La poésie, un voyage sans fin aux confins de notre existence

Par Georges COCKS

La poésie est bien plus que de la simple littérature. Pas un casse-tête comme ce fut le cas lorsque l’on devait apprendre à l’école et réciter ces phrases interminables en commençant par citer le titre et le nom de l’auteur. Non, c’est un art. Une œuvre universelle qui prend sa source dans l’environnement propre de l’homme, si bien que, contrairement aux autres formes de littérature, d’un auteur à l’autre, d’un lien à un autre, d’une époque à une autre, des idées et des formes de pensées identiques viennent se mélanger sans jamais se contredire.  C’est un genre littéraire très ancien où le poète joue avec les mots, ses mots, leur donnant de la sonorité, un rythme, une métrique, les agençant à sa façon jusqu’à s’affranchir de la rime pour laisser exploser l’intensité par la prose ou les vers libres.

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Quelquefois, c’est juste une ballade qui nous berce doucement et parfois elle peut être marathonienne, nous essoufflant par des vers très longs comme notre grand Edgar Allan Poe savait si bien le faire.  Il est impossible (selon le rédacteur) de dater la poésie. Nous en faisons tous d’une certaine façon. Associée souvent à l’amour, sa musicalité est si pertinente qu’elle joue avec nos sens, nous attendrit, nous réjouit, nous émeut parfois jusqu’aux larmes. Elle est vraie et chaque lecture est une nouvelle perception. Chaque circonstance de notre quotidien peut encore pousser la compréhension mais aussi ouvrir l’imaginaire sur d’infinis possibilités et connexions intellectuelles.

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Une machine
Singer dans un foyer nègre,
arabe, indien, malais, chinois, annamite,
ou dans n’importe quelle maison
sans boussole du tiers monde
c’était le dieu lare qui raccommodait
les mauvais jours de notre enfance.
Sous nos toits son aiguille tendait
des pièges fantastiques à la faim,
son aiguille défiait la soif
. (René Depestre)

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La poésie s’approprie

La sensibilité, le milieu culturel, l’éducation, l’environnement physique… tous ces facteurs étant propres à nous-mêmes font que la poésie parle à chacun à sa façon. On ne peut pas dire à un lecteur an tant qu’auteur, que non ce n’est pas ce que je voulais dire.  C’est un langage intérieur, une voix qui nous  rend conscients de l’inconscience qui nous habite si subtilement. Un révélateur de notre construction forcée dans une alchimie dont le seul objectif est de nous contrôler.

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Embrasse-moi : la vie est là, le bananier hors des haillons lustre son sexe violet ; une poussière étincelle, c’est la fourrure du soleil, un clapotis de feuilles rouges, c’est la crinière de la forêt…(Aimé Césaire)

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L’œuvre poétique

C’est la production de l’esprit qui en finalité part avec un bout de son auteur pour l’emprisonner à tout jamais sur le papier, dans la mémoire, les essais, les dissertations et les citations d’autres auteurs ou orateurs. La personnalité du poète donne la force au texte qu’il retranscrit. Ce qu’on appelle l’inspiration est un appel et une mobilisation farouche de beaucoup de choses allant du simple sentiment de la joie à la colère, à la révolte ou au constat. Le poète composera d’innombrables textes sur des sujets et des thèmes variés mais toujours avec une finesse d’écriture qui rend le banal en feu d’artifice éclatant : l’exclamation du lecteur. Il n’y a pas de compétition entre poète. Chacun aimera ou n’aimera pas. C’est le lecteur qui choisit son auteur. L’auteur choisit un style conquérant.

Quand on dira d’une manière toute simple : Il pleut très fort, le poète, lui dira : Sur les tôles ondulées, Dieu pleure toutes les larmes de son corps comme la grêle dans un champ sec en été.

La force du texte poétique réside dans l’apport et sa richesse dans son auteur, et dans la capacité du poète à mettre le bon mot à la place qui lui revient au bon moment dans le vers et dans la construction globale de son poème.

