Discours Euzhan Palcy, récipiendaire de la médaille de l’Assemblée nationale.

Le 3 mai 2023, la réalisatrice martiniquaise était récipiendaire de la médaille de l’Assemblée nationale. Une cérémonie organisée sous l’impulsion du jeune député Jiovanny William et soutenue par la présidente de l’Assemblée nationale, madame Yaël Braun-Pivet. Après un Lion d’argent, un oscar pour l’ensemble de son travail à Hollywood, c’était au tour de la France de lui rendre les honneurs. Nous vous invitons à lire le discours qu’elle a prononcé lors de cette cérémonie

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« Madame la Présidente,

Monsieur le député William,

Mesdames et messieurs les députés,

Et chers amis,

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Merci à tous d’être là.

Ça me fait chaud au cœur.

J’ai eu récemment l’honneur de recevoir une distinction, un Oscar que seule une autre femme réalisatrice française avait jusqu’ici reçu. Je veux parler d’Agnès Varda.

Il est évident qu’on ne peut qu’être fière et avoir du plaisir à cette reconnaissance, et j’en ai eu.

Mais une chose est d’être reconnue par ses pairs à Los Angeles, une autre, bien différente est d’être reconnue par les siens en France, et alors que la presse du monde s’est fait l’écho de cette reconnaissance, lorsque je rentre dans mon pays, il ne se passe rien, ou si peu.

Mon premier film, La RUE CASES NEGRES avait fait de moi la première femme à obtenir un Lion d’Argent à Venise, et la première réalisatrice ayant obtenu un César, il y a bientôt quarante ans.

Est-ce que j’ai une mission, lorsque je crée ?

Oui, j’en ai une ; je crée pour la diversité et, plus précisément, la diversité en France.

Il s’agit pour moi de faire des films pour se découvrir, se connaître, s’accepter, se réunir.  Quand on connaît l’autre, on n’en a plus peur. Et quand on n’a plus peur, on s’enrichit, on grandit et on transmet

Très tôt j’ai appris deux choses ; du cinéma, qu’il peut changer le monde, et d’Aimé Césaire, mon père spirituel, qu’il y a au fond du désespoir, une arme miraculeuse qui s’appelle la poésie, et j’ai voulu, à mon tour et à ma manière, faire de mon cinéma une arme miraculeuse.

Le chemin était semé d’embûches dès le départ.

Dès l’âge de dix ans, choquée par le fait que mes frères et sœurs nègres – je sais bien que ce mot heurte certains d’entre vous, mais je l’emploie avec bonheur, je le trouve chargé autant de poésie que d’histoire – brillaient par leur absence sur les écrans, les petits comme les grands, j’étais tiraillée entre le plaisir et la fascination qu’exerçaient sur moi les films que je voyais, et la blessure sans cesse répétée de cette exclusion.

Mon rapport au cinéma, mon envie d’en faire, ont été façonnés par ce paradoxe.

Et ma pratique de réalisatrice, en Martinique, en Guadeloupe, à Los Angeles, en Afrique du Sud, à la Réunion ou à Paris ne s’est jamais départie de ce paradoxe.

Pour autant je n’ai pas voulu faire de moi une cinéaste-militante pure et dure. J’ai voulu aborder ces problématiques sous divers angles, qu’il s’agisse de la fiction historique, du film d’animation, de la comédie, et du documentaire.

Lorsque j’ai consacré plusieurs années de ma vie aux dissidents – ces résistants que la France métropolitaine ne voulait pas reconnaître, j’ai tenu à ce que l’hommage que je leur consacrais aille bien au-delà d’un simple documentaire, et c’est dans ce même lieu, qu’une fois le film terminé, j’ai obtenu de faire venir ces très vieilles dames et ces très vieux messieurs qui ont, au crépuscule de leur vie, enfin obtenu la reconnaissance des institutions du pays pour lequel ils s’étaient battus.

En ces temps de haine, et de ténèbres, pour citer Aimé Césaire une fois encore, il nous faut plus que jamais travailler ensemble.

C’est donc un jour particulier pour moi, puisqu’il rend concrète la reconnaissance non plus de mes pairs, d’où qu’elle me vienne, mais de mes concitoyens, et c’est pour moi le sens si particulier de cette médaille que je reçois aujourd’hui avec fierté.

Je vous en remercie. » Madame Euzhan Palcy 3 mai 2023.

Pluton-Magazine/2023.

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