Tony Chasseur : du zouk au Créole Big Band

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. Par Georges COCKS

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Originaire de la Martinique, Tony Chasseur est un artiste complet. On ne saurait le placer dans une quelconque catégorie, car malgré sa carrière interminable, c’est maintenant qu’il lui pousse des ailes pour explorer tous les rythmes et les styles du patrimoine antillais et caribéen. Comme un caméléon, tout ce qu’il touche se transforme en une harmonie prestigieuse, car le talent, il l’a, la voix aussi. C’est un homme généreux qui a marqué de son empreinte des centaines d’artistes et de musiciens locaux et d’autres encore. La langue créole et le tempo culturel (zouk biguine, mazurka…) de la musique antillaise deviennent de la virtuosité quand il les couche sur une portée. Les blanches et les noires se conjuguent dans une symphonie, une croche sans haine pour donner de la couleur à la musique.

Pluton Magazine s’est positionné à la fin de la partition pour être sûr d’attraper au vol ce magicien et vous livrer quelques confidences inédites.

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PM : Nous sommes en 2019, en 2016 Tony Chasseur, c’était déjà 30 ans de carrière, quand a débuté cette chasse folle vers la musique ?

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J’ai démarré au début des années 80, pendant que je poursuivais des études d’anglais, à l’initiative d’un pianiste martiniquais, Victor Adélaïde, qui m’a initié à l’harmonie vocale et permis de faire mes premières scènes. Avant, j’étais juste un adolescent qui chantait chez lui sans aucun projet d’en faire un métier.

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PM : Quel est le secret de la longévité musicale de Tony Chasseur ?

Je me couche tôt, me lève tôt, ne regarde pas trop la télé et je mange bio (sourire). J’avoue ne pas trop me poser de questions sur mon itinéraire passé, sur lequel j’ai beaucoup de recul. Je suis plutôt tourné vers l’avenir. Je suis mon propre producteur depuis 1992, j’étais parmi les premiers à s’autoproduire. J’ai donc un producteur qui croit en moi et investit ce qu’il faut pour réaliser des projets parfois qualifiés de « fous » par mes collègues et amis (re-sourire). Je dois aussi signaler que, quand il y eut des moments difficiles, des échecs, des moments de doute, j’étais toujours remis en selle par des musiciens, des projets qui m’offraient une nouvelle voie en même temps qu’ils me sortaient la tête de l’eau. Et puis, comme pour MizikOpéyi, trouver un public assez conséquent pour me permettre de passer ces années de carrière.

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PM : Parlez-nous de votre dernier Créole Big Band dans votre concept MizikOpéyi, et dites-nous quels sont vos projets futurs ?

MizikOpéyi existe depuis 2006. Thierry Vaton, pianiste, arrangeur et directeur musical du Big Band, m’a suggéré, en 2001, cette idée de faire des titres au format Big Band, style Nouvelle Orléans, donc pour un pupitre de 12 soufflants. Nous avons aujourd’hui 4 albums à notre actif, le plus récent étant « Creole Big Band », qui vient de paraître. Nous avons aussi aujourd’hui beaucoup de prestations à notre actif. « Creole Big Band », le 4e album de MizikOpéyi suit la ligne artistique et musicale que Thierry et moi avons définie, à savoir proposer des versions revisitées d’œuvres du patrimoine et de la tradition antillaise dans cette démarche de l’arrangement pour 12 soufflants, ce qui donne tout de suite une dimension Jazz. Nous souhaitons aussi proposer des chansons inédites dans chaque production. Mais pour ce nouvel album, nous avons ouvert le répertoire de reprises à la Réunion et à Haïti. Nous avions déjà par le passé travaillé des titres émanant de Guyane et de Guadeloupe. Nous dépassons donc le champ simplement caribéen, d’où le choix de « créole » dans notre intitulé. Beaucoup de reprises pour ce nouvel album, mais aussi, et c’est un choix, quelques titres inédits. La démarche globale de l’album est de proposer les reprises dans un rythme de Jazz « traditionnel », afin d’être plus abordable pour les publics « étrangers » qui peuvent parfois être désarçonnés par nos rythmiques créoles endémiques, ce qui nuit à une bonne perception des mélodies et des textes. Et à l’inverse, Thierry Vaton a tenu à inclure un standard Jazz dans une version Biguine, afin d’exposer une vision universaliste des mélodies, même jouées sur l’un de nos rythmes caribéens.