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Oiseaux aux cris joyeux, vague aux plaintes profondes ;
Froid lézard des vieux murs dans les pierres tapi ;
Plaines qui répandez vos souffles sur les ondes ;
Mer où la perle éclôt, terre où germe l’épi ;

Nature d’où tout sort, nature où tout retombe,
Feuilles, nids, doux rameaux que l’air n’ose effleurer,
Ne faites pas de bruit autour de cette tombe ;
Laissez l’enfant dormir et la mère pleurer ! 
(Victor Hugo)

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Le monde de la littérature a tellement de poètes de renom qu’il serait impossible de tous les citer. Homère, Victor Hugo, Rimbaud, Verlaine, Musset Ronsard, Lafontaine, José-Maria de Heredia, Saint-John Perse, Sédar Senghor, Césaire, Depestre..., et bien d’autres encore. Les poètes vivent selon leur temps, leurs écrits aussi. Mais souvent ils ont une vision lointaine et posent sur le présent une vérité implacable que parfois les aliénés ont du mal à saisir. On parle dès lors de l’engagement du poète mais très souvent il ne se définit pas lui-même comme tel. Il fait son devoir le plus simple et le plus naturel : écrire. Écrire pour se libérer et en même temps libérer les autres. Écrire pour les sans voix, quelquefois au péril même de sa vie. Le poète est un insoumis. Il n’accepte pas de barrières et personne ne lui en impose non plus. Seul juge et maître, il refuse toute contradiction grammaticale de son travail.  Il s’octroie aussi le droit d’inventer son propre vocabulaire. Pas besoins d’être un érudit ni un académicien, ni de fournir une définition, il se fait comprendre.

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J’ai hâte de m’étendre
sur ce matelas sans drap,
les bras en croix,
tout en pensant que
c’est la place
que j’occupe dans cette galaxie.
(Dany Laferrière)

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La poésie, une force dans le récit romanesque

Les poètes qui sont aussi romanciers ont une écriture particulière et colorée. Une signature forte et une aubaine pour leurs lecteurs qui ne sont pas forcément des passionnés de la poésie mais pourtant, cette joute avec les mots ne semble point déranger. Les détails sont extrêmement précis et pointus avec une tonalité de vieux et de neuf, c’est une salle d’attente confortable avant les rebondissements du récit, si bien qu’il est impossible de s’ennuyer et de s’en détacher.

(…)J’espère cette fois-ci que tes cauchemars appartiendront au passé et que ton présent est maintenant un grand sablier blanc, trop lourd pour être retourné, sacralisant tes rêves sans interdits, sans contraintes, et sans préoccupations du lendemain. Ici mon présent et mon passé se liguent contre moi. Ils se révèlent si forts que ce n’est qu’en ta présence que j’arrive à les dompter. Le combat est toujours perdu d’avance, car une fois que nos lèvres ne se touchent plus, le baiser n’appartient déjà au passé. « Le maintenant est justement ceci de n’être déjà plus quand il est » disait Hegel, et il a parfaitement raison. Voilà pourquoi j’aime chaque instant passé auprès de toi. Je ne sais qui de nous deux sera là en premier, mais il ne devrait pas y avoir trop de distance qui nous sépare. (…)

Les lettres d’Éloïse – Georges Cocks

Lire et écouter de la poésie fait un grand bien. Le journal n’est déjà plus d’actualité avant la fin de la journée car tant d’évènements auront déjà rendu l’information obsolète. Un recueil de poésie se renouvelle constamment comme si ses mots se réécrivaient chaque fois que nous l’avions refermé. Nous avons un grand besoin de lire de la poésie. Elle nous apprend à revivre, à repenser les choses, à prendre du recul, à reconsidérer ce qui nous entoure, à réinventer l’élémentaire. Son focus nous permet souvent de lever le voile et d’avoir le droit aussi à la critique, car nous acceptons tout sans penser qu’il peut en être autrement.

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Et le poète se connaît, pourtant s’adresse un plein d’autans,

De tempêtes : c’est une mer qui se requiert, ne se mouvant.

