva sa vie en se convertissant à la religion catholique mais l’abjura plus tard après qu’il se fut échappé dans le sud de la France pour conduire la rébellion protestante de ceux qui furent appelés les huguenots. Cette guerre civile qui conjugua le pouvoir politique aux influences religieuses fut désastreuse et totalement ruineuse pour la France.

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     La paix de l’édit de Nantes signé par Henri IV remise en cause un siècle plus tard par le roi Louis XIV

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De 1570 à 1572, une paix religieuse toute relative.

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Homme à « mignons » et donc sans héritier, Henri III soutint Henri de Navarre comme son successeur sur le trône de France, après qu’il se fut allié avec lui dans un calcul de reconquête de Paris qu’il avait dû fuir hâtivement. Sous le nom d’Henri IV, premier roi de la lignée capétienne des Bourbons, le nouveau souverain s’efforça avec difficulté mais succès de promouvoir la réconciliation nationale en promulguant en 1598 l’édit de Nantes qui offrit à nouveau la liberté de culte aux protestants. Il en résulta un redressement spectaculaire du pays qui se remit au travail et dont le prestige au cœur du jeu européen put reprendre toute sa place. Hélas, un siècle plus tard, Louis XIV remit en cause l’équilibre religieux et rompit par l’édit de Fontainebleau en 1685, l’édit de Nantes de son grand-père. Une erreur historique pour le rayonnant roi de la puissante France, qui provoqua le départ de la noblesse huguenote ainsi que la fuite des capitaux et des compétences vers des terres moins hostiles. Cette décision ruineuse pour le pays ouvrit aussi la voie à de nouvelles tensions religieuses.

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LA RÉVOLUTION FRANÇAISE PORTE UN BRUTAL COUP D’ARRÊT Â L’INFLUENCE DE L’ÉGLISE

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Cette période fut terrible aussi bien pour la monarchie que pour le clergé, accusé d’être l’allié permanent et historique de la noblesse et des souverains. Redoutable mois d’août 1789 pour le roi XVI qui, en quelques jours, se retrouva sous la Constituante face à deux textes qui remirent en cause douze siècles de monarchie, d’abord l’abolition des privilèges qui mit fin au système féodal puis la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. Le clergé ne fut pas oublié, puisque en novembre tous ses biens devinrent nationalisés puis en 1790 une ultime humiliation le contraignit à accepter une constitution civile. Sous la terreur instaurée par le Comité de salut public de la 1re République, après la disparition de Louis XVI, la guillotine ne fit pas la différence entre la bourgeoisie, une partie de la noblesse, le peuple fidèle aux curés et le clergé lui-même qui payèrent tous un lourd tribu à la meurtrière folie révolutionnaire.

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LA TROISIÈME RÉPUBLIQUE FIXE LES RÈGLES DE LA RUPTURE DÉFINITIVE ENTRE L’ÉTAT ET L’ÉGLISE

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En 1905, la 3ème République fixe les règles de la Séparation des Eglises et de l’Etat.

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La violente politique anticléricale de la présidence d’Émile Loubet a conduit en 1905 à la loi de séparation des Églises et de l’État, qui par ailleurs choqua profondément l’ensemble de la communauté chrétienne et même des français non pratiquants mais toujours profondément attachés à leur culture et à leur Histoire. Anticlérical notoire, Émile Combes se chargea de conduire cette politique rude et sans compromis qui heurta catholiques et conservateurs mais aussi le Vatican qui rompit ses relations avec la France. Un nouvel épisode de guerre civile et religieuse sur les parvis des églises et des sanctuaires divers défendus avec âpreté par les fidèles se déclencha aussitôt. Comme les évènements du passé l’ont sans cesse démontré, le sang coule souvent dès lors que la dimension religieuse se lie avec la question politique. Division et instabilité politique vont demeurer collées à l’image d’Émile Loubet alors que les lois de 1905 enracinent de manière irréversible les institutions laïques dans la République.

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     La laïcité désormais curseur incontournable des démocraties modernes

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L’histoire est implacable et démontre bien que lorsque la tonalité ecclésiastique se conjugue avec trop de passion à l’organisation sociétale, il en résulte toujours conflits politiques, querelles et belligérances dramatiques et chaotiques. C’est la force des démocraties occidentales d’avoir su inscrire la rupture de la sphère confessionnelle avec la souveraineté politique dans les curseurs incontournables de la démocratie. La séparation des pouvoirs inspirée par Montesquieu a éclairé tous les constitutionalistes du monde entier et la laïcité issue de la loi de 1905, aboutissement naturel et légitime de l’esprit des Lumières, caractérise désormais le ciment profond et inaltérable des nations modernes et apaisées.

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Rédacteur Philippe Estrade (Bordeaux-Aquitaine)

Secrétaire de rédaction Colette Fournier (Lyon)

Pluton-Magazine/2018/Paris 16eme

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