MizikOpéyi devra trouver un public assez conséquent pour permettre son existence dans les années à venir. Cela fait plus de 10 ans que nous tenons bon, je produis depuis l’origine les albums et concerts du groupe. Pour le moment, nous tenons encore dans un monde médiatique et culturel plus orienté vers les formations réduites. L’impact de ce nouvel album, aussi bien en ventes qu’en possibilités de prestations, nous permettra d’envisager ou non la poursuite de cette belle aventure, humaine et musicale.

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PM : Quelle place les jeunes ont-ils au sein de la Band, la relève est-elle assurée ?

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Le travail avec MizikOpéyi nécessite une grande capacité de lecture de partitions, et une bonne maîtrise d’instruments de musique, ce qui implique des études musicales poussées. J’ai plutôt une équipe de quadragénaires, voire quinquagénaires. Mais quelques jeunes approchent tout doucement, Arnaud Dolmen, Yoann Danier. Nous avons aussi la chance d’avoir une jeune femme au trombone, ce qui est un atout indéniable. Et puis j’ai toujours ce désir de partager les mélodies avec des chanteurs ou chanteuses, ce qui nous a permis d’avoir les voix de Faby Médina et de Cynthia Abraham sur l’album « Creole Big Band ». Et dans ma démarche de partage et de valorisation de nos cultures, je mets à disposition de toutes les générations, incluant donc les jeunes qui le souhaitent, les partitions des arrangements de MizikOpéyi, sur mon site, www.tonychasseur.com, en téléchargement gratuit. Qui sait, peut-être dans quelques années, Thierry et moi aurons l’agréable surprise de recevoir de jeunes musiciens formés sur ce répertoire ?

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PM : Vous avez côtoyé des grands de la musique, Tony Chasseur a-t-il un mentor ?

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Je m’inspire de beaucoup de monde. Mais les musiciens qui me côtoient commencent à faire des relations entre mes projets et la vision d’un Quincy Jones. J’avoue que cette association m’honore… et à la lecture, à l’écoute de ses remarquables réalisations, j’avoue que Quincy représente en effet un mentor à mes yeux.

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PM : Nous parlions de votre générosité : votre discographie, vos compositions pour d’autres chanteurs et votre voix traînent une pléiade de disques, pourquoi aime-t-on tant Tony Chasseur ?

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Je ne sais pas si on aime tant que cela… disons que je fais preuve d’efficacité et de compétences en studio et sur scène, que je crois être un bon camarade, de bonne humeur et prêt à faire de mon mieux pour que les projets sur lesquels je suis sollicité réussissent. Proposant même des idées et mettant mon expérience au service de tous. Ensuite, au fil des ans, on a appris à me connaître, je crois donc que le milieu musical m’accepte tel que je suis et sais « profiter » de ce que je peux apporter. Je suis de plus un amoureux des gens de mon métier et aime par-dessus tout ressentir du bonheur autour de moi quand on travaille.

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PM : Vous êtes chanteur, auteur compositeur, animateur radio, musicien… rêvez-vous d’un autre titre, dans, ou en dehors de la musique ?

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Ça va, je crois qu’on va s’arrêter là… juste peut-être, dans quelques années, retraité (sourire).

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PM : Qu’écoutez-vous comme musique ?

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Grâce à mon adolescence martiniquaise, durant laquelle j’étais abreuvé, même à la radio, de toutes les musiques mondiales, j’écoute toutes sortes de chose, Pop, variétés, musiques latines, musiques créoles, Soul, RnB… Musique instrumentale aussi, et beaucoup de Créole Jazz. Beaucoup de ce dernier style, en rapport avec l’émission que j’anime depuis plusieurs années, KréyolDjaz.

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PM : Quels sont vos meilleurs moments inoubliables sur scène, et les collaborations marquantes de votre carrière ?

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Ouch ! Il y en a beaucoup et chaque période de mon itinéraire recèle des moments splendides. Je suis conscient d’avoir de la chance, car j’en vis encore, des moments « inoubliables ». On fera le tri à ma retraite. En ce moment, MizikOpéyi m’apporte beaucoup de joie et de satisfaction.

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PM : Tony Chasseur, fan de yole comme tout bon Martiniquais, si la voile de Gilles Floro et Patrick était devant vous aujourd’hui, comment serait la course pour vous ?