Comme une mer jalouse, elle-même amante, se déchire,

Déchaînée, – jusqu’aux arbres, qu’elle ne peut atteindre.(Édouard Glissant)

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Devenir soi-même poète de sa vie, c’est voir les choses différemment. Être debout au pied de la tour Eiffel sans penser seulement à la pose photo. C’est aussi penser au plafond bleu du ciel plus haut que la tour.  S’arrêter sur le vide qui nous entoure et comprendre que cette tour est tout aussi petite que nous qui sommes à ses pieds et que ce petit que nous sommes est bien plus grand que ce géant de fer, sans nous elle n’existerait pas. Regarder couler la Seine et ressentir la liberté et la force de l’eau, son voyage qui nous émerveille, son teint d’argent et le ciel qui s’y regarde constamment sans qu’elle puisse bouger son image.

Dans un discours à l’Académie française, Michael Edward, poète, membre de l’Académie, définit la vertu de la poésie. Notons quelques extraits pertinents de son allocution :

La première vertu de la poésie serait de nous donner un accès plus intime au réel, de changer, ce faisant, notre perception du réel, et de suggérer la possibilité d’un changement véritable (…). Les vers emplissent la réalité d’émotions humaines (…).

La deuxième vertu de la poésie serait de troubler le moi, de changer – tant bien que mal, à sa manière imparfaite – le moi du poète et du lecteur (…). La poésie étonne également le poète. Lui aussi la découvre. Dans le poème le plus minutieusement préparé à l’avance, il se surprend, au moment d’écrire, à ressentir des émotions imprévues, à inventer des idées, à tomber sur de belles combinaisons de sons, de mesures, de mots. Il ne sait pas, finalement, d’où vient le poème : une porte s’ouvre, il s’aventure dans l’inconnu, il éprouve des sentiments qui n’existaient pas avant que des mots les disent. Heureusement pour lui : la poésie est découverte ou elle n’est pas.

Il comprend ainsi que le poème lui est en quelque sorte donné, que la poésie est don. Et que, ma foi, il est très agréable, il est passionnant de ne pas savoir où l’on va, de ne plus être un intellectuel européen, de lâcher prise, de se fier à la bonne chance, au hasard providentiel. Il discerne dans l’acte poétique un nouveau moi, qui sent et qui pense de façon étrange et meilleure, et qui déploie le langage avec un talent qu’il peut admirer sans fatuité (…).

 Troisième vertu de la poésie : accéder à la langue, et la changer. Le poète n’envisage pas le langage comme les autres écrivains. Au fond, il n’écrit pas, il parle. Il écoute les propriétés sonores de sa langue, qu’il tient à rendre audibles, quelle que soit l’importance, voire l’urgence de ce qu’il cherche à dire (…). En poésie, la langue et ses mots vivent autrement et, on l’espère, vivent mieux. Car un poète ne défend pas sa langue en se contentant de la suivre sagement. Ici encore il s’évertue à modifier ce qu’il trouve, en visant, dans la langue, un au-delà de la langue. Dans le meilleur des cas, poète et lecteur découvrent à nouveau leur langue, telle qu’en elle-même enfin la poésie la change (…) Il existe bien dans la poésie une certaine violence, contre des perspectives conventionnelles sur le monde et sur le moi, contre des emplois fatigués de la langue. Mais c’est la violence de qui casse la coque d’une noix, ou mord dans un fruit. Violence et douceur sont les deux mamelles de la poésie : violence de l’acte poétique, douceur du respect du réel.

La poésie est un liant universel des poètes, mais aussi du tout monde comme le disait Édouard Glissant lui-même, poète également. C’est un pont sanctuaire entre les hommes qui réunit en toute égalité la création dans son uniformité la plus complète sans entrechocs, sans assauts scélérats de la vie trépidante. Comme un bouclier, ce pare-feu reconnecte à la source de la vie et de la spiritualité les âmes déchues, pilonnées par les mortiers du quotidien, toujours arraisonnées par un canon qui pointe la mort à tout azimut. Si vous ne l’avez pas encore fait, il est temps de plonger le nez dans un recueil, quel qu’il soit. La poésie ne vieillit pas. Elle ne meurt pas. Elle commence tout juste avec un mot mais ne s’achève jamais. La poésie appartient aux vivants ; aux vivants d’esprit.

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©Pluton-Magazine/2019/Paris 16eme

Lire l’intégrale du discours de Michael Edward

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Par Georges COCKS
Écrivain- Éditeur-Poète-Romancier
Rédacteur Pluton-Magazine
Site :
www.cocksgeorges.jimdo.com

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