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Alors… désolé, je ne suis pas un compétiteur. Je trace ma voie en souhaitant ne gêner ou ne perturber personne. J’ai beaucoup été catalogué d’artiste « différent » durant ma carrière, et je le prends comme un compliment (même si ce n’est pas toujours exprimé en ce sens). J’ai aussi eu la chance de côtoyer les deux chanteurs cités et nos rencontres étaient empreintes de respect et de camaraderie plus qu’autre chose. Ce sont d’ailleurs des artistes qui ont eu beaucoup plus de succès public que moi, donc tout cela ne faisait pas partie de nos échanges. S’ils étaient encore là, moins qu’une course, j’aurais sûrement partagé à leurs côtés quelques expériences qui m’auraient fait progresser. Cela répond à un principe auquel j’adhère vraiment : chacun a sa propre réussite. Envier celle des autres fait juste perdre de vue les capacités que l’on a en soi, qui nous feraient peut-être atteindre notre réussite dans une véritable création personnelle. Je dis souvent pour MizikOpéyi (mais cela s’applique à moi aussi) : nous ne sommes ni au-dessus, ni en dessous de quiconque dans ce métier. Juste en parallèle…

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PM : Un chanteur antillais et un chanteur international que vous aimez ?

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J’en ai plusieurs, surtout des « vocalises », et issus de différents horizons culturels et musicaux. J’ai toujours été plus particulièrement attiré par des chanteurs utilisant leur voix comme des instruments, ce qui ne m’a pas empêché d’apprécier et de travailler sur des voix au talent incontournable. On sait mon attachement pour Al Jarreau, mais il y en a plein d’autres émanant des USA (Stevie Wonder, Luther Vandross, George Benson, Bobby McFerrin, Take 6…). Sans oublier Ralph Thamar et Jean-Paul Pognon pour la Martinique, Patrick Saint-Eloi pour la Guadeloupe, Rubén Blades pour la musique latine, Bob Marley, Djavan, Nougaro, Cabrel… Voilà donc, très divers, très variés… Les citer tous serait très long.

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PM : Qui est Tony Chasseur dans la vie de tous les jours ?

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Vie de famille, un peu de sport, un peu de bon vin (avec modération et hors des périodes de travail intense), être souvent en contact avec les amis et camarades, une rencontre de belote de temps en temps, et puis la prévoyance vis-vis de ce que je dois faire dans ma vie, dans mon travail, avec un ou deux ans d’avance, pour ne pas me retrouver dans l’oisiveté ou l’inactivité, ce que je déteste par-dessus tout. Quelques voyages, hors travail et en famille, plutôt dans des pays du Sud, à la découverte de cultures différentes.

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PM : Si vous aviez la possibilité de changer une chose dans le monde, que changeriez-vous ?

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J’ai une démarche personnelle écologique, mais ne prétends pas donner de direction ou d’avis à quiconque, même si je ne refuse pas les échanges et discussions sur des sujets sérieux. Je m’applique des contraintes en ce sens à moi avant de les demander aux autres. Exemple : j’essaye d’utiliser le moins possible de plastique dans mon environnement.

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PM : Si vous aviez la chance de devenir autre chose que voudriez-vous être ?

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Un grand pianiste et vibraphoniste (le son du vibraphone est mon préféré de tous les instruments de musique).

« L’heure est magique elle a comme un brin de folie qui nous emporte en cadence ; nous marchons vers sa musique et de plaisir nous voulons mourir car il sait bien le faire durer ». Du Médikaman de Jacob Dévarieux au comprimé Zoukamine de Patrick Saint-Eloi, Tony Chasseur n’a pas encore livré son breuvage en bon druide intarissable de potions et de mixtures. Révolutionnaire du rythme, il sait que la musique n’a pas de fin, c’est pour cela qu’il se sent si bien avec elle, avec tous ces artistes qu’il embarque avec lui dans ce mariage, leur offrant sa grande générosité. C’est un homme simple, humble qui aime les gens, qui aime le contact et qui aime la beauté du sourire. Il remixe des mélodies que nous connaissons et que nous avons le plaisir de redécouvrir dans sa voix mélodieuse, car le plaisir est tout simplement un délassement spirituel, corporel et mental sans fin. C’est un performeur qui ne connaît pas la barrière de la langue, car il a compris : la langue peut étendre la musique à l’infini.

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Tony Chasseur vient de sortir son dernier opus Créole Big band, dernier d’une longue lignée MizikOpéyi – un folklore musical jazzy tout simplement impressionnant !

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Cocks Georges (rédacteur et correspondant permanent Guadeloupe)

Secrétariat rédaction Colette Fournier (Lyon)

©Pluton-Magazine/2019/Paris 16eme

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Crédits Photos : Bruno Michaux Vignes – Jeff Ludovicus – Eric Marcel, avec l’aimable autorisation de Tony Chasseur

Site officiel de Tony Chasseur

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Vidéos

MizikOpéyi – Jazz Creole Live à l’Atrium

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Malavoi – Buscando America

Tony Chasseur ‎- Danse Soleil

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